Les longs mois de crise et de distanciation sanitaire nous ont confirmé que l’être humain était bien un animal social, incapable de vivre durablement sans relations physiques avec ses semblables. Privés depuis plus d’un an d’exercer leur métier, les professionnels de l’événementiel ont massivement reporté leurs efforts sur le digital pour proposer une alternative et permettre aux publics de participer à distance : « Durant la crise, nous avons appris à couvrir tous les champs événementiels en full digital : lancement de véhicules, de smartphone, salon technologique, forum, convention, leaders meeting, présentation presse, workshop, etc. –, observe Édouard Auger, CEO d’Havas Events. Et même s’il n’a pas réussi à cocher toutes les cases, le digital a prouvé sa pertinence. » Sans en faire la nouvelle martingale de l’événementiel post-covid, tous les professionnels s’accordent sur le fait que le digital a gagné sa place dans les dispositifs de demain, actant ainsi la naissance de l’événement d’entreprise hybride.
Dispositif peu répandu
Si l’idée n’est pas nouvelle, sa mise en pratique reste encore très marginale. Souvent limitée, avant la crise, à la mise en place d’une plateforme d’inscription en amont, d’un peu de streaming live et de la mise en ligne des captations réalisées pendant l’événement ; quasi inexistante ces derniers mois, du fait de l’interdiction du présentiel…. L’hybridation n’est toujours pas à l’ordre du jour à la veille du retour à la normale, ce 30 juin. « On sent surtout une forte envie de retour à la relation humaine, à la convivialité… Les gens ont envie de pouvoir couper l’ordinateur et de se retrouver, confirme Dan-Antoine Blanc-Shapira, CEO de Sensation. Du coup, les projets que nous développons pour la rentrée sont plutôt portés sur du présentiel pouvant être basculés en 100 % digital. C’est dans un deuxième temps que pourraient arriver les projets hybrides avec une conception spécifique, tenant compte de la double dimension présentiel/digital. Car les deux expériences ne sont pas les mêmes : dans un stade ou dans une salle, on est immergé, on ressent l’émotion, le poids des silences, etc. Devant son écran, on ne ressent rien, on peut être distrait par autre chose… » Outre le contexte de visualisation, le changement de temporalité et de rythme de l’événement devront également être pris en compte pour réussir l’hybridation. « Une convention de deux jours en présentiel se réduit à deux heures en digital, rappellent Stéphane Abitbol et Vincent Dumont, respectivement président et directeur Stratégie de Groupe S’cape. Nous sommes devenus des réalisateurs nous inspirant de la télévision et de ses programmes type The Voice, hybrides avant l’heure, avec un public sur site et un autre à distance derrière un écran. »
Retour en arrière impossible
Convaincues de l’inéluctable passage à l’hybridation, les agences ont donc fait évoluer leur offre, leurs compétences et leur organisation. « Nous avons transformé nos locaux en Hollywood avec des plateaux TV, des salles de conférences, de réunions ou des salons type Loft avec caméras partout, etc., confirme Frédéric Bedin, président du directoire d’Hopscotch Group. Les mois de crise ayant montré qu’il était toujours possible de participer d’une manière ou d’une autre à une rencontre, il faut désormais intégrer l’idée que celui ou celle qui ne peut pas venir, quelle qu’en soit la raison (économique, agenda, maladie etc.), doit avoir la possibilité de participer à la réunion, la conférence ou l’événement qui le concerne. » Ajoutée au fait qu’elle génère des audiences de cinq à dix fois supérieures à celles d’un événement de l’ère pré-Covid, la digitalisation semble avoir rendu impossible un retour en arrière : « Pour un lancement, Citroën a réussi en une journée à toucher toutes ses cibles stratégie en trois sessions d’une heure, soit 7 500 personnes en trois heures ! illustre Édouard Auger. Les invités ont capté l’essentiel de ce qui leur était adressé, les retours sont extrêmement positifs… Logiquement, la marque s’interroge sur la suite. » Et pourtant, les agences restent réservées sur l’hypothèse d’une bascule vers le tout hybride. D’abord, parce que certaines problématiques peuvent encore appeller des solutions full présentielles ou full digital : « Dès qu’ils en auront la possibilité, les grands patrons partiront faire le tour de leurs filiales dans le monde, pour les rencontrer physiquement, sans passer par le filtre de l’écran. Puis leurs N–1 et N–2 feront de même. Rendre physiquement visite à ses collaborateurs ou à ses clients est une marque de respect, rappelle Frédéric Bedin. Il y a une sérendipité dans l’événementiel que le digital ne permettra jamais de reproduire. » La rencontre fortuite dans une allée, la remarque lancée autour de la machine à café n’existent pas en digital. L’autre paramètre confortant les agences concerne les attentes de leurs clients, ouverts mais pas encore convaincus. « Nous ne parlons pas encore d’hybridation mais plutôt d’un retour au présentiel en remplaçant la grand-messe par plusieurs petits événements et en gardant le digital pour les grands messages collectifs, » résumait ainsi Sandra Dorville, de la direction de la communication interne de Danone France, interrogée sur ses attentes dans le cadre de l’émission A-Live, organisée au Grand Rex et diffusée le 11 mai par Levenement. Si la crise, en accélérant la digitalisation de l’événement, a fait de l’hybridation une option, elle n’en a pas encore fait une norme : « Le sujet n’est d’ailleurs pas de savoir ce qui doit être traité en présentiel, en distanciel ou en hybride, précisent Vincent Dumont et Stéphane Abitbol. Avant de se demander comment prendre la parole, il faut s’interroger sur le pourquoi, sur son objectif de communication. »