Stratégies Les 15

Début mars s'est tenue la sixième édition du One Forest Summit à Libreville au Gabon, un événement en faveur de la biodiversité, l'occasion de dresser le portrait d'une figure de la protection des forêts tropicales : Emmanuel de Merode, conservateur du parc national des Virunga en République démocratique du Congo. Par Christophe Béchu, Ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires de France, parrain de l'opération.

Ces derniers mois, ces dernières semaines, la France a marqué une nouvelle fois son engagement aux avant-postes de la protection de la biodiversité mondiale. Lors de la COP 15 à Montréal, d’abord, en portant avec succès l’engagement de protéger 30% des espaces naturels d’ici 2030. En organisant, ensuite, avec le Gabon, sous l’impulsion du président de la République, le One Forest Summit, à Libreville, début mars. Les pays forestiers qui préservent leurs forêts primaires, puits de carbone et réserves uniques de biodiversité, alors qu’ils rendent service à l’humanité toute entière, assument aujourd’hui seuls les coûts de cette protection. Il est temps que leur ambition environnementale cesse d’être un frein à leur développement économique, mais soit rémunérée pour ce qu’elle est.

Face à l’urgence climatique, il est nécessaire de faire plus pour préserver les forêts primaires, les tourbières, les mangroves et pour cela, il est indispensable de reconnaître la valeur inestimable de ce capital naturel, qui abrite à lui seul 75% du carbone irrécouvrable et 91% des espèces vertébrées. À Libreville, avec les pays du bassin du Congo, les bases d’un mécanisme global de compensation ont été posées : les Partenariats de conservation positive (PCP), financés pour moitié par la France. C’est une avancée majeure pour le climat et pour la biodiversité.

Il n’a pas pu se rendre à ce sommet, mais une ombre a plané sur nos échanges, sur la vision que nous souhaitions porter et voir se concrétiser pour la protection des forêts tropicales : celle d’Emmanuel de Merode, conservateur du parc national des Virunga en République démocratique du Congo. Je dois dire que cela fait longtemps que son exemple m’habite, et je souhaite lui rendre un hommage tout particulier, alors que la dégradation sécuritaire de la situation au Nord-Kivu menace une fois encore l’édifice magnifique qu’il a contribué à construire.

Un joyau menacé

Bien avant que l’urgence de lutter contre le dérèglement climatique soit partagée, et bien avant que l’écroulement de la biodiversité mondiale soit établi, il s’est investi avec succès dans la protection de la faune et de la flore uniques que renferme ce plus vieux parc national d’Afrique, créé en 1925, et classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Les gorilles des montagnes, bien sûr, mais également nombre d’autres espèces en péril, et une forêt primaire particulièrement précieuse, qui s’accroche à flancs de volcans. Un joyau menacé par les conflits armés, par la détresse des populations qui n’ont souvent pour survivre d’autre choix que d’exploiter les ressources du parc, ou encore par l’appétit de milices, ou de grands groupes internationaux, pour les richesses que renferment les Virunga : pierres précieuses, pétrole, gaz et terres rares, entre autres.

Dans ce contexte, l’œuvre d’Emmanuel de Merode relève d’un héroïsme quotidien, d’une vision sans compromis de la protection de la nature, mais d’une vision, dans le même temps, qui ne s’affranchit pourtant jamais des réalités humaines. C’est la première leçon que je retiens : il ne saurait y avoir de protection durable de la biodiversité sans une prise en compte des réalités intimes de chaque territoire, et sans que ne se rejoignent les intérêts socio-économiques des populations avec ceux de la préservation de la nature.

Emmanuel de Merode y est parvenu, à son échelle, en assumant des choix d’une audace d’autant plus grande que chacun de ses investissements a le risque d’être réduit à néant. Pour lutter contre la déforestation, il a ainsi mené à bien la construction de plusieurs centrales hydroélectriques pour apporter de l’électricité aux populations environnantes, les dégageant de la nécessité de couper du bois pour se chauffer, et favorisé même l’installation d’entreprises dans la région, alimentées en énergie à faible coût. Des centrales électriques au fil de l’eau, dont l’empreinte sur la biodiversité est très limitée et l’impact sur le développement social est immense : le parc est déjà le deuxième fournisseur électrique de l’Est du Congo.

Près de 300 rangers tués

Des choix audacieux, aussi, car Emmanuel de Merode ne s’interdit aucune solution, et fait preuve d’une imagination et d’un esprit d’initiative sans limites, développant une usine de chocolat équitable, ou même en créant une ferme de bitcoin durable, pour valoriser le surplus d’une des centrales hydroélectriques… Le développement de cette économie verte au niveau régional est une immense source d’inspiration, la preuve de ce qui peut fonctionner partout dans le monde, pour peu que l’on ait la même persévérance, la même ambition, et la même inventivité. Car comme Emmanuel de Merode le dit lui-même : « Si nous réussissons notre entreprise au Congo, alors plus personne, ailleurs, n’aura d’excuses. »

La deuxième leçon que je retiens de son action, c’est celle de la fragilité, du combat incessant et parfois décourageant que représente la protection de la nature. Emmanuel de Merode et ses rangers en connaissent le prix : près de 300 rangers sont morts, et le directeur du parc lui-même a été victime d’une embuscade en 2014, alors qu’il allait déposer un dossier contre l’exploitation pétrolière dans le parc, une embuscade dont il est sorti gravement blessé. Il serait illusoire de prétendre se comparer à ces sentinelles de notre planète, mais leur exemple nous invite plus que jamais à l’action, en particulier pour faire se rejoindre les intérêts économiques et sociaux légitimes des pays forestiers et de leurs populations, avec nos intérêts environnementaux à tous.

Comme l’a exprimé le Président de la République, « on ne peut plus considérer la Nature comme un bien gratuit et inépuisable ». Il y a plus que jamais urgence à faire reconnaître la valorisation du patrimoine naturel au niveau mondial, et à mettre en place un mécanisme exigeant de compensation de sa protection. C’est notre engagement.

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