Dossier
Entre les atermoiements de leurs clients et la nécessité d'investir, les agences de communication éditoriale négocient un virage critique.

Ouf! L'année 2010 n'aura pas été aussi sombre que les Cassandre l'annonçaient. Non que le marché de la communication éditoriale ait renoué avec ses croissances d'avant-crise. Mais, pour nombre d'agences, le deuxième semestre 2010 – avec un mois de décembre particulièrement fertile – a permis de contrebalancer un début d'année totalement atone. Le lancement de compétitions significatives et la réouverture de certains robinets budgétaires leur ont apporté une bouffée d'oxygène en même temps que de nouveaux clients.

Fin 2010, Sequoia, lʼagence corporate de Makheia Group, a signé des contrats avec des entreprises comme Safran, la Fondation Total et EDF R&D. Angie a hérité de dispositifs multicanal à la Direction générale de la modernisation de l'État et au Conseil national de l'ordre des pharmaciens, ainsi que d'une brochette de rapports annuels et quelques portails B to B comme celui de l'Agefiph. Début 2011, All Contents annonce pour sa part neuf nouveaux budgets, parmi lesquels Accor Novotel, la Compagnie financière de Rothschild, la Française des jeux, BPCE et la Caisse des dépôts.

Bref, il semblerait que l'année 2011 parte sur de bonnes, voire de très bonnes bases, laissant derrière elle une année 2010 «neutre», avec pour les plus chanceux ou les mieux organisés des croissances frôlant 1% ou 2%. Mais après un millésime 2009 vraiment difficile pour des entreprises longtemps habituées à des croissances avoisinant les 10%, cette séquence 2010 confirme une tendance structurellement récessive.

Les professionnels du secteur observent les symptômes d'un marché tendu: pression accrue sur les prix, resserrement des investissements, ralentissement du rythme des compétitions, avec des appels d'offres au demeurant de plus en plus chaotiques. Les entreprises n'ont plus aucun scrupule à mettre en concurrence huit ou dix agences de front pour, au final, jeter l'éponge au motif de compressions budgétaires. «Le temps passé sur les compétitions est devenu exorbitant et met réellement en péril les agences et le métier», estime Philippe Masseau, directeur général de Verbe (7 millions d'euros de marge brute, 50 salariés), filiale de Publicis.

Stratégies de consolidation

Face aux atermoiements de la demande, les agences doivent consolider leurs assises avec un avantage immédiat aux structures affiliées ou aux départements intégrés. L'adossement aux groupes de communication sécurise les affaires. En 2011, le pôle éditorial et contenus d'Euro RSCG C&O prévoit de réaliser 50% de son activité avec des clients internes au groupe.

Pour les agences indépendantes, la différence se jouera sur des critères de santé financière, mais aussi sur la pertinence des choix stratégiques, en termes de positionnement et d'organisation. «Les entreprises qui réalisent entre 2 et 7 millions d'euros de marge brute vont souffrir», prédit Éric Camel, patron d'Angie, qui annonce pour sa part une marge brute 2010 de 12 millions d'euros, en croissance de 2%.

Les stratégies de consolidation en cours devraient se traduire par des opérations de croissance externe ou a minima par des rapprochements. Makheia Group pourrait annoncer dès cet été le rachat d'une structure de web-TV. La chasse est également ouverte chez Angie. «Nous regardons le marché», confirme Éric Camel. Son agence, qui cherche à s'affirmer sur le terrain de l'influence et les relations publiques, pourrait «concrétiser» une opération dès avril.

Mais le grand facteur de perturbation – dont on a du mal à évaluer l'onde de choc – relève de l'éruption numérique, qui interroge nécessairement des entreprises structurées sur des modèles historiquement liés à l'édition papier. Pour Édouard Rencker, président de Makheia Group, le déclin du print ne fait aucun doute: «Chaque année, 25% des budgets "papier" migrent vers d'autres médias.»

