Abstentionnistes, primo-votants, femmes... Radios et télés tentent de donner un nouvel élan à la traditionnelle émission politique, à quelques semaines de l'élection présidentielle, en faisant participer un public auquel auditeurs et télespectateurs sont susceptibles de s'identifier.
Dans un contexte de défiance envers les personnalités politiques et les journalistes, les médias veulent retrouver «une place de confiance auprès des Français» et leur donner «les moyens» pour «éclairer leur décision citoyenne et leur vote», explique Marie-France Chambat-Houillon, sémiologue et analyste des médias, directrice du laboratoire "Communication, information, médias" à l'université Sorbonne Nouvelle.
«Ils ne se font plus simplement les relais de l'information mais ils endossent un rôle social, une mission citoyenne», poursuit-elle, afin notamment de lutter contre l'abstention, élevée lors des derniers scrutins. LCI a ainsi créé l'émission "Mission convaincre", où les candidats à l'Élysée seront tour à tour interrogés par six abstentionnistes sélectionnés par l'institut Ifop. Valérie Pécresse (LR) est la première invitée lundi. «La mission de la chaîne, c'est de convaincre les gens de s'intéresser à la politique et pourquoi pas aller voter», espère Fabien Namias, directeur général adjoint de la chaîne du groupe TF1. LCI s'est également associée au magazine féminin ELLE pour un autre programme intitulé "Face aux Françaises" et diffusé le 7 mars, à la veille de la Journée internationale des droits des femmes.
Dans cette émission, ce seront des femmes qui questionneront les candidats sur «des thématiques qui les concernent comme l'égalité, la parité ou le harcèlement», détaille Fabien Namias. Pour Marie-France Chambat-Houillon, il s'agit également de ne pas passer à côté d'une certaine audience et les médias gagnent à cibler un public en particulier. BFMTV a emprunté une voie semblable avec "La France dans les yeux", où les candidats sont interrogés par des citoyens aux profils divers (agriculteurs, étudiants, retraités...) qui posent des questions «à hauteur d'homme» et «concrètes», raconte Marc-Olivier Fogiel, directeur général de la chaîne.
L'émission, qui n'a connu qu'un seul numéro jusqu'à présent, avait initalement été confiée au journaliste Jean-Jacques Bourdin, qui a fait de la proximité avec le public sa marque de fabrique mais a depuis été écarté de l'antenne à la suite de l'ouverture d'une enquête le visant pour agression sexuelle.
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À Radio France, «on donne une place importante au terrain» pour «donner la parole aux primo-votants et aux jeunes», souligne Vincent Giret, le directeur de l'information et des sports du groupe. Le 22 février, cent jeunes seront invités à la Maison de la Radio pour interroger les candidats et une journaliste de franceinfo va sillonner la France pour faire les portraits de 18/30 ans. L'antenne public va également proposer des jeux de rôle sur Twitch pour «inciter les jeunes à s'investir dans la campagne».
«En tant que média de service public, on a (la) responsabilité» de mobiliser «les Français de manière générale» mais aussi les «publics plus jeunes», qui peuvent «être désintéressés» et «tentés par l'abstention», rappelle Vincent Giret.
Du côté de France Télévisions, l'émission vedette Élysée 2022 mettra en avant, à partir du 10 février sur France 2, la parole de Français face aux candidats avec des reportages en région pour relayer leurs préoccupations. Pour l'historien des médias Fabrice d'Almeida, ces émissions reprennent «une tradition américaine ancienne de participation du public», notamment dans le divertissement. Elles sont le fruit d'un processus démarré à la fin des années 1990 en France et qui s'est accéléré depuis les derniers scrutins présidentiels, celui de la démocratie participative.
Ces nouveaux codes étaient également au coeur jeudi sur C8 de l'émission "Face à Baba", présentée par Cyril Hanouna et qui a donné lieu à un débat entre Jean-Luc Mélenchon (LFI) et Eric Zemmour (Reconquête!), mais aussi à la mise en avant de préoccupations d'électeurs, à travers par exemple l'intervention d'un policier. Elle a été suivie par 1,8 million de téléspectateurs.