L’Arcep a lancé une consultation publique sur la TNT. Etes-vous attachée à cette diffusion alors que l’IPTV est majoritaire depuis quatre ans ?
Laure de la Raudière. J’y suis aujourd’hui attachée car c’est un mode de diffusion qui couvre la France entière et qu’il n’y a pas encore la fibre partout. Il y aura ensuite une décision à prendre une fois que l’équipement en fibre atteindra 90% de la population. Les chaînes vont-elles maintenir deux réseaux en compétition entre l’IPTV et la TNT ? Ce n’est pas à nous à prendre une décision de cette nature. Mais il me semble qu’elle n’arrivera pas avant 2025, en fonction du plan de déploiement de la fibre.
Sur la fibre, on compte 3,3 millions d’abonnés supplémentaires en 2020 et 24,2 millions de locaux éligibles. Mais vous pointez un défaut de raccordement avec 20 à 30% d’échecs. La faute à qui ?
Cela peut être l’opérateur d’infrastructure, l’opérateur commercial, le prestataire, parfois aussi le client. Cela crée beaucoup de frustration. Y compris parce que certains peuvent être débranchés pour brancher quelqu’un d’autre. C’est suffisamment important pour que je tire la sonnette d’alarme. Je suis alertée par les maires de tout type de villes. L’Arcep récupèrera les indicateurs et partagera les informations sur les différences entre opérateurs suivant leurs modes d’intervention. On les partagera avec les collectivités et, si cela ne marche pas, avec les citoyens, mais je ne pense pas que nous aurons à aller jusque-là. Les opérateurs n’en ont pas du tout envie. L’Arcep s’inscrit, sur cette question comme sur d’autres, dans une démarche de régulation par la donnée.
Avec la crise sanitaire, les usages ont évolué. Craignez-vous une saturation des réseaux 4G ?
Oui, en zones denses, car il y a beaucoup plus d’utilisateurs sur une seule antenne. La 5G permet de désaturer les réseaux en augmentant la bande passante disponible sans avoir à mettre en place un nouveau site mobile. La 5G va aussi permettre de nouveaux types de services : plusieurs réseaux sur une bande de fréquences, offrir des réseaux mobiles d’entreprise. L’Arcep a imposé comme obligation que 75% des antennes 4G existantes soient up-gradées en termes de débit, via la 4G+. On a pris les dispositions pour qu’il n’y ait pas de saturation.
La question du moratoire sur la 5G est-elle derrière nous ? Comment concilier cette technologie avec l’accès aux réseaux 4G sur tout le territoire ?
Les opérateurs ont établi beaucoup de discussions avec les maires et les élus qui se posaient des questions. Il n’y a pas eu de déploiement de force. Ils ont privilégié le dialogue avec les élus, et c’est pourquoi des chartes ont été signées comme à Lille ou encore à Paris. La couverture du territoire est portée par le projet ambitieux du New Deal mobile. Dans les zones très rurales, 600 à 800 nouveaux sites mobiles sont déployés par an et la quasi-totalité ont été mutualisés entre les quatre opérateurs. Il y a aussi la couverture complémentaire des axes routiers. Il y a donc une réelle densification du déploiement mobile en milieu rural. La 5G permet aussi d’offrir de nouveaux services qui vont permettre une monétisation par les opérateurs. Ce n’est donc pas en opposition. La 5G se déploie vite – plus de 14000 sites toutes fréquences confondues aujourd’hui. Le débat est donc derrière nous.
Vous défendez une régulation pro-investissements. Les opérateurs ont investi 14,3 milliards d’euros en 2020, fréquences 5G incluses. Après des coûts plutôt stables en 2020 pour les Français, vous attendez-vous à ce que le consommateur paye la facture ?
Je parie plus sur une augmentation du marché que sur une hausse des prix. Certains prennent un abonnement à la fibre tout en gardant leur abonnement mobile. De plus, la 5G va apporter de nouveaux marchés. Mais, il faut sans doute mener des études complémentaires sur ce point.
Le Digital Market Act (DMA) laisse aux entreprises la possibilité de faire valoir leurs droits par rapport aux plateformes. Vous souhaitez des « remèdes sur mesure ». Qu'envisagez-vous ?
Une PME française qui verrait une pratique non conforme à la régulation en vigueur ou une concurrence déloyale avec une plateforme n’a pas d’instance vers laquelle se tourner, si ce n’est la Commission européenne ou l’Autorité de la concurrence. Ce sont des procédures très lourdes et longues. A la différence ce qui est fait dans les télécoms où on peut régler, avec l’Arcep, des différends assez rapidement. On peut imaginer une régulation économique un peu plus proche des entreprises qui subissent les pratiques déloyales des Gafam. Cela permettrait une plus grande efficacité du DMA.
Comment pouvez-vous favoriser la souveraineté européenne des données numériques face aux plateformes ?