Création de pôles numériques, investissement dans les outils, recrutement d'équipes… Pas une agence qui ne soit gagnée par cette déferlante, même les plus estampillées print. En 2009, Textuel réalisait 50% de son activité avec le «digital». En mai 2010, l'agence devient Textuel La Mine (TBWA), accolant à sa marque ce qui désignait jusqu'alors son activité numérique.

Valeurs militantes

Verbe (Publicis) a recruté une dizaine de personnes en provenance du numérique. Publicorp (7,6 millions d'euros de marge brute, 80 salariés) a créé une «business unit» digitale. Sequoia se lance dans les réseaux sociaux et vient de développer une dizaine dʼapplications pour mobiles et tablettes tactiles. Et toutes les agences, même les plus petites, se dotent d'une expertise en gestion de communauté.

Le numérique ne fait pourtant pas tout. Pour les agences qui en ont les moyens, la pérennité économique passe par la capacité à concevoir, construire et animer des dispositifs plurimédias. Alors que le panier moyen d'une réalisation de communication éditoriale tourne autour de 50 000 euros, les chantiers multimédias peuvent représenter des budgets de 2 ou 3 millions d'euros.

Pour les plus grosses agences, difficile de rester dans le marché sans investir dans les plates-formes éditoriales. Pour les autres, à l'heure où les outils se généralisent, où les expertises se partagent et les scénarios se copient, la différence se joue sans doute davantage sur le positionnement et l'identité.

La longévité de Plan créatif plaide pour la défense de valeurs «militantes». Créée en 1985, ce groupe indépendant, qui emploie 90 personnes et annonce 10,5 millions d'euros de marge brute pour 2010, a toujours revendiqué l'engagement pour des références humanistes. «Les entreprises recherchent de plus en plus des spécialistes. Pour une agence indépendante, c'est une opportunité en termes de reconnaissance», affirme Fabienne Cammas, sa directrice générale.

Développement durable, responsabilité sociétale, solidarité: pour les agences aussi, le temps est à l'engagement. En janvier 2011, Dixit Communication s'est créée à Toulouse sur le créneau «écoresponsable» et solidaire, en assurant bénévolement la communication de la section départementale de l'Unicef. Il y a fort à parier que de petites et moyennes structures se créent ou se réorganisent prochainement sur des champs conjuguant valeurs, identité et expertise.

 

 

 

 

 

 

La délégation communication éditoriale de l'AACC à l'heure du premier bilan

 

Un an après sa création, quel premier bilan pour la délégation communication éditoriale de l'Association des agences-conseils en communication (AACC)? Une étude qualitative a été confiée à l'institut Opinion Way pour évaluer la perception et les attentes des communicants d'entreprise. Les premiers résultats confirment les constats établis par la profession sur la période récente: fonction stratégique de la communication éditoriale face aux mutations des entreprises, aspiration clairement exprimée à une approche journalistique de la communication, nécessité de mobiliser des paroles extérieures à l'entreprise pour éclairer ses choix, porosité des frontières entre les communications externe et interne, prégnance du multicanal et du multicible. Autre champ d'action de la délégation: la généralisation de la désignation «communication éditoriale» pour qualifier et circonscrire le secteur.

Les compétitions en question

«Contrairement à l'édition d'entreprise, la communication éditoriale désigne une expertise, et non des supports imprimés, ce qui est important à l'heure où le numérique s'invite massivement dans nos métiers», explique Laurence Vignon, présidente de la délégation et vice-présidente de Textuel La Mine.

Enfin, les agences membres entendent activement concourir à la réflexion engagée par l'AACC sur les modalités de compétition. Alors qu'elle ne compte encore que six agences (Euro RSCG C&O, Lowe Éditorial, Tagaro DDB, Because, Textuel La Mine, Verbe), la délégation doit également rallier de nouvelles marques et élargir la représentativité aux agences indépendantes.

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