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Julia Cagé est économiste et elle enseigne à Sciences Po Paris. Pour Stratégies, elle revient sur la crise des médias, l'application Stop Covid, Libération, Presstalis, Amazon et l'image des géants d'Internet.

Les chances de rebond des médias devant la crise économique d’ampleur qui s’annonce…

Il faudrait être extrêmement optimiste pour voir ce qui va aller bien alors qu’il s’agit surtout de savoir ce qu’il faut faire pour que cela n’aille pas trop mal. Je suis optimiste par nature. Mais le gouvernement a pris très peu de mesures dans ce secteur alors qu’il y a quand même des impacts spécifiques et qu’on sait que cela va être très dur pour un certain nombre de journaux. Certes, Presstalis a bénéficié d’un prêt de 35 millions d’euros. Mais je n’ai pas vu de mesures plus importantes. Il faudrait refondre entièrement les aides à la presse, en augmenter le montant et en changer la forme. On pourrait imaginer une TVA à 0% (et non 2,1%) et des aides en trésorerie. L’État pourrait aussi prendre en charge au moins une partie de l’abonnement à l’AFP. Il n’a pas pris la mesure de ce qui se passe.

 

Libération bientôt repris par un fonds de dotation assurant son indépendance.

C’est une occasion formidable pour les journalistes. Mais il faut une garantie d’indépendance. Pour cela, le but non lucratif est insuffisant. Il faut aussi une gouvernance démocratique. Là, le fait que les salariés n’aient pas été impliqués dans la réflexion ne laisse pas présager du meilleur. Si on a la vision la plus pessimiste, on peut y voir un coup politique de Patrick Drahi qui, tout en gardant potentiellement la main, défiscalise à hauteur de 60% ses apports.

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Le redressement judiciaire de Presstalis prononcé par le Tribunal de commerce de Paris.

Le système coopératif issu de la loi Bichet a été un grand succès pendant des décennies et c’est ce qui fait qu’on a une grande richesse de titres. Est-ce que Presstalis en l’état fonctionne ? Il est clair que non. Il faut à nouveau sauver cette entreprise qui a des pertes abyssales. Les acteurs du secteur s’accordent à dire qu’on pourrait faire la même chose avec 80% d’effectifs en moins. Mais avec la crise Covid, si vous mettez 700 ou 800 salariés du Livre sur le carreau, vous faites des chômeurs de très long terme. On ne peut se réjouir d’un tel impact social. D’un côté, les quotidiens veulent reprendre Presstalis, sans liquider toute l’entreprise et en offrant un plan de départs digne de ce nom. De l’autre, les magazines et les indépendants pensent que cela revient trop cher et qu’il vaut mieux la liquider. Une intervention de l’État, pour prendre à sa charge une partie des encours des journaux et organiser la restructuration de Presstalis, bénéficierait à l’ensemble de la presse.

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Amazon a prolongé jusqu’au 18 mai la fermeture de ses entrepôts français pour ne pas se plier aux exigences sanitaires.

Cela m’inspire beaucoup de colère. C’est comme quand Google est sommé de payer le droit voisin et dit qu’il n’indexera plus la presse française. Sachant qu'Amazon continue de livrer en France, on aurait pu réguler la plateforme par des amendes. D’autant que c’est pour la santé des salariés français. On a pris l’habitude de toujours céder face à la pression des Gafam. La bonne réponse ne peut être qu’au niveau européen. Mais de la part des citoyens français, la réponse peut passer par le boycott ! Si l’État ne fait rien, je ne vois pas d’autre solution.

 

L’application StopCovid pour empêcher la propagation du virus.

Tant qu’on n’a aucune information sur la manière dont les données personnelles sont récoltées, et surtout sur la façon dont elles sont supprimées après un certain temps d’utilisation, cela me paraît dangereux. Même Telegramm n’est pas sécurisé quand on sait qu’on peut utiliser d’autres applications sur le téléphone pour en faire des captures d’écran. Détruire les données n’est pas si simple. Sauf si l’on a un bipper dans la poche déconnecté de notre téléphone. Une application de smartphone est le meilleur moyen de faire en sorte que les données soient réutilisées à d’autres fins. La santé publique ne peut pas se faire au détriment de la démocratie, au nom de la surveillance. Je ne suis pas une adepte des théories du complot, mais on crée là un outil qui, même s’il est fait sans mauvaises intentions, peut complètement nous échapper. Ca, c’est très dangereux.

 

Les grandes plateformes qui ont renforcé leur position et leur image à l’occasion de la crise sanitaire.

Cette crise a été un énorme moment de communication pour les Gafam. Facebook s’est offert une énorme page de publicité en se mettant en avant comme étant un grand défenseur de l’information vraie luttant contre la propagation des fake news. On devrait plutôt s’interroger sur le fait d’avoir créé un outil qui permet à des infox de se propager très vite. Il ne faut pas tomber dans le piège. Une réflexion a été entamée sur la régulation des plateformes, et la question du droit voisin n’est toujours pas tranchée. Sans parler de la question des monopoles que représentent Facebook comme Google et des problèmes qu’ils posent en termes de libre concurrence.

 

 

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