«Le lait peut être beau», «Petit-suisse, roulez jeunesse»… Le «rebranding» des packagings de Monoprix, qui met la sémantique au cœur, est un nouvel exemple de la porosité des métiers de la communication. Est-ce du design, de la communication éditoriale ou de la publicité? En l'espèce, c'est à un publicitaire, Rémi Babinet, président d'Havas City, que l'on doit ces yaourts customisés de Monoprix. «L'idée est de faire de chaque produit un ambassadeur de la marque, un vecteur du langage de Monoprix» expliquait-il dans Stratégies n°1607. «Oui, la sémantique est identitaire», affirme Aurélie Boué, présidente de l'agence éditoriale Tagaro DDB. Et d'ajouter, lucide: «L'expertise éditoriale se transversalise aux autres métiers de la communication, comme ce fut le cas pour le “digital”, qui n'est plus l'exclusivité des pure players».
Cette nouvelle donne fait du contenu un axe majeur de la stratégie des entreprises et des marques. L'irruption d'Internet y est pour beaucoup. Sur le Web, où les échanges sont immédiats, permanents et interactifs, les consommateurs, jusque-là cibles marketing, sont devenus des audiences à capter.
Le numérique, et plus encore le Web social, ont transformé la communication des annonceurs en une conversation continue. Et pour l'alimenter dans la durée, il faut du contenu.
Sur ce terrain de jeu élargi, les agences historiques de l'éditorial ne sont pas seules. De nombreux acteurs se pressent pour répondre à l'appel du «brand content». Les agences interactives sont en première ligne. Ce qu'Ogilvy Interactive réalise sur Internet avec «Louis Vuitton Journeys» est un modèle de contenus multimédias interactifs pour une marque. Et de 5ème Gauche à Publicis Net, qui a fusionné avec la publicitaire Marcel, les agences interactives se structurent pour délivrer du contenu. C'est tout le projet de Next Idea, filiale de Lagardère Active, qui mise sur les contenus journalistiques et le savoir-faire de production audiovisuelle du groupe plurimédia pour servir ses clients.
Source de diversification
Les agences médias sont également sur le pont. Elles ont toutes un département «brand content» et un atout sérieux: elles ont accès aux diffuseurs et maîtrisent donc les audiences – ce qui manque évidemment aux agences éditoriales. Plus facile donc pour elles de négocier, pour leurs clients, la création d'une chaîne thématique sur un portail, du sponsoring de rubrique ou un programme court…
Autres acteurs: les producteurs audiovisuels – ils peuvent aussi être partenaires des agences éditoriales comme Capa Production. Ou, comme AB avec Adven Studio, soutenir une agence d'advertainment, une agence de publicité et de marketing services. Ou encore les RP et les agences de média social, qui ont toutes besoin de contenu pour entretenir la conversation et la réputation en ligne.
Concernant les consumer magazines, l'un des métiers majeurs des agences éditoriales, ce sont les groupes de presse (Prisma Presse, Lagardère Active, Express Roularta, etc.) qui montent à l'assaut, trouvant là une source de diversification et offrant aux marques, selon les besoins, leur contenus journalistiques, la puissance de diffusion de leurs titres et l'expertise commerciale de leur régie.
Face à cette transversalité annoncée, et face à la crise de 2009 qui ne les a pas épargnées, les agences éditoriales ont senti, comme le dit Yves Camus, président de l'agence d'info-médias Because (ex-DDB) «la nécessité absolue d'affirmer la spécificité des métiers, que la multiplicité des supports et des intervenants rend parfois peu lisible pour les annonceurs, tout comme distinguer les contenus à forte valeur ajoutée du simple remplissage».
Il y a un an, Textuel La Mine (groupe TBWA) Euro RSCG C&O pôle éditorial et contenus, Lowe Éditorial, Tagaro DDB et Because ont donc décidé de créer une délégation communication éditoriale au sein de l'Association des agences-conseils en communication. Laurence Vignon, vice-présidente de l'agence Textuel La Mine, élue présidente s'en explique: «Au cœur de notre expertise, la production de contenu est revendiquée par de nombreuses disciplines et les spécificités de chacun souffrent d'une grande porosité. Notre métier a besoin d'être clairement distingué des autres.»
Ces agences éditoriales revendiquent la «qualité journalistique» de leur production et, au-delà des supports – print, vidéo, Web, et à l'avenir tablettes de type Ipad et smartphones – leur capacité à penser stratégie éditoriale et donc dispositif et plurimédia.
