L’histoire date de janvier 2019, lorsque des activistes autobaptisés les « Yes Men » publient une fausse lettre de Larry Fink, PDG de BlackRock. Le premier gérant de fonds de Wall Street y annonce son intention de sortir des énergies fossiles et d’orienter son portefeuille vers les industries décarbonées. Superbe… mais faux et repris, crédibilisé par le Financial Times. Trois ans auparavant, la société américaine Fitbit a aussi été victime d’un faux communiqué annonçant une offre de rachat du fonds chinois ABM Capital. En 2016, la France a connu une histoire semblable, lorsque le groupe Vinci a été abusé par un faux service de presse, avec communiqués bidons (y compris sur le démenti) et numéro fake d’un vrai nom d’attaché de presse. L’intox ? Une irrégularité dans les comptes, avec licenciement du directeur financier. Cette fausse info, qui a été reprise par Bloomberg, a coûté au groupe de BTP, en quelques heures, 7 milliards d’euros de capitalisation boursière et une chute de 19% du cours de Bourse (-3,8% à la clôture).
Trucages
« L’information malveillante peut être crédibilisée par une agence de presse financière, observe Jérôme Lascombe, président de Wiztopic, plateforme spécialisée dans la communication des sociétés cotées. De leur côté, les deepfakes [manipulation vidéo des mouvements des lèvres et du visage] sont en train d’arriver dans le monde économique et il existe des applications pour trafiquer des voix. »
Faut-il se préparer sur les réseaux sociaux de demain à de vraies images de patrons relayant des propos complètement déformés ? C’est en tout cas une crainte prise très au sérieux. David Dieudonné, directeur du Newslab Google, parle de « sophistication du phénomène » et estime qu’il « ne faut pas supprimer la vidéo mais informer l’internaute ». Son dispostif CrossCheck, qui coalise une trentaine de journalistes avec First Draft, a été utilisé pour les élections françaises, brésiliennes ou indonésiennes. Devra-t-il s’étendre à l’information financière pour éviter une manipulation majeure des Bourses par les hackers ? « Pour que le travail de vérification soit plus aigu, il faut que les journalistes se mettent à jour sur les nouvelles technologies », rappelle-t-il. Mais Google laisse aux rédactions - et à l’internaute - le soin de démêler le vrai du faux.
Blockchain
Au cours d'un petit déjeuner Stratégies / Wiztopic, le 4 juin, Jérôme Lascombe rappelle que les robots diffusent sans vérification des informations boursières. Sa société propose une sécurisation de la chaîne de l’info, par exemple à Bouygues, via la blockchain, qui permet de verrouiller l’information entre l’émetteur et le récepteur. Thomas Barbelet, directeur exécutif en charge du marketing et de la marque de Keolis, souligne que « si l'on est structuré, on peut répondre rapidement – ce qui permet de réduire le temps de présence des fake news ». Une célérité qui a fait défaut à Vinci, en 2016, faute de communication adaptée. Mais encore faut-il faire le distinguo entre la pure malveillance à des fins d’enrichissement et les stratégies d’hacktivistes qui veulent interpeller les sociétés sur leurs causes. Pfizer, le 1er avril 2016, a « subi » en Bourse un poisson d’avril annonçant via un communiqué qu’il baissait le prix de ses médicaments. Malheureusement, c’était une blague.