Les sondeurs sont coutumiers de la polémique et ne détestent pas l'alimenter. Objet de la dernière controverse: une enquête Harris Interactive, réalisée par Internet et publiée le 6 mars par Le Parisien-Aujourd'hui en France, propulsant Marine Le Pen en tête des intentions de vote au premier tour de la présidentielle 2012.
Si les chiffres avancés émeuvent les médias et l'opinion, c'est la recette concoctée par l'institut que contestent certains professionnels. Quelle valeur accorder à un sondage opposant trois compétiteurs, à quatorze mois d'une élection dont on ne connaît pas les candidats? Jean-Dominique Lévy, responsable du pôle opinion d'Harris, s'empresse de refaire l'enquête avec tous les candidats déclarés et potentiels et confirme le résultat. Depuis, les enquêtes de ses concurrents lui ont donné raison…
Pour autant, le mode de recueil utilisé par Harris Interactive, en l'espèce le sondage en ligne, s'il fait aujourd'hui partie de la palette des outils, suscite encore des réserves en ce qui concerne les intentions de vote. «Il n'y a pas de modèle de recueil parfait et chacun induit ses propres biais, rappelle Brice Teinturier, directeur général délégué d'Ipsos France. Nous progressons tous les jours sur l'intention de vote par Internet. Reste qu'aujourd'hui, les biais sont plus importants avec le “online”, et qu'on les contrôle mieux par téléphone.» C'est dit: en 2012, Ipsos réalisera ses sondages d'intention de vote par téléphone. Même position chez TNS Sofres.
Mais les enjeux ne sont plus seulement méthodologiques. Conscients de la puissance de perturbation émotionnelle du sondage d'intention de vote en ligne dans un contexte préélectoral déjà bien tendu, les instituts en ont presque fait une ligne de démarcation commerciale. Invité du Buzz Média Orange-Le Figaro fin mars 2011, Bernard Sananès, le nouveau patron de CSA, s'est déclaré «réservé sur l'utilisation du panel en ligne pour des intentions de vote», insistant dans le même temps sur les efforts déployés par l'institut pour développer les études en ligne. Comment mieux dire qu'en renonçant aux analyses d'intention de vote en ligne, CSA, qui vient pourtant de racheter Directpanel, spécialiste des études en ligne, et son access panel de 50 000 internautes, s'honore d'une précaution déontologique dont d'autres maisons seraient peut-être moins soucieuses? Jérôme Sainte-Marie, en charge de l'opinion au sein de l'institut, confirme que les études en ligne ne s'improvisent pas et que CSA doit encore se faire la main. Des réserves que partageait Jean-Daniel Lévy quand il dirigeait les études politiques de… CSA. En changeant d'employeur, le sondeur est devenu un intarissable zélateur du sondage en ligne.
En 2012, l'Ifop sera peut-être le seul institut à miser ouvertement sur une «combinaison Internet-téléphone pour ses enquêtes d'intention de vote», comme le précise Frédéric Dabi, responsable du pôle opinion.
Grand intérêt pour les réseaux sociaux et les mobiles
Concernant les études qualitatives, les instituts sont de plus en plus nombreux à expérimenter les réseaux sociaux. Ainsi, CSA devrait lancer une offre à l'automne, et TNS Sofres et Semiocast viennent de créer le Twittoscope, présenté comme le premier baromètre d'opinion sur Twitter. Quant à Ipsos, il se dote d'une plate-forme en ligne d'analyse de l'opinion pour suivre, jusqu'en juin 2012, l'évolution des perceptions des citoyens. «Je ne suis pas absolument convaincu que les réseaux sociaux soient un terrain d'études sûr dans le champ politique. En France, seuls 3% des tweets portent sur la politique», remarque Bruno Jeanbart, directeur général adjoint d'Opinion Way.
La veille sur les réseaux sociaux, pas plus que l'animation de communautés en ligne, n'a vocation à se substituer ou à concurrencer les approches classiques. Mais elles constituent toutes deux pour les instituts un champ d'exploration méthodologique.
Même constat pour le mobile. Si tous les instituts s'y intéressent, leurs démarches relèvent encore massivement de la recherche & développement. Chez Harris Interactive, on dit y travailler de près au niveau monde. Rien ne sera encore visible en 2012, mais les terminaux mobiles investiront le champ des études d'opinion bien avant la présidentielle de 2017, affirme Jean-Daniel Lévy. Un terrain tout trouvé pour de nouvelles polémiques?