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Après les États-Unis, la France est gagnée par la fièvre du podcast, avec une offre et un business en pleine explosion et des consommateurs de plus en plus fidèles. Mais si les marques commencent à s’intéresser à ce nouveau format, il reste encore à transformer l’essai sur le plan publicitaire.

Plus d’un million de téléchargements pour Oli, le podcast de France Inter pour les petits, une levée de fonds de 5 millions d’euros pour la nouvelle plateforme Sybel, après 4 millions pour Majelan, les premiers podcasts Hermès… Longtemps resté l’apanage des stations de radio pour réécouter leurs émissions, le marché du podcast explose en France depuis dix-huit mois, avec la croissance exponentielle des programmes proposés, par des acteurs aussi divers que France Culture, Binge Audio, L’Équipe ou Guerlain. Une effervescence qui, selon Jean-Pierre Cassaing, directeur de la stratégie de Mediameeting, « rappelle l’arrivée des radios libres au début des années 1980 », même si l'on est encore loin de la place qu’a pris le podcast aux États-Unis.

Outre-Atlantique, un Américain sur cinq (73 millions) écoute au moins un podcast par mois. En France, selon Médiamétrie, 4 millions d’individus en écoutaient chaque mois au dernier comptage, en avril 2018, un chiffre largement dépassé et qui n'inclut que l’offre des stations de radio. Quant au nombre de téléchargements, il a été multiplié par quatre à Radio France, entre 2014 et 2018, à plus de 60 millions par mois. « Dans une société aujourd’hui dominée par l’image et l’écran, la voix et l’écoute sont de retour », note Chloé Tavitian, responsable de l’offre podcast chez Havas Paris. « C’est une réponse à la fast information, à cette volonté des gens de retrouver du sens », ajoute Julie Mamou-Mani, fondatrice de la société de production de podcasts, Mamouz Prod.

Des médias à fond

Ne pas rater le coche. C’est le leitmotiv des médias depuis qu’Arte Radio a lancé le premier podcast natif en France en 2002. Podcast natif ? C’est-à-dire indépendant de tout programme existant, par opposition au replay, qui propose une réécoute d’un programme diffusé en radio. Le podcast est devenu bankable depuis le succès de Serial, en 2014. C’est le spin-off de l’émission américaine de radio This American Life dans lesquels la journaliste Sarah Koenig reprend des enquêtes. Succès colossal pour ce hit mondial : 175 millions de téléchargements. Il a fait la preuve des indéniables atouts du podcast : liberté d’écoute, puissance évocatrice et narrative de la voix... Désormais, en France, trois grandes familles éditeurs de podcasts trustent un marché dont on ne sait pas encore s’il est rentable. En premier lieu, les grands médias radio proposent en replay la plupart de leurs émissions (avec un taux de 40 % d’écoute supplémentaire pour France Culture). Mais ils innovent aussi. Europe 1 a proposé un podcast natif 3h56 lors de la sortie du film de Damien Chazelle First Man, coproduit avec Universal Studios. France Inter multiplie les formats natifs avec en tête de proue Oli, histoires conçues par des écrivains de renom pour endormir les 5-7 ans et déjà téléchargées 1,2 million de fois depuis l’automne. RTL s’active pour proposer une offre native tandis que côté brand content, la filiale RTL Originals se développe.

En second lieu, les marques médias multiplient les propositions. Du Parisien à Slate, de Sud Ouest à Télérama, du Télégramme aux Echos. La Croix propose L’envers du récit dans lequel les journalistes racontent les coulisses de leurs reportages. Prisma Media a lancé un département audio avec les productions de Télé Loisirs. Dans Previously, le spécialiste Alain Carrazé décortique une série (avec 1 million d’écoutes) et dans Climax, des journalistes débattent de l’actualité télé (700 000 écoutes). Chez 20 minutes, Minute papillon propose deux fois par jour 2 mn 30 d’actu, en plus de Juste un droit, mensuel de vulgarisation de la justice et Sixième Science, podcast développé avec Sciences et avenir. « Nous avons formé tous nos journalistes pour qu’ils puissent y participer et nous allons développer des podcasts autour de l’éducation, la santé et la culture » confie Michaël Fromentoux, directeur du développement numérique à 20 Minutes.

