Comme elle écrit circuler à vélo dans son récit La vie ordinaire, on scrute le visage qui coiffe cette longue silhouette penchée vers l'antivol d'un cycle à côté de l'entrée déserte de Gallimard. Bingo, c'est elle. Elle se redresse, droite et altière. Presque rectiligne. Adèle Van Reeth a l'allure fière d'une héroïne de roman. Cette beauté singulière a l'âme rebelle a les pieds solidement ancrés sur terre, comme sur ses pédales. Loin du cliché de la philosophe éthérée. Ça tombe bien, la jeune femme avoue exécrer les étiquettes, les cases et les présupposés lors de notre entretien dans les jardins de la maison d'édition. Elle déteste cette « vie ordinaire » qu'elle a essayé de définir dans son premier livre, qui la met un peu en porte-à-faux lors de ses exercices de style à On n'est pas couché sur France 2, ou à Quotidien sur TMC. La vie de sa narratrice semble si proche de la sienne, avec la réflexion comme colonne vertébrale d'une activité intellectuelle exigeante, trois beaux enfants et la confrontation à la maternité. On croit la connaître après avoir lu son livre. Évidemment, elle s'oppose ou se dérobe à chaque question. Et redoute que l'intimité qu'elle livre dans son ouvrage pour servir son propos sur l'ordinaire ne serve à nourrir les gazettes en mal de révélation sur sa vie privée, avec un philosophe médiatisé.
Dos rond
Elle avance sur cette ligne de crête dans une époque qui s'enivre de grand déballage. Mais ce n'est pas pour déplaire à celle qui reconnaît : « Quelque chose en moi me fait tenir dans des situations même douloureuses. Je les traverse et je tiens bon ».
C'est ainsi que cette fille d'un archiviste - ancien élève de la prestigieuse école des Chartes - et d'une fidèle de l'association du jury oecuménique du Festival de Cannes - a fait le dos rond pendant ses trois années de classe prépa à Strasbourg avant d'intégrer l'Ecole Normale Supérieure de Lyon. « En fait, je rêvais d'être actrice depuis l'enfance. Mais mes parents voulaient que j'ai un dîplome. J'ai commencé des études d'architecture, sans succès. Mes années de préparation aux concours m'ont traumatisée. Mais j'ai eu la force de travail pour le faire même je ne m'y suis pas épanouie. » Sandrine Treiner, la directrice de France Culture, où Adèle Van Reeth présente l'émission quotidienne Les Chemins de la philosophie depuis neuf ans, synthétise bien l'endurance dont elle sait faire preuve : « Adèle est intelligente. Elle sait toujours où se placer dans une pièce ou face à une personne. Son intranquilité lui a permis d'acquérir cette intelligence des situations. Elle sait ce qu'elle veut, ce qui fait 80% du job dans son métier. Enfin, elle est sportive, va toujours sur l'obstacle et sait prendre des risques. »
La philosophe, elle, se refuse à tout autoportrait : « Je suis bien contente de n'avoir jamais eu d'entretien d'embauche à passer car j'ai une très mauvaise perception de moi-même. Je ne m'auto-analyse pas car ma propre personne ne m'intéresse pas beaucoup». Elle préfère la découverte et l'ailleurs. Ses confrères de Normal Sup pensent carrière et enseignement ? Elle envoie une lettre à Nicolas Demorand et décroche un stage de trois mois à France Culture avant de saisir la première occasion pour s'envoler étudier la philosophie à Chicago. Mais le ver est dans le fruit : la radio l'a emballée. Elle abandonne l'agrégation et démissionne de l'ENS pour un poste d'assistante aux Nouveaux Chemins de la connaissance animés par Raphaël Enthoven. En fin d'année, elle obtient une chronique avant de tenir les rênes de l'antenne.
Relais
« Mon souci, c'est de transmettre et d'être un relais. De donner aux philosophes l'écrin qu'ils méritent pour qu'ils puissent être lus par le plus grand nombre. Mais on pense toujours qu'ils vont nous apporter des solutions. C'est une erreur. En revanche, ils nous aident à formuler des problèmes. » Elle présente aussi l'excellente pastille D'art d'art sur France 2 qui décortique des chefs-d'oeuvre chaque dimanche et dirige une collection dans une maison d'édition. Elle avoue batailler ferme pour dégager du temps, pour écrire son livre notamment : « Je dois composer avec beaucoup de contraintes professionnelles, familiales et personnelles. La condition pour y arriver est une grande capacité d'adaptation et de souplesse. » Comme quoi, sous l'allure altière héritée de son grand-père militaire, se cache la flexibilité d'une gymnaste qui trace habilement son sillon dans les médias.
Parcours
1982. Naissance.
2005. Élève à l'ENS Lyon en philosophie.
2008. Assistante à France Culture.
2012-2015. Chroniqueuse régulière du Le Cercle de Frédéric Beigbeder sur Canal+ Cinéma.
Depuis 2011. Productrice des Chemins de la philosophie sur France Culture.
Depuis 2018. Animatrice de la pastille culturelle «D'art d'art» sur France 2.
Depuis 2018. Responsable d'une collection de philosophie à L'Observatoire.
Saison 2019-2020. Chroniqueuse irrégulière à On n'est pas couché sur France 2.
2020. Auteur de La Vie ordinaire chez Gallimard.