Pour fêter les dix ans de Free Mobile, Xavier Niel se met en scène dans une vidéo élyséenne où il invite les Français à ne plus se faire avoir en se tournant vers l’opérateur qui tient ses engagements.
« Mon ambition est d’être l’opérateur de tous les Français et vous aider à communiquer… sans vous niquer. » Après retentissement de la Marseillaise, en costume cravate dans un décor élyséen, Xavier Niel a choisi de célébrer les dix ans de Free Mobile à sa façon. En enfant terrible des télécoms, il ne rechigne pas à se mettre en scène en majesté dans une vidéo diffusée le 10 janvier se terminant par un mot que le petit Larousse qualifie de « très familier ou vulgaire ». Histoire de faire passer à la hussarde un message et une promesse : des offres proposées sans engagement, des forfaits mobiles inchangés à 2 euros et 19,99 euros par mois depuis dix ans, et surtout l’assurance qu’ils n’augmenteront pas dans le prochain « quinquennat ».
Le clin d’œil aurait pu en rester là. Mais il s’agit aussi, à l’évidence, de faire le buzz à travers cette chute osée et en pointant des traits saillants chez les derniers présidents de la République : Mitterrand et sa fille cachée, Chirac et sa Corona, Sarkozy et sa Rolex (qui est aussi une allusion à Jacques Séguéla), Hollande et sa présidence « normale », Macron et son job qu’on trouve en traversant la rue. Même Zemmour est évoqué (« sans vous demander de changer de prénom »).
Reste la question : Free a-t-elle bien fait de s’arrimer ainsi à la campagne présidentielle ? L’intrusion des marques dans la politique est plutôt rare et elle se fait le plus souvent à leur corps défendant comme en témoigne la réaction de Kärcher à la récupération de son nom par Valérie Pécresse. La vidéo, réalisée en trois heures sur fond vert avec l’aide de deux anciens auteurs des Guignols, assume son côté « potache » et ne cherche qu’à marquer les esprits. Xavier Niel n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai puisqu’on lui doit aussi une vidéo de novembre 2020 rebondissant sur le film complotiste Hold-up à propos de la 5G. Bilan : 4 millions d’impressions en diffusion organique sur les réseaux sociaux (dont 3,6 millions sur Twitter).
Cette fois, le terrain est toutefois plus glissant. La formule du patron, « Quand je fais une promesse, moi je la tiens », peut s’apparenter à du populisme. « Ce genre de message contribue à l’évidence à alimenter la défiance à l’égard de la parole politique à un moment de crise de confiance majeure dans notre démocratie, assène Jean-Christophe Alquier, spécialiste de la communication de dirigeants. Je ne comprends pas l’irruption de l’entreprise Free dans les champs du rejet du politique et de la délégitimisation de nos élus. »
Un choix d’autant plus surprenant que Xavier Niel apparaissait jusqu’ici en soutien d’Emmanuel Macron : « On a un super président qui est capable de réformer la France », avait-il déclaré sur Europe 1 en décembre 2018. Une incursion – mais pas une opinion – qu’il a semblé depuis regretter dans l’émission C à Vous de France 5, produite par Mediawan, le 12 janvier dernier : « Dans ce pays, on a une impossibilité de dire ce qu’on pense parce que ça va directement être vu du point de vue politique, et vous allez vous faire défoncer ou menacer. »
Liberté, simplicité, prix modérés. Mais du point de vue de Free, qu’en est-il ? L’entreprise n’a pas fait appel à une agence pour communiquer sur ses dix ans (elle a travaillé dans le passé avec DDB puis Herezie et Buzzman) et sa « manière de travailler au plus juste » sur les réseaux sociaux est aussi un moyen « d’avoir de la résonance et de prendre la parole efficacement avec des relais extrêmement forts qu’on n’a jamais à la télé », selon Camille Perrin, sa directrice marketing. Au passage, signalons que l’objectif est à moitié atteint car si la vidéo a déjà collecté 2 millions d’impressions organiques dont 1,5 million sur Twitter, elle s’est heurtée aux règles algorithmiques du « profanity word » chez TikTok et Instagram qui empêchent la diffusion d’un juron dans une campagne achetée d’amplification d’une vidéo. Aussi, comme l’a reconnu Xavier Niel lui-même, son message a-t-il été publié sur ces réseaux amputé de sa gauloise chute.
Pour Free, l’essentiel est sans doute ailleurs. La marque a profité de ses dix ans pour montrer qu’elle était capable de majorer sans surcoût son offre en termes de services : un forfait data qui passe à 210 Go par mois en 5G, 100 Go (+10 Go de roaming) à 10,99 euros par mois pendant un an pour les nouveaux abonnés du 10 au 18 janvier… L’occasion de réaffirmer un positionnement sur le prix bas qui a permis d’intégrer la 4G puis la 5G sans augmenter ses tarifs. « On a voulu rappeler aux plus jeunes ce que Free Mobile a permis : la liberté avec le “sans engagement”, qui est passé de 10% à 70% des forfaits, la simplicité avec seulement trois offres, les prix bas enrichis en data… ». Sans oublier le rejet des coûts cachés. « Quand on a lancé Free Mobile, on a divisé les prix par deux et développé les usages », souligne Camille Perrin, la facture moyenne mobile des Français passant de 27,30 euros en 2012 à 14,30 euros en 2022, selon l’Arcep.
Le coup de com est-il à la hauteur du « coup de pied dans la fourmilière » de 2012, comme dit la directrice marketing ? Jean-Christophe Alquier, qui juge le clip « ringard » et « en réalité très politiquement correct », pointe aussi une question de fond : le trublion n’est plus tout à fait le même. « L’homme qui nous parle est devenu un pur produit, voire l’épicentre d’un certain establishment français », sourit-il.