Relais éditorial

Chez Elle, Anne-Cécile Sarfati, rédactrice en chef et directrice de la diversification éditoriale, décline depuis mars 2017 en podcast la rubrique-phare de l’hebdo C’est mon histoire. S’y ajoutent une série Elle active, modules de conseils de 5 minutes pour apprendre à manager son chef ou à bâcler intelligemment. Courant 2019, des podcasts de méditation en lien avec la verticale Zen et une série post-Me Too sur le harcèlement sexuel seront bientôt en ligne. Madame Figaro a attendu l’automne pour se positionner avec Désirs et Happiness therapy. « Nous atteignons 2,6 millions de téléchargements alors que nous en visions 600 000. Notre stratégie de relais éditorial dans le magazine, sur le site et sur les réseaux sociaux ont bien fonctionné. Nous allons lancer une saison 2 de Happiness Therapy, un projet en lien avec notre prix Business with attitude et un autre sur la création artistique » explique Katia Sanerot, éditrice de Madame Figaro.

Le groupe Le Figaro étudie déjà la construction d’un studio de podcasts interne pour développer cette activité qui, pour l’instant, se fait avec Louie Media, l’un des pure players du marché. En tête de liste des producteurs de podcasts, on trouve Nouvelles Écoutes lancé en novembre 2016 avec La Poudre, qui affiche 67 interviews par Lauren Bastide. L’entreprise de 15 salariés communique sur 1,2 million de téléchargements mensuels. Son concurrent, Binge Audio, créé le même mois et qui affiche 15 salariés aussi, annonce 1,3 million et une audience à 75 % de moins de 35 ans. La répartition des téléchargements se fait à 30 % sur Apple Podcasts (iOS), 14 % sur Podcast Addict (Android), 12 % sur YouTube et 9 % sur Spotify. Si ces pure players semblent en pleine expansion, Boxsons, producteur de podcasts exclusifs accessibles sur abonnement - avec Pascale Clark - a suspendu son activité, faute de ressources.

Des marques créatrices de programmes

Au-delà des médias, les marques aussi se laissent aussi embarquer. Orange, LVMH, Veuve Clicquot, Hermès et Guerlain sont parmi celles à avoir créé leur propre programme, dans une stratégie plus globale de brand content. Pour travailler leur image par le son. « L’annonceur n’est pas ici dans une logique d’interruption publicitaire. Cela implique d’avoir un angle très précis, une proposition éditoriale forte pour que les gens aient envie de les écouter », explique Chloé Tavitian, d'Havas Paris. L’agence a par exemple développé pour LVMH, à l’occasion de ses « Journées particulières » en octobre dernier, une série de podcasts, Confidences particulières. Au programme, une rencontre avec les artisans et créateurs du groupe de luxe, qu’ils soient maîtres-bottiers, œnologues ou parfumeurs.

De son côté, Guerlain a lancé en novembre la plateforme Olfaplay, avec des podcasts dédiés au parfum où chacun peut enregistrer ses propres histoires. « Dans l’univers visuel, une fois que vous avez montré la bouteille, l’égérie, vous êtes un peu limité. Avec le podcast, on est dans le domaine de l’intime, de l’émotion. Même si les volumes d’écoute restent petits [la marque ne communique pas ses chiffres], nous sentons que l’intérêt est là », insiste Delphine Chorenslup, vice-présidente digital de Guerlain.

Autre axe de développement, la communication interne, avec Sodexo qui propose une série autour de la culture numérique, conçue par Havas Paris. Même logique élaborée par Mediameeting pour le laboratoire Arkopharma avec des podcasts sur les innovations produits à destination de ses commerciaux. « Les podcasts sont des contenus qui peuvent être consommés de manière délinéarisée et en mobilité, souvent dans une logique de partage de connaissances », rappelle Jean-Pierre Cassaing, ancien patron du pôle audio d'Havas Media. Orange est allé plus loin encore avec des podcasts de fiction, Hello Demain, dans lesquels de jeunes auteurs livrent une vision positive du futur. « Il y a un champ créatif nouveau autour de la fiction, qui est peu investi par les marques. Ça leur permet de se raconter différemment », note Chloé Tavitian, d'Havas Paris.