On a décidé de s’intéresser en 2021 au marché de l’interconnexion du cloud. Il y a peu d’acteurs sur ce marché ce qui peut créer un déséquilibre avec certains opérateurs intervenant sur le marché Entreprises, notamment.On souhaite aussi que ce sujet soit examiné au niveau européen, car elle peut être un frein à la concurrence sur le marché entreprises des télécoms et, indirectement, à la numérisation des entreprises.
Comment limiter l’impact environnemental de l’accès aux réseaux tout en favorisant l’accès aux outils numériques ?
Nous avons la volonté d’apporter plus de transparence et d’information sur ce sujet. Le gouvernement veut nous confier l’élaboration d’un observatoire de l’empreinte environnementale du numérique, pour les opérateurs et l’ensemble des acteurs du numérique. Nous sommes aussi co-rapporteurs avec l’Ademe d’une mission pour objectiver cette empreinte. Nous sommes aussi missionnés pour voir s’il existe un lien entre le mode de commercialisation des smartphones et leur durée de vie. Les terminaux représentent près de 80% de l’empreinte (dont environ 13% pour terminaux mobiles), contre 5% pour réseaux et 14% pour le cloud. Plus nous comprendrons de façon précise les effets de chaque usage du numérique sur l’environnement, plus nous ferons de la pédagogie, plus nous apporterons de la transparence sur ces enjeux, et plus les utilisateurs sont susceptibles d’adopter des comportements vertueux pour l’environnement, dans leurs usages numériques.
Comment voyez-vous votre rôle en tant qu’instance chargée de la régulation de la distribution de la presse ?
La révision de la loi Bichet nous confie un rôle de régulateur. L’esprit de la loi est d'une part de redonner du pouvoir au marchands de journaux et d'autre part d’octroyer l’agrément des distributeurs de presse, tout en encadrant les barèmes tarifaires. La filière, fragile depuis des années, a été ébranlée par la faillite de Presstalis en 2020. Je souhaite que la régulation redonne de la confiance aux acteurs - éditeurs, distributeurs et diffuseurs – en mettant au coeur le lecteur, qui doit avoir accès à une presse variée, présente sur l’ensemble du territoire et à un prix abordable.
Mais vous n’avez pas de pouvoir décisionnaire sur le prix de vente...
Mais nous avons la compétence de vérifier que les tarifs des distributeurs couvrent leurs coûts et qu'ils sont non discriminants suivant les éditeurs. Nous avons un contrôle sur l'élaboration de ces prix.
La grande opacité sur les tarifs pratiqués, favorisant notamment les quotidiens, a gangréné la distribution de la presse. Comment comptez-vous la contrer ?
La transparence est dans l’ADN de l’Arcep. Transparence et partage d’informations permettent de créer des liens de confiance et de contrer la suspicion. Aujourd’hui, nous avons justement le pouvoir d’agréer ces distributeurs, que sont France Messagerie et MLP. Et ils devront mettre en place une comptabilité réglementaire vérifiable avec une obligation de nous informer deux mois à l’avance des évolutions des conditions tarifaires. Et les remises pratiquées doivent refléter des économies effectives, sans discrimination entre petits et grands éditeurs.
France Messagerie a succédé à Presstalis. Que pensez-vous de cette nouvelle structure ?
Je n’ai pas de jugement à porter. Je souhaite juste la viabilité des distributeurs, et une saine concurrence qui permettent de garantir le pluralisme et la pérennité du fonctionnement de l’ensemble de la filière. Et je tiens à ce que éditeurs et distributeurs prennent en compte les attentes des marchands de journaux. Il y a un besoin de concertation.
Vous avez lancé deux consultations publiques, l’une sur les assortiments, l’autre sur les quantités livrées aux marchands de journaux. A défaut d’accord interprofessionnel, vous avez le pouvoir de trancher. Allez-vous le faire ?
Un comité de concertation de la distribution de la presse qui regroupe les représentants des acteurs de la filière se tiendra fin juin. Nous souhaitons en priorité un accord. Celui-ci doit être conforme à la loi. A défaut d’accord, nous assumerons nos responsabilités. Pour les parutions validées par la commission paritaire, nous projetons de fixer un seuil de publications en fonction de la taille des linéaires des points de vente. Et pour les parutions hors commission paritaire, elles devront faire l’objet d’une convention établie entre distributeurs et marchands de journaux. Le cahier des charges des messageries pour obtenir leur agrément intègre ces questions.
Quand arrivent à échéance les agréments de France Messageries et des MLP ?
Le décret du cahier des charges des distributeurs de presse est paru en avril sur proposition de l’Arcep et après validation du ministère de la culture. Nous allons entamer les discussions rapidement puisque l’agrément provisoire de France Messagerie arrive à échéance le 1er juillet et que MLP doit déposer un dossier d’ici la mi-octobre.
Comment comptez-vous vous investir ?
Je viens du monde des telco et du numérique. Mais je suis une femme de terrain. Avec mon équipe, nous irons sur le terrain, et même en pleine nuit pour voir le fonctionnement des distributeurs, et à plusieurs reprises pour nous imprégner du fonctionnement des acteurs de la filière. Je veux être un régulateur exigeant mais avec une bonne prise en compte des contraintes opérationnelles.