Les idées reçues ont la vie dure. Pour les publicitaires, le poker semble s'être arrêté au siècle dernier et à Cincinnati, au fond d'une pièce sombre et enfumée, avec Steve McQueen assis à une table de jeu. Des images qui ont inspiré la quasi-totalité des sites de poker, selon les observations de Yacast.
L'obscurité, le rayon lumineux du plafonnier éclairant le tapis, les regards lourds et l'atmosphère poisseuse sont les éléments incontournables des publicités pour le poker en ligne. B Win demande sur fond noir si nous sommes plutôt «tapis ou carpette». Full Tilt revient au temps du Far West et des duels. Poker Xtrem enterre les concurrents.
Quand le poker se détourne de ce discours musclé, le concept reste destiné aux hommes, comme Chili Poker qui propose de «pimenter» les parties grâce à de pulpeuses joueuses dont les arguments ne se résument pas à leurs cartes. L'humour n'est pas absent. Il est toujours très ciblé vers un public masculin. Poker Stars travestit des sportifs aux muscles saillants et Winamax met en scène des tueurs à gage ou des tyrannosaures.
«Non, notre message n'est pas agressif, se défend Canel Frichet, directrice générale de Winamax. Le jeu, à la base, est une confrontation. Mais notre discours, c'est de dire que les cartes ne suffisent pas, et qu'il ne faut jamais oublier la dimension humaine.» Dans ses films, signés DDB, le site compare les cartes à des armes, et les perdants finissent en escalopes sur le barbecue du vainqueur…
Rester fidèle au mythe
«L'univers du poker est masculin, il faut montrer qu'on “en a”, affirme Daniel Perez, concepteur-rédacteur chez TBWA Paris et responsable du budget B Win. Il y a un véritable enjeu. La seule valorisation personnelle, c'est d'écraser son adversaire.» Le message est clair.
Sortir de ce cadre créatif peut même être hasardeux. «Nous avons tenté d'autres voies, mais on ne peut pas s'éloigner du jeu et de ses codes fondamentaux, avoue Gilbert Scher, coprésident et directeur de la création de H. Des éléments comme la table, les cartes et un certain parfum font partie des mythes. Quant aux joueurs, la plupart ont de véritables “tronches” et incarnent un rôle.» Le créatif n'a pas dérogé à ces préceptes pour Poker Stars. La table de jeu, la lampe et l'atmosphère pesante sont au rendez-vous de ces films publicitaires dans lesquels se griment le joueur de rugby Sébastien Chabal et le tennisman Gaël Monfils.
Toutefois, ce tableau devrait s'éclaircir. Le marché des jeux en ligne n'est ouvert en France que depuis une dizaine de mois. Le premier souci des opérateurs était de recruter des clients, ce qui explique le fond agressif des campagnes. «Nous avons enfoncé des portes ouvertes, reconnaît Mathieu Porri, directeur associé chez DDB Paris. Après cette première étape, il va falloir valoriser le jeu et s'éloigner de cet univers commun à toutes les marques.»
Déjà, les sites se tournent vers d'autres thèmes. L'argent, tout d'abord, avec les gains potentiels, ou la promotion classique, comme l'inscription gratuite à un tournoi. Les personnalités, ensuite. Outre des sportifs, Yacast a relevé les présences de Bruno Solo ou Patrick Bruel, icônes du poker en France. My Pok a recruté le rappeur Joey Starr, pour rester dans l'univers des «bad boys». Le poker commence à construire aussi ses propres vedettes. Full Tilt parie ainsi sur le champion français Jean-Paul Pasqualini. C'est l'arrivée de nouveaux atouts pour le poker.