« Restaurant, sport et bien-être à moins 50%. » C'est la promesse qui figure sur la page d'accueil du site Groupon, sensation de l'année dans le domaine des bonnes affaires « locales » en ligne (cf. encadré). Groupon, Kgbdeals ou encore Living Social (qui a racheté Dealissime pour s'implanter en France) proposent ainsi des « city deals », autrement dit des coupons de réduction ciblés par ville et limités dans le temps. L'engouement est tel que certains n'hésitent pas à parler de « fièvre », et la concurrence entre les différents acteurs est féroce.
Selon une étude du cabinet Lightspeed Research (groupe WPP) parue en juillet 2011, 65 % des internautes français ont déjà entendu parler des sites d'achat groupé et 43 % d'entre eux se sont déjà inscrits à l'un d'entre eux. « Une des raisons du succès des sites d'achat de proximité tient à leur très bonne mise en scène, analyse Olivier Mathiot, cofondateur et directeur marketing du site Priceminister. Leur discours revient à dire à beaucoup de gens qu'il y a peu d'offres. »
Pour l'instant, les grandes villes françaises sont les premières concernées, mais la liste ne cesse de s'allonger. « La notion de localisation me paraît intéressante, car Internet a longtemps été perçu uniquement sous sa facette globale, analyse Olivier Mathiot. Grâce au marketing direct et à la géolocalisation, un nouveau marché s'ouvre. Je pressens ainsi un retour du petit commerce sur le Web. »
Une perspective qui correspond à celle de Frank Zorn, président de Groupon en France. « Notre modèle crée un nouveau marché, dans la mesure où nous sommes une sorte d'agence intégrée, avec notamment des commerciaux, des graphistes et des spécialistes du marketing pour définir l'offre, souligne-t-il. Nous utilisons la force d'Internet afin de travailler avec des petits commerçants. »
Illustration de cette tendance, l'offre des sites d'achat de proximité s'avère plutôt spécialisée dans les prestations de services, par exemple la restauration, les soins pour le corps (coiffure, massage, etc.) et la billetterie (loisirs, parc d'attractions, théâtre, voyage, etc.). Les repas (31 % des transactions), les tickets de spectacle (27 %) et les spas-salons de beauté (27 %) figurent ainsi en tête des transactions dans l'Hexagone, d'après Lightspeed Research. Des prestations dont les marges se prêtent bien au modèle économique des sites d'achat de proximité, c'est-à-dire qui permettent de prendre une commission sur les coupons achetés par les internautes.
Mais ce type de commerce électronique convient-il à tous les biens de consommation? La question se pose avec acuité en particulier pour des produits phares ou manufacturés. Pour Lightspeed Research, ce modèle fonctionne bien dans les loisirs et le divertissement, autrement dit pour des dépenses « que les consommateurs n'effectueraient pas si elles n'étaient pas proposées à des prix très dégriffés ».
Du côté de Groupon, leader du secteur en France, l'élargissement des offres ne fait aucun doute. « Notre modèle est valable également pour des biens manufacturés, d'ailleurs nous avons des offres sur des ordinateurs, des appareils photo ou des TV, rétorque Frank Zorn. La réduction sera seulement moins agressive que pour des prestations de services, de l'ordre par exemple de 5 % pour une TV contre environ 70% pour un massage. »
Les ténors du commerce électronique français se montrent moins convaincus. « Pour les commerçants qui ne vendent pas de services, il est plus difficile de trouver des accords sur les réductions consenties, observe Olivier Mathiot. Certains sites d'achat de proximité se montrent gourmands, est-ce que cela séduira les commerçants sur le long terme ? »
Pour l'heure, il est difficile de déterminer si les sites d'achat de proximité bénéficient d'un phénomène de mode ou bien reflètent la démocratisation d'une nouvelle forme d'achat en ligne. « Ces sites se constituent de grandes bases de données d'internautes grâce à l'engouement suscité, mais je ne sais pas si cela durera, s'interroge Bernard Gstalder, directeur général de Fnac.com. Internet donne une grande visibilité à des offres personnalisées, mais le commerce électronique ne se résume pas à des coupons de réduction. »
Les premiers chiffres français laissent entrevoir quelques failles. Parmi les internautes inscrits à un site d'achat groupé, 47 % n'ont pas encore effectué d'achat par ce biais. Et 17 % des utilisateurs ont déjà rencontré des problèmes en voulant bénéficier des offres.
Au départ, les propositions commerciales s'habillaient d'une notion d'achat groupé. Il fallait que les acheteurs soient suffisamment nombreux afin que la réduction soit validée. Désormais, les sites d'achat groupé organisent des ventes en temps limité, qui ressemblent aux ventes flash.
« Groupon, par exemple, n'est pas un site d'achat groupé, mais un site de bonnes affaires, un peu dans le même registre que ventes-privées.com », considère Bernard Gstalder. Selon Groupon, ce changement est dû au démarrage de l'activité. « Au début, il fallait un nombre minimum de participants afin que la réduction soit valable, car le trafic n'était pas assez important, explique Frank Zorn. Depuis le mois d'octobre 2010, ce n'est plus le cas et nous parlons désormais d'achat de proximité. »
Une autre forme d'achat groupé, au sens strict du terme, existe également. Elle marche sur les traces de Clust (cf. encadré), pionnier français de la fin des années 1990. Son idée était de fédérer des internautes désireux d'acquérir le même produit, de telle sorte qu'ils puissent le payer moins cher. L'expérience n'a pas été concluante et le site a changé de positionnement. Depuis, des initiatives tentent de reprendre cette piste, comme entreacheteurs.fr ou discounteam.com, mais avec des ambitions et des moyens plus modestes.
Ces achats en groupe sont-ils viables en 2011 ? « L'inversion du rapport de force entre acheteurs et fournisseurs me semble difficile, estime Olivier Mathiot. D'autant que le savoir-faire du Web est de faire baisser les prix presque intrinsèquement. »
Ce modèle de communautés d'acheteurs se heurte aux dures réalités du commerce, notamment sur les objets phares du moment. « Sur un produit comme l'Ipad, il n'existe pas de marge de manœuvre, si bien que le prix ne baissera pas avec un achat collectif, explique Ping-Ki Houang, directeur exécutif du groupe Pixmania. En France, l'achat groupé ne fonctionne pas, car même dans les domaines où la marge est importante, les internautes ne sont pas enclins à attendre d'être suffisamment nombreux. »
Pour l'heure, ces sites d'achat groupé ont une audience confidentielle en comparaison de leurs homologues d'achat de proximité. « L'engouement n'a rien à voir avec celui rencontré par Groupon ou Living Social », remarque Bernard Gstalder. Même si Groupon n'exclut pas d'aborder ce type d'achat du côté des réseaux sociaux... « Si des internautes nous réclament en nombre sur Facebook un produit en particulier, nous essayerons de leur trouver une offre », glisse Frank Zorn.