Si son poids direct est encore faible dans l’économie de l’emploi, le «social networking» investit peu à peu les dispositifs de recrutement.

On ne parle plus que d'eux. Ils seraient une arme imparable contre la pénurie de talents, ils seraient même en passe de reléguer au placard les bonnes vieilles techniques de recrutement. Les réseaux sociaux auraient-ils révolutionné le marché de l'emploi? Les plates-formes professionnelles s'y attachent en tout cas, qui ont toutes développé des offres adaptées aux recruteurs: diffusion d'annonces vers une cible donnée, «hubs» corporate aux couleurs de l'entreprise, «profilthèque», etc.

Viadeo, leader du «network» de recrutement en France, revendique 2 000 clients sur l'ensemble de ses offres employeurs. «Nous donnons aux recruteurs des outils auxquels ils n'avaient jusqu'alors pas accès, en leur permettant de balayer un spectre longtemps réservé aux cabinets spécialisés, de toucher des personnes en recherche d'emploi et d'aller “chasser” des personnes en poste», argumente Olivier Fecherolle, directeur développement et communication du réseau social.

Comme tout phénomène naissant et soumis à de fortes poussées de croissance, le marché des médias sociaux inspire une floraison d'études et de conjectures, inégalement fiables, souvent contradictoires, et pas toujours éclairantes. Au-delà des écueils méthodologiques, le constat est net: Linked In, Viadeo, Facebook ou Twitter sont entrés de plain-pied dans le champ opératoire des directions des ressources humaines (DRH). Pour quelle utilisation? Aujourd'hui, en France comme à l'étranger, tous ces réseaux servent avant tout des stratégies corporate d'image employeur. Quant à leur importance réelle dans l'économie générale de l'emploi, elle doit être nuancée.

Le 2e Baromètre des stratégies RH et des réseaux sociaux réalisé par Novamétrie pour l'Association nationale des directeurs des ressources humaines (1) évalue à 9% la part des DRH en France qui utilisent les réseaux sociaux comme outils directs de recrutement et à 15% celle des salariés déclarant «rechercher un emploi» par ce biais. Des chiffres très en retrait par rapport aux marchés anglo-saxons. Les études internationales – souvent caractérisées par un fort tropisme nord-américain – montrent en effet une appropriation beaucoup plus franche du média social dans les pratiques d'emploi, tant chez les recruteurs que chez les candidats. En décembre 2010, Stepstone Solutions estimait que plus de 61% des entreprises utilisaient ces sites pour rechercher de nouvelles recrues.

Le développement de l'usage ne va pas sans certains freins. Une étude de la Society for Human Ressources Management menée en juillet 2011 auprès de plus de cinq cents entreprises dans le monde va même jusqu'à pointer un regain de circonspection vis-à-vis de réseaux sociaux. En cause: la confidentialité et la fiabilité des données, pour respectivement 65% et 50% des employeurs. Les récents débats sur la confidentialité des informations diffusées sur les réseaux personnels, notamment Facebook, plaident de fait pour une véritable réflexion collective. En France, en janvier 2010, sept organisations (Medef, ANDRH, Apec, Centre des jeunes dirigeants d'entreprise, IMS-Entreprendre pour la cité, Syntec Recrutement et À Compétence égale) ont rédigé une «charte réseaux sociaux, Internet, vie privée et recrutement» engageant les signataires à privilégier les plates-formes professionnelles, comme Viadeo ou Linked In, devant les réseaux personnels, de type Facebook ou Copains d'avant. Quant à la question de la fiabilité des données, elle se pose sans doute avec moins d'acuité. Il est sans doute beaucoup plus facile, et beaucoup moins risqué, de maquiller un CV que de mentir sur un média social.

Un pôle de convergence

La place et le rôle des médias sociaux varient très sensiblement d'une entreprise à l'autre. Rares encore sont les sociétés, à l'image de la Société générale, qui disposent d'une équipe et d'un budget propre au recrutement digital. Responsable marketing Web et RH 2.0 au sein du groupe bancaire, Franck La Pinta compare le cycle de recrutement à un processus d'achat, où l'entreprise vend son offre au candidat. En amont du processus, le recruteur-annonceur lance une campagne de conquête en mobilisant des outils classiques de puissance publicitaire (achat d'espace sur les «jobboards», bannières sur des sites stratégiques). En aval, le candidat-consommateur achète ou n'achète pas. «Avant les médias sociaux, il n'y avait pas réellement de phase transitoire entre ces deux étapes. Les réseaux permettent à l'entreprise d'occuper ce terrain, d'introduire de la conversation entre le recruteur et le candidat, dans une logique qualitative d'affinité», développe Franck La Pinta.

