« Si tu n’innoves pas, tu meurs ! » Un vent fort s’est levé depuis dix ans dans les entreprises. Comme pour les cyclones, on lui a cherché un nom cool pour gommer la violence du séisme annoncé. Le mot transition : « passage progressif entre deux états » s’est imposé face à « révolution, transformation, ou rupture », jugés trop abruptes sans doute !
Nous voilà tous plongés dans l’inconfort d’un entre-deux aux multiples facettes : transition énergétique, écologique, digitale, alimentaire, économique...
La désintermédiation tous azimuts et l’avalanche de nouveaux services imposent à toute entreprise de mettre en place des stratégies d’innovation d’une ampleur inversement proportionnelle au temps dont elle dispose pour les réaliser.
Ce mouvement subi et précipité permet au moins de faire tomber plusieurs idées reçues.
L’innovation : solution universelle
Les comex décrétant l’urgence de l’innovation n’ont pas fait que du bien. On a souvent confondu vitesse et précipitation en surchargeant les agendas de séminaires et d’ateliers collaboratifs, prenant à revers les R&D, et faisant croire qu’il suffisait de plonger dans une piscine à boules pour faire émerger l’innovation du siècle ! Véronique Hillen, dans la préface de l’excellent ouvrage de Marc Giget (1), relève le taux d’échec élevé de 85 % pour les innovations mises sur le marché. Taux supérieur aux moyennes historiques de 66 %. La raison ? La trop faible prise en compte des attentes des utilisateurs et l’absence de prise de risque dans la phase de déploiement.
L’innovation : affaire de tous
L’oukase innovation est pour beaucoup dans les souffrances ressenties au sein de l’entreprise. On a parfois voulu transformer tout le personnel en Indiana Jones ou Steve Jobs… Pierre d’Huy, en introduction de L’Innovation pour les nuls (2), a raison de prévenir : « Toutes les organisations sont faites pour maintenir un statu quo. Les entreprises sont faites pour répéter des processus d’exploitation, dont les dirigeants savent qu’ils sont rentables… ». L’innovation est donc une affaire de spécialistes qui ne peut et ne doit pas concerner toute l’entreprise.
L’innovation : réservée aux jeunes
Une vague de jeunisme a déferlé sur les organisations. Un mauvais usage de l’innovation a pu laisser penser aux salariés qu’ils devraient songer à leur reconversion sitôt la trentaine passée ! Traumatisme particulièrement violent dans les organisations qui avaient fondé leur longévité sur le faible turnover de leur effectif. On sait désormais que c’est de l’association des âges et de l’hybridation des expériences que naissent les projets les plus innovants.
L’innovation : monopole des start-up
La parade est enseignée partout ! Si vous êtes attaqués par plus innovant que vous, achetez des start-up, incubez à tour de bras, et vous verrez… ça dynamisera vos équipes. Après une décennie d’acquisitions, de promesses (souvent non tenues), d’équipes dynamitées, le constat est sans appel : la réussite des stratégies d’innovation vient des grands groupes et « les intrapreneurs créent plus de croissance que les entrepreneurs de start-up » (3).
L’innovation facile avec le benchmark
La pratique qui consiste à citer une innovation en valorisant son caractère disruptif, sans prendre en compte les réelles conditions de son succès, a vécu. Après Apple, Amazon est désormais au top du bench office. Si l’exercice reste valide, la décennie qui s’achève a montré que TOUT n’est pas transposable.
Ces malentendus dissipés, que va-t-il rester de cette décennie innovante et fébrile ?
Une meilleure compréhension des enjeux de l’innovation, de la place qu’elle doit occuper et des résultats que l’on peut en attendre. Un corpus académique riche des expériences, des voyages d’études et des travaux conduits à partir de ceux menés par la d.school de Stanford aux États-Unis et de chaires d’innovation comme celle de l’Edhec. Des espaces dédiés à l’innovation dans beaucoup d’entreprises comme le Groupe ADP, Michelin, Arkema, Boulanger, RTE, Somfy… qui, par l’immobilier, ont réussi à incarner et stimuler leur stratégie d’innovation et leur créativité.