Avènement du digital, des médias sociaux, du multiécran, avec sa kyrielle de supports nomades et bientôt de la télévision connectée… Dans cette course de vitesse technologique où le consommateur devient butineur et multitâche, le secteur des médias est pour le moins chahuté. Les agences médias doivent s'adapter. «On doit répondre aux interrogations des annonceurs, faire de la prospective, en prenant en compte la “digitalisation” des médias, la 3D, la mobilité», résument Bruno Kemoun et Eryck Rebbouh, présidents de KR Media et depuis peu de Group M France (WPP).
Après le trou d'air de 2008 et 2009, le retour de la croissance en 2010 a toutefois redonné le sourire au secteur publicitaire et aux agences médias. Pour preuve, les quatorze premières agences françaises ont réalisé un volume d'affaires global en hausse de 8% l'an dernier, à 11,02 milliards d'euros. Toutes ont affiché un chiffre d'affaires en hausse, exception faite de PHD (Omnicom). Ceux-ci sont tirés du dernier classement annuel des agences médias en France (voir tableau), publié fin juin par l'institut indépendant Recma (données préliminaires, avant le classement définitif attendu courant septembre).
MPG (Havas) reste en tête, avec un volume d'activités de 2,58 milliards d'euros, en hausse de 3% par rapport à 2009, au coude-à-coude avec Carat (Aegis Media), qui affiche 2,2 milliards d'euros (+3%). Zenith-Optimedia (Publicis Groupe) demeure en troisième position, mais avec un volume d'affaires qui bondit de 15%, à 1,6 milliard d'euros, suivi de loin par OMD (Omnicom), avec 935 millions (+3%), et KR Media (WPP), qui totalise 800 millions (+15%).
Une vitalité du secteur rythmée par des transferts de budgets importants et des compétitions d'envergure. L'agence Starcom (Vivaki-Publicis Groupe) a ainsi vu son chiffre d'affaires bondir de 32% en 2010, en partie «grâce au gain de budget Coca-Cola» [auparavant chez Carat], précise son PDG, Thierry Jadot, qui vient de remporter le budget Warner Bros Entertainment France.
De son côté, Zenith-Optimedia a récupéré le budget monde de Sanofi-Aventis ainsi que ceux de L'Oréal (pour le digital), du groupe Grand Vision (Grand Optical) et de Gucci Group. OMD, pour sa part, a gagné le compte Bewin tandis que KR Media engrangeait Bonduelle (France et international) et que Carat empochait Redbull et ING Direct.
Mais la fin 2011 s'annonce plus incertaine: la crise boursière, qui s'est déclarée cet été, menace l'économie et du coup le secteur publicitaire. C'est dans ce contexte qu'intervient le départ, en juin dernier, de Guillaume Multrier, CEO d'Aegis Media. Son remplacement transitoire par l'Anglais Simon Francis, CEO d'Aegis Media Europe, pourrait fragiliser le groupe en France. De là à imaginer de nouvelles compétitions…
Le cas de SFR est toutefois antérieur à ce mouvement. Chez Carat depuis un an, l'opérateur a organisé une «request for information» auprès d'agences médias: «Ils voulaient avoir une vision du marché pour nous “challenger”, mais nous ont confirmés fin juin», précise Pierre Desangles, directeur général de Carat France.
Les agences indépendantes, quant à elles, misent sur leurs spécialités. My Media a ainsi gagné récemment Century 21, Monabanq (budget média digital) ou encore les chaînes Fox (achat d'espace en et hors ligne). «Nous bénéficions de notre expérience auprès de marques “pure players” comme Groupon, depuis ses débuts, ou Edarling», explique Anthony Ravau, son PDG.
L'agence Climats Médias, elle, mise plutôt sur la fidélisation de ses clients, tels Le Tanneur, les laboratoires Juvasanté et Pentax. Mediatrack, spécialisée dans la grande distribution et l'affichage de longue durée, vient de gagner Décathlon et WWF. À noter qu'en 2010, cette dernière avait remporté le budget Monini (groupe Lesieur), face à Carat, grâce au réseau international d'agences indépendantes Colombus.
