Ils ont entre 45 et 55 ans et décrivent la libéralisation des ondes comme le Mai-68 de leur génération. Qu'ils s'appellent Pierre Bellanger, Jean-Éric Valli, Jean-Paul Baudecroux ou Joël Pons, ils ont, comme des millions de Français, vu naître avec envie, espoir, voire passion, les premières radios libres en 1981. «Pour la première fois, les jeunes pouvaient entendre de la musique toute la journée», se souvient Difool, célèbre animateur de Skyrock, qui a fait ses débuts derrière le micro en 1982 alors qu'il n'était que simple collégien à Saint-Étienne.
Partout en France, des anonymes se lancent dans l'aventure, l'un depuis son garage, l'autre depuis sa boutique d'électronique, tous portés par le faible coût de cette nouvelle technologie qu'est alors la FM. À l'époque, la publicité est interdite, tout le monde est donc bénévole et les radios dirigées par des associations loi 1901. S'installe une liberté d'expression totale, qui ne tardera pas à susciter l'inquiétude au plus haut sommet de l'État.
«On avait les CRS et les renseignements généraux sur le dos en permanence. Il fallait donc déplacer les émetteurs très souvent pour continuer à diffuser», se rappelle Joël Pons, aujourd'hui directeur général de Jenioos Média, qui a participé au lancement de Carol FM. Une radio qu'il définit comme «moins hard» que Carbone 14, qui restera pour beaucoup la station qui incarna le mieux le ton libertaire cher à cette époque. «Jamais, depuis, je n'ai retrouvé cette liberté de ton. Sauf peut-être sur Canal+ avec Groland», ajoute-t-il.
Liberté d'expression
Mais, pour Michel Cacouault, vieux routier de la radio, cette liberté d'expression a de toute façon fait long feu. «Elle a vraiment duré trois ans. En 1984 arrive la publicité. Se développe alors une approche marketing de la radio, qui a peut-être tué cet esprit des débuts», estime celui qui représente les quatre principaux groupes privés, via le Bureau de la radio qu'il préside.
Reste que les radios libres ont fait naître un genre nouveau, encore largement pratiqué sur les antennes aujourd'hui: les émissions de libre-antenne. «La libre-antenne a été lancée par les radios libres. On l'a ensuite professionnalisée avec Doc sur Fun Radio à partir de 1992, avant que je reprenne le concept sur Skyrock en 1997», souligne Difool.
Aujourd'hui, l'émission Radio libre arrive en tête des programmes du soir toutes radios confondues, avec une part d'audience de 16,9%, et même de 41,5% sur les seuls 13-25 ans. Et tant pis si le ton utilisé ne plaît pas à tout le monde. «On nous reproche parfois d'être vulgaires, mais pour que le message que nous délivrons soit efficace, il faut le donner de manière légère», justifie Difool.
Également vecteur d'une relative liberté d'expression, les radios associatives et certaines radios indépendantes. Mais difficile de rivaliser avec la liberté de ton qu'offre aujourd'hui Internet. Qu'il s'agisse des forums des émissions de radio, mais surtout des blogs et des réseaux sociaux, ce n'est plus à la radio que l'on donne aujourd'hui son avis, mais bien sur la Toile. Et là, pas de filtre comme avec les standards téléphoniques des émissions de libre-antenne. Tout le monde a son mot à dire, même si personne n'est là pour l'écouter.
Autre élément constitutif des radios libres, et non des moindres, la musique. «Cela coûtait beaucoup moins cher de s'orienter vers la musique que de produire de l'information», explique Michel Cacouault. À chaque station sa bibliothèque musicale. «J'appartiens à une génération qui a été privée de musique pendant toute son adolescence. J'ai donc voulu faire une radio pour moi, pour répondre à mes manques, en diffusant mes propres disques», se souvient Jean-Paul Baudecroux, qui a fondé NRJ en juin 1981 depuis sa chambre de bonne des Buttes-Chaumont, à Paris.
Comme beaucoup de stations se positionnent alors sur les jeunes, Pierre Alberti prend le parti de créer une radio pour les 25-49 ans. C'est ainsi que naît Nostalgie en 1983. «C'était un choix assez visionnaire et qui s'est révélé gagnant vis-à-vis des annonceurs puisqu'il s'agit d'un public plus consommateur que les jeunes», souligne Fabrice Larue, qui a participé à la constitution du réseau national de la station à partir de 1987.