Un modèle économique à trouver

Comment rentabiliser un produit gratuit ? Déjà, s’il est apprécié, cela aide. La plupart des éditeurs revendiquent un taux de complétion (écoute en intégralité) supérieur à 75 %. Côté 20 minutes, on assure être encore sur un modèle recherche et développement, comme à L’Équipe, qui table sur des sports de niche comme le golf ou le basket. Seules Madame Figaro et Elle assurent que leurs sponsors (Axa, YSL Beauté, Lancôme) présents en préroll couvrent le coût des podcasts réalisés par des journalistes de la rédaction, épaulés par des équipes de production des pure players. Madame Figaro travaille avec Louie Media, Elle, avec Moustique. Quant à Binge Audio, il travaille avec le groupe Les Echos-Le Parisien qui a pris 33 % de participation et se targue d'un chiffre d'affaires multiplié par deux entre 2017 et 2018.

Mais l'opacité des chiffres est de mise chez tous ces acteurs. Ces pure players diversifient eux aussi leurs activités pour développer un modèle économique viable. « Il repose sur le sponsoring, sachant que seuls 3 % de nos auditeurs skippent les messages, le brand content, l’événementiel et des droits d’adaptation en télé ou pour l’édition de certains de nos formats qui sont en cours de discussion » explique Mélanie Vazeux, directrice commerciale de Nouvelles Écoutes. Mais ils se refusent tous à communiquer leurs chiffres d'affaires. Les prix en vigueur sur le marché pour la production varient de 200 à 9 000 euros l’épisode. Preuve d’un business encore à inventer.

Besoin de « metrics »

Aux États-Unis, le marché publicitaire du podcast représentait 314 millions de dollars en 2017 et pourrait monter à 659 millions d’ici 2020, selon la dernière étude IAB/PwC, Podcast Advertising Revenue Study. En France, difficile de savoir ce que le phénomène représente côté revenus publicitaires ; les projections de Kantar Media sur l’audio digital (1,2 milliard d’impressions servies en 2018, en hausse de 12 % en un an) intègrent globalement podcast et radio en streaming. « Aujourd’hui, nous sommes sur quelque chose de très affinitaire. Les marques recherchent davantage l’objet sonore que le média de masse. Pour que le podcast devienne quelque chose de plus massif sur le plan publicitaire, le marché aura besoin de metrics », souligne Jean-Pierre Cassaing, de Mediameeting.

Le défi est de taille. La distribution des podcasts passe pour l’essentiel par des plateformes tierces (Apple Podcasts, Soundcloud, Deezer, Spotify…), avares en data. Et si Médiamétrie dispose d’une mesure depuis 2009, eStat Podcast, celle-ci ne prend en compte que les téléchargements des radios généralistes souscriptrices de l’étude, à savoir Radio France, RTL et Europe 1. Médiamétrie travaille à l’amélioration de sa mesure, avec une labellisation de l’outil en cours par l’ACPM, mais aussi la volonté de l’élargir à l’ensemble de l’audio à la demande, streaming différé compris. Des discussions sont aussi en cours avec les pure players du podcast afin d’élargir la mesure à ces nouveaux acteurs.

« Il y a une demande pour une mesure tierce afin que chacun puisse se comparer sur une même base, explique Julie Terrade, directrice du pôle national au sein du département radio de Médiamétrie. Nous parlons ici de téléchargements. Il faudra dans un deuxième temps réfléchir à une mesure d’audience. Ce qui, du fait de la fragmentation du marché du podcast, demande des échantillons assez robustes. » Pour Jean-Paul Dietsch, directeur de l’ACPM-OJD, « il faudra aller plus loin rapidement sur la mesure de l’écoute, et pas seulement sur les téléchargements ». Selon une étude ad hoc de Médiamétrie publiée il y a un an, 81 % des podcasts radio téléchargés étaient écoutés. Un argument de plus pour doper le marché !

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