Mais toutes ces compétitions demandent beaucoup de temps, d'argent et d'énergie aux agences, notamment aux indépendantes. Du coup, le déroulement parfois hasardeux de certaines d'entre elles a fait jaser. Ainsi celles pour BMW Europe, remportée finalement par l'agence sortante, Carat, et pour Warner France. Mais pour les «petites» agences, ces consultations offrent un retour sur image garanti: «Être dans le tour pour ces deux appels d'offres nous a fait gagner en notoriété», reconnaît Anthony Ravau, de My Media.
Au rythme de l'évolution accélérée des médias, les agences grappillent de nouveaux domaines d'intervention. Aux activités originelles d'achat d'espace, de médiaplanning et de stratégies médias, s'ajoutent désormais Internet et, par extension, «les métiers digitaux, du “search” au “social media”, ainsi que l'e-CRM et le mobile, entre l'achat d'espace publicitaire idoine et les applications», résume Bertrand Beaudichon, PDG d'Omnicom Media Group.
«Les annonceurs confient davantage de prestations aux agences médias: “street marketing”, “brand content”, événementiel, placement de produits, etc.», ajoute Sébastien Danet, président de l'Union des entreprises de conseil et d'achat média (Udecam). Preuve de l'avènement de ce conseil médias étendu, «on nous demande d'assembler des choses selon les opportunités de contacts. Dans les “pitchs”, on est passés de “Comment faire exister ma marque ?” à “Comment faire se comporter ma marque”», estime Pierre Desangles (Carat France).
Transformation en profondeur
Une polyvalence dans l'air du temps donc, qui se reflète dans le brief des compétitions. «Il y est désormais moins question de compétitivité des prix que d'intégration entre télévision et Internet. On vend une stratégie multiécran: TV, “display” vidéo et mobile, en additionnant GRP digitaux et GRP TV», résume Bertrand Beaudichon.
De fait, l'étude semestrielle du Syndicat des régies Internet (SRI) et de l'Udecam publiée en juin (Stratégies n°1642) montrait une explosion du display vidéo, porté par la télévision de rattrapage (“catch-up TV”), et de l'achat d'espace mobile. «Le digital devient un des sujets principaux des compétitions, avec l'articulation entre le “on” et le “off” dans les plans médias, et le moyen de générer du trafic en points de vente pour les distributeurs», ajoute Anthony Ravau.
Résultat, plusieurs grandes agences médias ont revu leur organisation. D'abord en se dotant de structures spécifiques, labellisées «brand content», pour définir des contenus éditorialisés, mais toujours publicitaires (lire page xx). Exemples: OMD avec Fuse, spécialisée dans les nouveaux types d'insertion publicitaire; My Media, qui a créé en 2010 Stratco avec Valérie Gaschignard, ex-directrice générale adjointe de Zenith-Optimedia; KR Media avec Cubing, lancée en 2005; MEC (Mediaedge-CIA) avec Arthur Schlovsky, fondée en 2008. Mais le départ brutal cet été des deux fondateurs de cette dernière, Hugo Cholez et Franck Botbol, pourrait bien annoncer des changements plus profonds. «On n'exclut pas de repenser l'offre “brand content” non plus via l'agence Arthur Schlovsky, mais le Group M», indique Arnaud Serre, PDG de MEC. Zenith-Optimedia, de son côté, a acquis fin 2010 l'agence Casablanca, leader historique du placement de produits dans le cinéma.
Cette transformation en profondeur de l'offre des agences médias intervient alors qu'émergent de nouvelles stratégies d'achat d'espace, tels les «ad exchanges». Ces «bourses où les annonceurs achètent aux enchères via les agences des inventaires publicitaires [espaces publicitaires invendus] représentent déjà 25% du marché "display" aux États-Unis et 8% en Grande-Bretagne. Elles vont bientôt débarquer en France. Toutes les agences sont en train de s'équiper de solutions ad hoc, alors qu'une plate-forme européenne a ouvert depuis Londres», raconte Bertrand Beaudichon (OMG).
Un système de vente qui apparaît déjà dans l'achat d'espace en télévision. «TF1 a adopté de nouvelles conditions d'achat d'espace publicitaire, qui seront basées sur des critères de coût du GRP: on pourra y acheter soit en premium, soit en groupé», précise Pierre Desangles, de carat France.
