Revalorisation des savoir-faire ancestraux, retour au local et au fait main... Ce phénomène touche de très nombreux rayons alimentaires aujourd'hui et s’accompagne d’une explosion de l’offre, souvent proposée par des petits acteurs qui n’hésitent pas à bousculer les standards et les codes. C'est ce que nous appelons la «craftérisation», de l’anglais craft (artisanat). Tout a commencé lorsque nous nous sommes intéressés au phénomène des bières artisanales qui, il y a quelques années, ont remisé à la cave leur statut de produit pour passionnés. Depuis, cette tendance s'est étendue à d’autres marchés. Le nombre de petites références explose dans de nombreux domaines ; une porte d’entrée s’ouvre pour des marques nouvelles, plus petites, moins contraintes, qui parviennent à grignoter des parts de marché aux géants de leur secteur.
Pour être estampillé craft, il faut cocher trois cases. D'abord, la (re)découverte de l’aliment ou de la boisson sous un angle méconnu, oublié ou délaissé. Le retour en force du muesli et du granola, des céréales perçues comme brutes, plus naturelles et donc meilleures pour la santé, l'illustre parfaitement. Côté viande, on revient aux origines (Japon, Amérique du Sud, Aubrac) et à la maturation longue comme celle observée par nos ancêtres. Pour le thé, on ne parle plus simplement de thé nature, au jasmin ou d’English breakfast, mais de thé d’Inde, d’Afrique du Sud, de thé Rooibos, oolong ou matcha, issu de la plus pure tradition japonaise.
Le plus de l'imparfait
La deuxième case à cocher est celle de l’authentique, du vrai. Contrairement à l’industriel formaté et aseptisé, le craft implique alors une forme d’irrégularité, d’imperfection, qui n’est plus seulement tolérée mais vivement souhaitée. Enfin, il faut de l’audace. Le craft impose de briser les règles de la production de masse mais aussi les standards attendus en proposant des produits originaux dans tous les sens du terme. Les petits acteurs du craft respectent profondément la tradition, ce qui ne les empêche pas de jouer avec elle en la dépoussiérant. C’est ainsi que vous pourrez croiser de la bière aromatisée au thé, des sushis de bœuf ou du vin de qualité en cubi.
Après avoir risqué l’ubérisation, votre secteur n'est-il pas en voie de «craftérisation»? Quelques indices permettent de le détecter, comme l’apparition ou la croissance anormale de boutiques spécialisées sur votre marché, à l’image des boucheries haut de gamme, des comptoirs à thé ou des bars à céréales. La modification des codes et l’apparition de nouveaux formats de production ou de distribution, comme les caves de maturation ou les sacs de céréales qui remplacent les boîtes en carton, sont aussi un signe, tout comme la révision des prix à la hausse, les notions de qualité et de savoir-faire justifiant souvent des prix conséquents. Enfin, soyez attentifs au déplacement du public vers des catégories de transition, comme les bières d’abbaye, qui deviennent la porte d’entrée dans l’univers des bières craft, ou Kusmi Tea, qui s'est imposée face aux géants comme Lipton.
Un public demandeur
Si elle ne sonne pas le glas des grandes marques industrielles, le marché n’ayant pas vocation à se craftériser à 100%, la «craftéirisation» est malgré tout une tendance de fond. En témoigne l’obligation pour les grandes marques de reprendre les règles de l’univers craft, comme McDonald's, qui a annoncé en France le triplement de ses approvisionnements de steak haché de race charolaise d’ici 2019 fort du succès de ses recettes Signature by McDonald’s. Car si toutes les marques n’ont pas vocation à devenir des marques craft, toutes doivent apprendre à vivre avec au risque de disparaître. Au-délà du potentiel business, la progression du craft nous parle avant tout du public, de ses aspirations et de ses envies, mais aussi de ses peurs.