À l'instar de l'opération d'Ikea lançant à Paris le record du monde du covoiturage dans une Fiat 500 pour inciter ses clients à faire leurs courses à plusieurs dans un même véhicule, la 9e édition de la Semaine du développement durable a vu fleurir, du 1er au 7 avril, une multitude d'initiatives et d'actions de communication. L'événement a également été l'occasion de faire le point, via une série d'études et de conférences, sur la consommation responsable (lire aussi en p. 8), l'offre des entreprises et les nouveaux enjeux qui leur sont posés.
La nécessité de changer nos modes de consommation et de production s'impose plus que jamais dans une société en crise, marquée par la critique de l'hyperconsommation et la fin du bling-bling, l'envolée du prix des matières premières, notamment agricoles, ou encore la multiplication des catastrophes naturelles sur fond de dérèglement climatique. Le constat est sans appel: d'un côté, les ressources se raréfient, de l'autre, la consommation se développe, portée par l'accès des pays émergents aux modes de vie occidentaux. À ce rythme, en 2030, il nous faudra l'équivalent en ressources de 2,8 planètes, rappelle le WWF.
Les entreprises sont en première ligne. À commencer par les professionnels du marketing. Comment les faire évoluer pour construire une société de consommation durable? La question a été posée, mardi 5 avril, par le Comité 21 à l'occasion de la sortie du Guide pratique du marketing durable, élaboré en partenariat avec LH2, PWC et l'ESCP-Europe. Plus de 300 pages pour tout savoir sur les nouvelles approches ou les erreurs à éviter, exemples à l'appui, et se familiariser avec des pratiques et des notions inédites, comme la «valeur étendue» d'un produit ou d'un service. Autrefois, on ne parlait que de valeur ajoutée symbolique (part de rêve, style, etc.) et fonctionnelle (qualité, performance, etc.). Il s'agit cette fois des bénéfices qu'ils apportent à la société et aux générations futures.
Réinventer les modèles
Où en sont les acteurs du marché? Jusqu'ici, ils ont surtout cherché à améliorer leurs pratiques en se lançant notamment dans l'écoconception: allègement des packagings, suppression des suremballages, recyclage des matières premières. Ainsi, depuis un an, Danone multiplie les initiatives. En avril, sa bouteille Actimel en plastique sera fabriquée à partir de canne à sucre et non plus de pétrole.
Des produits biologiques ou «verts» ont également vu le jour. Toyota est souvent cité en exemple avec sa Prius, modèle hybride innovant qui permet de réduire la consommation d'essence, donc les émissions de CO2. Des distributeurs comme Carrefour prennent des engagements significatifs au regard des volumes engagés: le groupe a ainsi lancé fin 2010 un étiquetage «Nourri sans OGM» pour ses produits en marque propre.
Mais ces avancées ne sauraient suffire. «La croissance verte, qui consiste à améliorer l'existant, ne permettra pas de sortir de la crise écologique. Les limites du "toujours plus" sont atteintes. Il faut inventer de nouveaux modèles économiques», explique Julia Haake, directrice des partenariats entreprises du WWF France et coauteur de L'Entreprise légère, gagner plus en gâchant moins (éditions Delachaux et Niestlé).
Pour avancer sur cette voie, plusieurs professionnels misent sur la stratégie Océan bleu, formalisée par deux professeurs de l'Insead. Celle-ci consiste à créer de la valeur par l'innovation, à rechercher de nouveaux espaces inexplorés, les fameux océans bleus, par opposition à l'océan rouge, espace concurrentiel saturé. Cette méthodologie est à l'œuvre chez Ethicity ou encore chez Ernst & Young, qui l'appliquent au développement durable, considéré non plus comme une contrainte mais comme un levier d'innovation et de croissance.
Mais les exemples de stratégie de rupture sont encore rares. «Nous en sommes encore au stade de l'expérimentation, mais les entreprises réfléchissent, élaborent de nouvelles pistes», explique Gilles Degroote, consultant chez Ethicity, agence qui travaille en «greenbusiness»pour la SNCF, Danone et EDF. On peut toutefois citer Michelin, qui ne vend plus des pneus mais des kilomètres parcourus, ou encore Mu by Peugeot, qui propose un compte rechargeable pour acheter des services de mobilité en fonction de ses besoins (voiture, vélo, scooter, etc). Des exemples issus de l'économie de la fonctionnalité, qui substitue la vente d'un service à celle d'un produit. «Un autre modème économique, appelé "bottom of the pyramid", consiste à développer des offres pour les populations les plus pauvres de la planète, celles à la base de la pyramide», explique Éric Duvaud, associé responsable de l'activité environnement et développement durable chez Ernst & Young.
L'aspect social de plus en plus important
Une source de croissance qui permet aussi de réduire la pauvreté et les inégalités Nord-Sud. Ainsi, Danone et la Grameen Bank commercialisent un yaourt au Bangladesh, Essilor vend des lunettes correctives à moins de cinq euros dans les villages les plus reculés d'Inde, GDF-Suez électrifie les bidonvilles de Casablanca.
Avec la crise, la dimension sociale de la RSE se développe au-delà des pays émergents. «Jusque-là, les entreprises se sont focalisées sur l'environnement. Aujourd'hui, l'aspect social monte en flèche», explique Leslie Pascaud, chargé du marketing responsable à l'agence Added Value, qui rappelle que le développement durable repose sur trois piliers: social, environnemental et économique. On assiste ainsi à l'émergence d'un commerce équitable Nord-Nord. «Il ne s'agit plus de soutenir le producteur de café bolivien mais l'éleveur français, et de sécuriser l'approvisionnement des grands groupes», poursuit Leslie Pascaud.
Ainsi, depuis janvier, Danone affiche sur plusieurs de ses produits la provenance du lait qui entre dans la préparation, assortie de la photo des éleveurs. Une initiative qui s'inscrit dans un plan de soutien et de valorisation d'une filière en crise sur fond de réforme de la politique agricole commune et de libéralisation du marché laitier. L'approche est aussi «verte», puisqu'elle vise à réduire l'impact des exploitations sur l'environnement tout en améliorant l'alimentation des vaches. Enfin, elle vise un consommateur qui privilégie de plus en plus les produits locaux qui réduisent l'empreinte carbone et soutiennent l'emploi. Environnement, social et économique sont bien là au rendez-vous.