Le média social, pôle de convergence entre recrutement et marketing? Et pour quelle efficacité? Selon l'enquête Stepstone, 75% des entreprises qui ont embauché via les réseaux et médias sociaux ont constaté une amélioration de la qualité des recrutements. Le recrutement «social» semblerait plus performant que certaines approches traditionnelles. Sur une échelle de qualité des candidats allant de 1 à 4, les réseaux sociaux obtiennent une note supérieure à 3, en deuxième position derrière les programmes de mobilité interne (3,36), voire en première position pour la France. Les «jobboards» ou sites d'emploi récoltent une note de 2,6, devant les moteurs de recherche (2,5) et les salons (2,4).

Mais la performance relative du média social comme outil de recrutement reste suspendue à plusieurs déterminants. Elle achoppe par exemple sur le critère générationnel. Au-delà d'une certaine tranche d'âge, la pénétration des sites est trop marginale et donc peu significative. Chez les plus jeunes au contraire, elle est quasiment maximale et perd de sa dimension différenciante.

Autre limite: le critère statutaire. «Dès lors que l'on approche du top management, on vise des profils qui n'ont ni le temps ni l'intérêt à entretenir une présence sur les réseaux sociaux. C'est alors aux cabinets de chasse de prendre le relais», remarque Laurent Fisseau, responsable recrutement de l'agence DDB Paris.

Enfin, les réseaux sociaux s'avèrent moins opérants sur certains métiers. Si les fonctions marketing, création, planning stratégique, a fortiori digitales, y sont très actives, les commerciaux, les comptables et, de manière générale, les fonctions support, y sont beaucoup plus rares, voire absents.

Complément des approches classiques

Parmi les secteurs et métiers «naturellement» perméables au «networking»: l'informatique. Le groupe Open, qui emploie près de 3 200 salariés et doit en recruter 800, réalise 15% de ses embauches via les plates-formes en ligne Linked In, Viadeo, mais aussi, à moindre échelle, Facebook. Un compte Twitter a également été ouvert. «Les réseaux sociaux sont très complémentaires des approches classiques. Leur dimension d'échange leur confère une fonction préliminaire intéressante avant un premier entretien, ce qui s'avère extrêmement productif, notamment sur les profils les plus pointus», explique Laurent Benazera, DRH d'Open.

Reste qu'une telle approche induit un préalable de taille. Il faut que l'entreprise ait compris la nécessité de faire basculer la stratégie de recrutement dans une logique de réputation sur le long terme. Travailler avec les réseaux sociaux coûte cher: il faut y consacrer des ressources et du temps.

Et attention de ne pas raconter n'importe quoi! Sur les plates-formes d'échange, la moindre entorse à la transparence est immédiatement fatale. L'explosion du «turn-over» en période d'essai est à cet égard révélatrice de l'incapacité de certains employeurs à tenir leurs promesses. «La période d'intégration devient stratégique. Elle révèle au grand jour ce que l'entreprise est capable d'allouer comme moyens effectifs d'accompagnement de carrière», constate Laurent Benazera.

 

Tableau

Par quelle plate-forme avez-vous embauché dans le passé?

 

  En France
Dans le monde
Viadeo 85% 5%
Linked In 75% 62%
Facebook 39% 15%
Twitter 23% 9%
Xing 8% 5%

Source: Stepstone Solutions, décembre 2010.


Encadré

En France, un usage encore modéré

88% des candidats recherchent des informations sur les entreprises avant de postuler. La moitié renoncent à poser leur candidature pour cause de traces négatives et 77% postulent sur la foi de données positives.

65% des recruteurs qui ont embauché sur les réseaux sociaux ne l'ont pas fait plus de cinq fois. Les réseaux sont donc davantage un outil de complément des outils actuels.

60% des recruteurs utilisant les réseaux sociaux recherchent des commerciaux, profils qui y sont pourtant les moins actifs.

3% des candidats ont été recrutés via un réseau social.
Source: Régions Job 2011, étude réalisée en France auprès de 2 526 candidats et 379 recruteurs.

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