Nouveaux acteurs et panels plus précis
Parallèlement, les agences médias doivent faire face au débat récurrent sur les honoraires, certaines n'hésitant pas à les raboter en fin de compétition sous la pression des annonceurs, notamment les constructeurs automobiles. «Nous avons refusé des compétitions orientées essentiellement sur les prix. La pression sur les honoraires est un sujet constant depuis vingt ans. Certains annonceurs en sont certes responsables, mais certaines agences aussi», remarquent Bruno Kemoun et Eryck Rebbouh, de KR Media. «Les clients ont de nouvelles exigences: notre capacité à maîtriser les coûts et le GRP», ajoute Arnaud Serre, de MEC.
Tout cela n'enchante guère les agences indépendantes. «Ce n'est pas rentable pour nous, quand des agences baissent leur rémunération à 1,5%!», s'agace Bruno Poyet, PDG de Climats. «Parfois, on veut nous imposer un taux unique de rémunération par média», lâche Marc Lewitanski, vice-président de Cospirit Mediatrack.
Par ailleurs, les agences médias sont confrontées à d'autres acteurs, issus de l'informatique et d'Internet. Tel Google, qui se distinguait en juin aux Cannes Lions 2011 en raflant un Grand Prix Cyber pour la campagne «Arcade Fire Google HTML5», conçue par sa division Creative Lab. Le moteur de recherche a décroché le budget d'achat d'espace digital monde de Heineken.
Autre enjeu, le développement d'outils de mesure d'audience plus fins. Avec, là encore, Google en vedette. Selon nos informations, la société de Mountain View a lancé un appel d'offres en France auprès d'instituts de mesure d'audience afin de monter un panel «single source» (panel de consommateurs permettant de regrouper des données d'achat et des facteurs d'influence marketing, tels que l'exposition médias et les promotions dans les points de vente). Ce panel inclurait à la fois la télévision, Internet et des points de vente. Médiamétrie et Kantar Media figureraient parmi les instituts en lice. Contacté par Stratégies, le premier n'a pas souhaité commenter l'information. Google avait déjà lancé un appel d'offres au Royaume-Uni, qui vient d'aboutir à un partenariat avec Kantar, d'après le site spécialisé Newmediaage. Sans commenter sur le fond cette initiative ambitieuse de Google, Sébastien Danet, de Zenith-Optimedia, le souligne: «À l'ère du multiécran, il faut aboutir à de nouveaux outils de mesure du cross-média.»
Classement France 2010 Recma (chiffres non-définitifs, juin 2011)
Rang |
Part de marché |
Agence |
Chiffre d'affaires (millions €) |
Augmentation % (septembre 2010) |
Nombre de salariés
|
Volume d'affaires géré |
Part de services digitaux |
1 |
23,4% |
MPG/Havas Media |
2 580 |
3% |
734 |
1 805 |
30% |
2 |
20% |
Carat/Aegis Media |
2 200 |
3% |
565 |
1 450 |
34% |
3 |
14,5% |
Zenith-Optimedia/Vivaki |
1 600 |
15% |
427 |
1 012 |
37% |
4 |
8,5% |
OMD/OMG |
935 |
3% |
234 |
748 |
20% |
5 |
7,3% |
KR Media/Group M |
800 |
15% |
155 |
685 |
15% |
6 |
4,3% |
Mindshare/Group M |
470 |
15% |
100 |
375 |
20% |
– |
4,3% |
Starcom/Vivaki |
470 |
32% |
101 |
266 |
43% |
8 |
4,1% |
Vizeum/Aegis Media |
450 |
5% |
115 |
295 |
34% |
9 |
3,6% |
Mediacom/Group M |
400 |
7% |
100 |
326 |
19% |
10 |
2,8% |
MEC/Group M |
305 |
17% |
90 |
209 |
32% |
11 |
2,4% |
Initiative/Mediabrands |
265 |
18% |
53 |
198 |
25% |
12 |
2% |
My Media/Independant Media/Indépendant |
222 |
0% |
58 |
164 |
26% |