L'Oréal et Nivéa, les deux leaders de la cosmétique masculine en grande distribution (lire l'encadré), ont mis des années à persuader les hommes qu'eux aussi avaient le droit de se tartiner de crèmes. Les produits de soins pour hommes pèsent aujourd'hui environ 10 % du marché français de la cosmétique (7 milliards d'euros en 2010, y compris les parfums).
Un segment en plein boom, qui croît de 8 % par an. En 1990, 4 % seulement des hommes affirmaient utiliser régulièrement un soin du visage. En 2001, ils étaient 21 %, 30 % en 2009 et en 2015, une étude de L'Oréal prévoit que ce sera le cas d'un homme sur deux.
Sur ce marché niche en plein essor, le pionnier fut Biotherm (L'Oréal) en 1985, avec la première gamme de soin dédiée aux hommes. Nivéa a suivi en 1989 avec une gamme de cinq soins qui deviendront Nivéa For Men en 1998. En 1996, la marque Nickel a été créée spécialement pour cette cible. Avec des appellations comme Lendemain de Fête ou Gueule de Bois, Nickel a grignoté près de 10 % de ce segment. Sur le Net, des sites spécialisés comme Comptoir de l'homme se sont créés.
Dans le secteur de la distribution, Sephora a eu l'idée de créer une « zone de culpabilité », un linéaire dédié aux soins hommes placé à la sortie du magasin. « En passant devant, les clientes peuvent faire un cadeau à leur mari qui sert à légitimer leurs propres achats », analyse Bertrand Chovet, directeur général d'Interbrand Paris, qui a travaillé pour l'enseigne.
Reste que l'acheteur de produits de soins reste difficile à cerner. « Le stéréotype du métrosexuel a montré ses limites. C'était plus un effet d'annonce des publicitaires, relayé par la presse féminine. En fait, la réalité socioculturelle n'est pas si simple », estime Nicolas Riou de Brain Value, auteur d'ouvrages sur ce sujet(1).
Exemple avec Men Expert : « En prenant Éric Cantona comme égérie, L'Oréal a levé les freins d'une certaine féminisation pour revenir à plus de testostérone », décrypte Nicolas Riou. Un retour du vrai mec, illustré aussi par le choix d'un jeune Alain Delon comme visage d'Eau Sauvage de Dior (numéro deux mondial des parfums pour hommes), ou le succès de la série Mad Men et de son séducteur Don Draper.
« On assiste à un recentrage sur les territoires masculins traditionnels : indépendance, goût de la liberté, camaraderie », estime le fondateur de Brain Value.
« La beauté masculine doit être experte, efficace, fonctionnelle et à effet immédiat. L'homme cherche à être performant sans paraître efféminé », confirme-t-on au pôle homme de Mondadori publicité.
Et après avoir conquis l'homme occidental, la cosmétique s'attaque aux marchés des pays d'Asie. Selon Euromonitor, la Chine devrait représenter environ 50 % de la croissance mondiale attendue en soins de peau pour hommes entre 2010 et 2014. Avec une croissance du marché chinois qui devrait atteindre 28,7 % contre 5,7 % et 7,9 % pour les marchés américain et européen, le futur de la cosmétique masculine se situe clairement à l'Est.
Encadré
Le match L'Oréal-Nestlé
De nombreuses marques ont envahi les rayons de la distribution sélective (pharmacie, corners des grands magasins) pour séduire la clientèle masculine : Biotherm, Clarins, Vichy, Lancôme, Clinique, Nickel, etc. Dans la grande distribution, ils sont deux à régner sur le linéaire des soins masculins : l'Oréal avec Men Expert et Nivéa avec Nivéa For Men. Les deux gammes représentent chacune environ 40 % des ventes de ce circuit de distribution. Pour Bertrand Chovet, directeur général d'Interbrand Paris, leurs profils sont différents. « Nivéa est une marque à la fois globale et très locale. Pour l'homme, elle joue sur une dimension relationnelle, de proximité, alors que Men Expert mise sur la technologie et l'expertise. Leur typologie de clientèle est elle aussi différente : revendication de la masculinité chez L'Oréal, moins show off pour Nivéa ». L'Oréal et Nivéa font partie des marques les plus valorisées au monde. Elle sont 45 et 87e au palmarès Interbrand, pour des valorisations de 7,9 et 3,7 milliards de dollars. Mais la marque la plus forte dans l'univers masculin reste Gillette, 18e du classement et 33 milliards de dollars de valorisation.