Chronique

Au-delà du sentiment d’injustice face à la maladie, peu de choses auront réussi à me mettre en colère pendant le confinement. Le télétravail érigé en dogme, en nouveau graal, en est une. Évidemment, il nous a permis à tous de traverser la crise. Bien sûr il peut correspondre à certains modes de collaboration et il offre des solutions, notamment pour des salariés dont le temps de transport est une vraie contrainte. Évidemment, il peut s’envisager à rythme régulier en fonction des entreprises et de leurs activités. Mais vouloir que demain le télétravail devienne la règle, m’exaspère. Pour trois raisons au moins.

D’abord parce qu’il est pour moi à l’opposé de nos métiers. Si un jour dans mon parcours j’ai choisi la communication, c’est avant toute pour une raison : j’aime les gens. J’aime leur contact, leurs différences, nos échanges autour de l’actualité debout dans le couloir ou à la machine à café, j’aime la force de conviction dans leurs regards et leurs intonations, j’aime partager leur humeur d’un jour de pluie ou d’un soleil de printemps. Et bien non tout cela, malgré tous les progrès de la technologie, désolé Teams, avec ta galerie de douze portraits bien cadrés, tous ressemblants, aseptiseurs d’expressions, tu ne peux pas me l’offrir. Et quand une réunion physique s’éternise, cela arrive, je m’accroche par respect pour l’autre, ce respect que je n’ai plus quand je désactive ma caméra pour faire autre chose face à l’ennui qui me guette. Alors définitivement non, je n’ai pas choisi ce métier pour être collé derrière un écran, pour envoyer des mails, je n’ai pas choisi ce métier, la COMMUNICATION, pour basculer en permanence dans un télétravail déshumanisant.

Si j’ai ensuite choisi de «manager», c’est pour transmettre : des valeurs, une curiosité, des comportements, une exigence, une écoute. Cette transmission, désolé Skype, tu ne pourras jamais rivaliser avec ces moments passés autour d’une table à reprendre une note, à poser chaque mot, à confronter des analyses. Parce que cet instant ou l’autre t’interrompt, où tu rebondis, où tu prolonges une idée, ce silence ou l’idée jaillit, quand un visage s’illumine où quand le sourcil se fronce, il n’existe que dans la vraie vie. Il ne pourra jamais être aussi riche de spontanéité quand il faut que tu demandes la parole via le petit picto que quand cela se fait spontanément. Le télétravail est un frein à la transmission, au partage d’expériences, au « qui m’apprend ?». Il est à ce titre un accélérateur d’inégalités entre ceux qui progressent vite et les autres. Et il réduit l’échange professionnel à sa plus simple utilité : l’urgence, l’ordre du jour, le livrable, empêchant souvent de « dézoomer » au-delà de la réunion «Zoom» quotidienne.

Accélérateur d'inégalités

Enfin, si j’ai choisi à un moment de ma vie de créer une entreprise, c’est parce que je crois que l’entreprise est une communauté. Elle n’est pas une famille, elle n’est pas un club d’amis, mais elle fait partie du lien social. Elle rassemble pour une période plus ou moins longue, des individus qui ont choisi de mettre leurs efforts en commun au service d’un projet. J’ai, sincèrement, beaucoup de respect pour les free-lance et les indépendants, mais si j’ai fait le choix de l’entreprise, c’est pour rejoindre ou créer un collectif incarné, une équipe, qui vibre, qui s’anime, qui se bouscule. Dans ses bons et ses mauvais moments. Dans les doutes et les espoirs. Dans les compétitions gagnées comme dans les engueulades d’un client. Je suis en complet désaccord avec Olivier Babeau lorsqu’il affirme : «on s’est rendu compte qu’aller au bureau – et en avoir un – était plus un rite qu’une nécessité». D’abord parce que toute communauté a besoin de rites. Ensuite parce que se voir, se parler, être ensemble, ce n’est pas un rite, c’est une nécessité humaine. Et enfin parce qu’une entreprise est vouée à l’échec si elle n’est qu’une juxtaposition d’individus mercenaires, qui ne seraient pas reliés par un projet et une ambition commune. Le projet d’entreprise, en tout cas le mien, n’est pas soluble dans le télétravail.

Alors, même si j’ai mon âge, même si je n’ai pas à prendre les transports, même si je ne suis pas digital native, je refuse de me laisser culpabiliser. Partisans du télétravail, je respecte votre choix. Mais ne cataloguez pas l’ancien monde, ne donnez pas de leçons de management et de modernité à ceux qui n’adopteront pas vos codes. Rendez-vous dans quelques années. On se sera sans doute rendu compte que dans nos métiers aussi la valeur du lien humain est irremplaçable.

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