Avec la multiplication des stations, l'écoute de la radio se segmente. Rapidement, NRJ se détache pour atteindre le million d'auditeurs fin 1984. La clé de ce succès? Un maillage progressif du territoire via la mise en franchise de radios locales, le rachat de stations en difficulté et l'obtention de fréquences en propre. Quitte à déborder un peu sur les radios voisines avec des puissances d'émission supérieures à la norme autorisée. «NRJ était toujours en avance d'une loi», s'amuse Fabrice Larue, aujourd'hui à la tête de sa propre société d'investissement, FLCP.
Au tournant des années 1980-1990, NRJ met également en place des tests marketing afin de savoir quelles chansons plaisent le plus et seront donc les plus diffusées. «Oui, on est formaté, mais ce n'est pas un délit. Le format de NRJ est d'être le plus large possible», se justifie Jean-Paul Baudecroux, encore aujourd'hui principal actionnaire du groupe NRJ.
Un pari gagnant puisque le succès ne faiblit pas au fil des ans. Conséquence, de nombreuses stations musicales tentent d'imiter NRJ, au détriment de la diversité musicale de la bande FM. «C'était surtout vrai au début des années 1990. Depuis, chaque station a trouvé son identité propre, notamment Skyrock avec le rap dès 1996», affirme Difool.
Concentration et regroupements
Qu'il s'agisse de Latina, de Paris Jazz, de Radio Nova ou de FG, chaque style musical a aujourd'hui sa radio. «Les indépendants sont les vrais héritiers des radios libres», estime Jean-Éric Valli, président du GIE des Indés Radio, qui rassemble cent vingt-huit radios indépendantes. En revanche, sur les grands réseaux musicaux, difficile de contester une certaine homogénéité des playlists, ces chansons qui tournent en boucle tout au long de la journée. Selon l'Observatoire de la musique, 1,9% des titres diffusés en 2010 représentent à eux seuls 73% des diffusions.
La concentration, qui n'a fait que s'accélérer au fil des années 1980 et 1990, y est sans doute pour beaucoup. Une à une, nombre de radios libres sont rachetées, notamment par les trois stations historiques, qui diffusaient jusqu'alors en grandes ondes et qui ne voyaient d'abord pas d'un bon œil l'essor de la FM. De M40, RTL a créé RTL2. Europe 1 a lancé Europe 2 suite au rachat de Hit FM, et RMC a repris Nostalgie en 1991. «Ainsi, les radios grandes ondes ont réussi à recomposer l'audience qu'elles avaient jusque-là», raconte Fabrice Larue.
En parallèle, d'autres radios libres se sont regroupées ou ont développé leur propre réseau en obtenant de nouvelles fréquences sur les cendres de stations créées au moment de la libéralisation des ondes et disparues depuis. Reste que trente ans après la libéralisation des ondes, la concentration est bien réelle en France, même si elle a fini de s'accélérer. Fin 2010, les trois principaux groupes privés de radio (RTL, NRJ, Lagardère Active), soit dix stations, réalisaient à eux seuls 46,9% de part d'audience, selon Médiamétrie. Dans le même temps, les cent vingt-huit stations des Indés Radios cumulaient 11,3%, tandis que Radio France réalisait 22,6%.
Quels que soient leurs points de vue et leurs intérêts, tous les acteurs du secteur sont en tout cas d'accord sur un point: la FM a donné naissance à une richesse immense, encore bien réelle aujourd'hui. Les quelque 43 millions de Français qui écoutent la radio chaque jour ne peuvent que l'attester.
Encadré
C'était il y a trente ans
C'est en 1978 qu'apparaissent en France les premières radios pirates, rapidement brouillées par le gouvernement de Valéry Giscard d'Estaing. Se met alors en place une véritable guérilla des ondes, entre pro et anti-libéralisation de la radio. L'élection de François Mitterrand en mai 1981 fait espérer une autorisation des radios libres. Mais il faudra encore attendre un an pour que la loi soit publiée. Autre difficulté, les radios FM sont privées de publicité et donc de ressources jusqu'en 1984. Beaucoup n'y survivront pas.