«Discuter et divertir»
«Le périmètre du contenu de marque est flou. Tout le monde peut donc en faire, constate Marion Combaluzier, directrice générale de Textuel La Mine. Mais le contenu éditorial ne s'improvise pas. Notre métier est de partir du réel pour informer. Nous avons les mêmes exigences qu'une rédaction pour recueillir, rédiger et mettre en scène l'information et nous employons des journalistes.» «Pour animer une page Facebook, un site ou un compte Twitter de marque, ajoute Aurélie Boué de Tagaro, on définit des modes de traitement, une grille de programmation de l'information tenant compte du média, des cibles et du positionnement éditorial de la marque.»
Chez All Contents, «les clients ont le choix du journaliste qui s'engage dans le temps», précise Olivier Breton, fondateur de l'agence et ancien président de Verbe. Son regard sur le métier est plutôt désappointé. «L'éditorial a toujours été le parent pauvre de la communication, souligne-t-il. Nous avons échoué dans la formation d'une nouvelle génération qui ferait le pari d'un lectorat intelligent. Il y a trop de "Google men" et de chefs de projet qui gèrent des marges brutes dans les agences éditoriales.» Son projet: créer avec l'École supérieure de journalisme (ESJ) une formation à la communication éditoriale.
La vérité de ce marché c'est que «le contenu est happé par la publicité et les réseaux sociaux», explique Éric Camel, président d'Angie qui se positionne sur le «corporate content». D'où la nécessité de s'adapter.
«Angie sait informer. Demain elle devra discuter et divertir, assure-t-il. “Digitalisée” il y a plus de dix ans, l'agence va recruter des compétences en veille et conversation, le métier des RP. Et par croissance externe, elle ira sur le divertissement pour faire évoluer la communication interne.» Angie a déjà réalisé une série humoristique pour l'intranet de Keolis. Chez Publicorp, Éric Tazartez, son président, a défini un plan stratégique pour prendre en compte les mutations et a créé un poste de direction en charge de la veille.
Relation dans la durée
Concernant les agences éditoriales axées B to C, Éric Camel estime inévitable un rapprochement avec la publicité. Comme l'a entrepris, dès 2007, BDDP & Fils avec sa cousine éditoriale Textuel La Mine. Leur rapprochement a donné naissance à BDDP Unlimited, à triple ADN, publicitaire, contenu et marketing services. On lui doit récemment les webdocumentaires pour SFR et la Fondation abbé Pierre.
Il y a un an, Robinson et Créapresse chez BBDO ont, elles, fusionné dans l'agence New. Pour sa part, M&C Saatchi GAD a débauché, début 2011, Catherine Malaval, la directrice de Lowe Éditorial.
Chez DDB, le projet semble moins clair. Aurélie Boué, présidente de Tagaro DDB rue dans les brancards. «Si mon métier se transversalise, tant mieux, cela fait grandir le marché », affirme-t-elle. Mais pas question qu'il soit marginalisé, comme pourrait le laisser supposer la nouvelle organisation qui intègre Tagaro DDB dans l'entité Diversified Agencies. Consciente du danger pour son métier, et afin de neutraliser les concurrences, Aurélie Boué défend que «l'avenir des agences éditoriales, au sein des groupes, passe par des synergies avec la publicité et le marketing services». Ses arguments: «Entre deux temps d'expression publicitaire, la fonction de la communication éditoriale est d'assurer l'animation éditoriale de la relation dans la durée et la gestion de la conversation.»
Verbe, l'agence éditoriale rattachée à Publicis Consultants, en retard sur le digital, repense aussi son modèle, mais sur d'autres convictions. Son nouveau directeur, Philippe Masseau, a un profil Web non éditorial. Transfuge de Digitas, il veut associer le marketing interactif et sa dimension de retour sur investissement à la logique de production de contenus. Son credo: connecter les contenus aux objectifs de business des marques, c'est-à-dire à la performance. «Connecting Content Model» est la nouvelle signature de l'agence, dont on se dit qu'elle devrait aussi changer de nom et se rapprocher du marketing services !
La bataille du contenu est une bataille de modèle d'agence. Qui l'emportera? Pour Marion Combaluzier, «c'est l'agence qui aura l'audience, la capacité à gérer les réseaux sociaux et à produire des contenus journalistiques et qui a une connaissance et une réflexion sur la marque». Un modèle idéal…