Cette semaine nous a offert un téléscopage comme je les aime. Un de ceux qui rend les choses plus claires, presque évidentes : fallait-il se rendre à VivaTech ou au Festival de Cannes ? Assister à la «remontée en puissance» de notre économie ou à la résistance de notre exception culturelle ? Ecouter les leçons des vrais champions pour enfin «peser» à l’ère numérique ou s’émouvoir et voir la lumière dans les salles obscures ?
En fait, est-il bien raisonnable de mener deux telles batailles de front, le rattrapage et la singularité ?
Prêter allégeance pour émerger
En effet, Vivatech se prête depuis trois éditions maintenant, avec succès, à un exercice stratégique, primordial, et donc délicat. Pour exister en 2019 avec la concurrence de dizaines d’événements dédiés aux acteurs de la révolution numérique, il faut les poids lourds, les «têtes d’affiche». C’est une première gageure : pour valoriser l’émergence, il faut s’assurer de la présence des forts qui les écrasent. Et ce qui m’a beaucoup marqué cette année c’est que ces puissants ne sont plus aussi attirants. Comme la capacité de recrutement de Facebook aurait chuté au moment des révélations de Cambridge Analytica, l’aura des super stars a pâli. Cette année, la tech a dû se présenter sous d’autres atours : tech for good, beaucoup, portraits des femmes de la tech plutôt que des habituels mâles blancs… la tech est en recherche de rédemption. En 2018, Mark Zuckerberg et quelques-uns de ses semblables étaient à Paris pour VivaTech mais aussi (surtout à mon avis) pour la mise en application de la directive européenne de protection des données personnelles, la fameuse RGPD, le 25 mai. Situation cocasse mais cela avait marché. Cette année les ficelles se voyaient plus.
Autre nouveauté de cette édition, la Chine était très présente, avec Jack Ma d’Alibaba et Ken Hu de Huawei entre autres. C’est d’ailleurs une perspective intéressante, même si c’est une autre allégeance après celle faite aux géants de la Silicon Valley : l’Europe peut réunir les deux superpuissances alors qu’on n’imagine plus des Chinois (Huawei en tête) se rendre aux États-Unis dans un avenir proche, et que la présence des Google, Facebook, Amazon, etc. n’a jamais été une franche évidence en Chine.
Trouver sa différence : CAC40 et politique
Mais si avoir les poids lourds est nécessaire dans une industrie qui pratique les effets de réseau jusqu’au monopole, ce n’est pas suffisant. Il faut trouver ses spécificités. Celles de la France sautent aux yeux : la prédominance du CAC40 et l’omniprésence de l’Etat. Signe révélateur, cette année les stands de LVMH (co-organisateur avec Publicis) et de L’Oréal ont beaucoup impressionné. Plus que toute autre conférence au monde, Vivatech, c’est l’événement de la transformation numérique et des grandes entreprises. Ce sont elles les pôles qui structurent la présence des start-up, les sponsors, les puissances invitantes.
Autre spécificité, très française, l’importance et l’implication de l’État et de son chef dans la réussite de cet événement. La genèse - ou la V0 - de VivaTech c’est l’e-G8 voulu par Nicolas Sarkozy en prélude du G8 de Deauville en mai 2011 et dont l’organisation avait été confiée à Publicis déjà. L’occasion d’un premier fireside chat marquant entre Mark Zuckerberg et Maurice Lévy et l’occasion de parler de l’impact politique de Facebook non pas pour évoquer l’élection de Donald Trump, le Brexit, les fake news ou la montée des populismes mais… la réussite du Printemps arabe ! Vertigineux.
À la française, un peu comme le Salon de l’agriculture auquel on le compare désormais, le climax de l’événement c’est la visite d’Emmanuel Macron, et ses rencontres impromptues (Usain Bolt cette année) : un des principaux indicateurs de la réussite de Vivatech c’est le temps que le président de la République et les membres de son gouvernement passent à la porte de Versailles.
Champions mondiaux, CAC40 et politique française, un cocktail pour pallier la faiblesse relative de nos start-up et la rareté de nos licornes... De ce point de vue, on progresse, nos start-up sont bien meilleures et tellement plus nombreuses mais la question est de savoir si nous le faisons assez vite.
Quant au Festival de Cannes, son leadership est indiscutable, c’est une de nos meilleures vitrines et la politique y est assez peu présente. Est-ce la raison pour laquelle les messages sont contradictoires ? À la dernière cérémonie d’ouverture, mon idole Édouard Baer a fustigé les usages numériques pour leur opposer l’amour du 7ème art et de l’expérience du cinéma, «grand écran», noble et émancipateur. Il n’a pas forcément tort mais on pouvait espérer moins manichéen de la part d’une production française.
Je rêve, comme Alphonse Allais qui voulait construire les villes à la campagne, d’un Cannes de la Tech : une réconciliation de nos industries culturelles, créatives et technologiques pour créer la meilleure vitrine et la meilleure concentration de nos talents.