Zaz, Ben l'oncle soul, Grégoire: ces artistes doivent beaucoup aux radios musicales, qui ont fait de leurs titres des tubes connus de millions de Français. La radio a toujours fait vendre des disques, beaucoup, et ce n'est pas Internet qui change la donne. Pour l'instant.
«Avec 50 millions de contacts par semaine, la radio est un porte-voix. Internet ne permet pas de toucher autant de personnes en si peu de temps», souligne Jean Isnard, directeur des programmes de Virgin Radio et de RFM. «Le Web peut aider un artiste à se faire découvrir d'une maison de disques. Mais il ne se substitue pas à la radio, qui permet de passer un cap en termes de notoriété», renchérit Romain Berrot, rédacteur en chef du mensuel spécialisé Musique Info.
Se faire connaître et non devenir connu, tel est pour l'instant le pouvoir d'Internet. C'est en effet sur la Toile que les maisons de disques peuvent trouver, dans la multitude d'artistes d'un jour, les perles qui seront produites demain. En fonction du nombre de vidéos vues ou du buzz créé sur les réseaux sociaux, les labels mesurent ainsi le succès potentiel d'un nouvel artiste. Un argument repris ensuite pour convaincre les radios d'ouvrir leur «playlist»
Dernier exemple en date, le duo féminin Brigitte, qui a commencé à faire parler de lui sur Internet il y a presque deux ans. Avant de se faire repérer par le label indépendant 3ème Bureau, qui a signé le premier album du groupe. Aujourd'hui diffusé sur Europe 1 et France Inter, mais pas (encore) sur NRJ, l'album Et vous, tu m'aimes?, sorti en avril, sera bientôt disque d'or. «Brigitte a profité pleinement de cette rampe de lancement qu'offre Internet», estime Didier Varrod, journaliste et producteur à France Inter.
Mais sur les quelques centaines d'artistes français qui sortent chaque année un nouvel album, avec ou sans l'aide du Web, combien intègrent les «playlists» des grandes radios musicales, sans qui il est très difficile de vendre des millions de disques? Là est tout le problème. «Les radios prennent moins de risques qu'avant, du fait de la plus grande volatilité des auditeurs. Ceux-ci, en plus de la radio, disposent de davantage de canaux d'écoute de la musique», constate Cécile Legros, responsable promotion du label indépendant Atmosphériques. En cause, l'écoute en streaming [diffusion continue sans téléchargement] sur Internet et les téléphones portables, devenus baladeurs.
Tarissement de l'offre francophone
Conséquence, pour garder le plus d'auditeurs possible, les stations focalisent sur les titres dont le succès est garanti. Une homogénéisation des «playlists» qui alarme la Sacem (Société dess auteurs, compositeurs et éditeurs de musique), selon qui 90% des diffusions de nouveautés francophones se sont concentrées sur quinze titres seulement en 2010. La faute d'une baisse de la production, rétorque les radios. «Il y a un vrai tarissement de l'offre en langue française», justifie Jérôme Fouqueray, directeur général de Fun Radio. Selon les stations musicales, la production d'albums francophones a chuté de 49% en dix ans, et même de 76% pour les singles en langue française. Les artistes français seraient ainsi de plus en plus nombreux à chanter en anglais. «Les radios musicales ont perdu un million d'auditeurs depuis 2007. Ce n'est pas le moment de durcir les quotas», affirme Jérôme Fouqueray.
Dans ce contexte, la découverte de nouveaux talents devient presque un argument commercial pour certaines radios. C'est le cas de Radio Nova, qui fête cette année ses trente ans. «Quatre-vingt-dix pour cent des titres que nous diffusons ne sont nulle part ailleurs aujourd'hui», souligne Bruno Delport, directeur général de Nova Press, la holding du groupe médias.
Autre lieu de promotion de la créativité, les radios généralistes, comme France Inter ou Europe 1, qui sont «beaucoup plus précurseurs et prescripteurs dans ce domaine que les réseaux FM musicaux», estime Xavier Jolly, directeur de la programmation de la seconde. Internet n'est pas encore l'eldorado tant espéré pour les artistes.