Jean-René Fourtou? Un ami de «trente ans». Vivendi? Un «champion français qui peut devenir un champion du monde». SFR? «Une grande entreprise, avec beaucoup de potentiel.» A en croire Vincent Bolloré, dans Les Echos du 11 septembre, la scission programmée du groupe, après son assemblée générale de mai ou juin 2014, relève du conte de fée. Elle permettra d'en finir avec la fameuse «décote de holding» qui pénalise tous les conglomérats et offrira aux actionnaires et au management de Vivendi une porte de sortie.
Las! Cet épilogue souriant d'une histoire assez chaotique depuis le début de la «revue stratégique» des actifs du groupe, en juin 2012, ne convainc qu'à moitié en interne. «Ils n'ont pas de "story" à nous raconter sur la stratégie adoptée, soupire un cadre. Pourquoi privilégier les médias plutôt que les télécommunications? Pourquoi avoir vendu l'activité de jeux vidéo Activision Blizzard, qui appartenait à la sphère des contenus, et garder au sein de cette branche le brésilien GVT, qui est un actif éminemment télécoms?» Comme si, tout à la joie de sacrifier sur l'autel de l'opportunisme le vieux projet de convergence de Jean-Marie Messier, si pauvre en synergies, le conseil de surveillance de Vivendi n'avait rien à dire de vraiment décisif sur les choix retenus.
Au siège de la holding, pourtant, on trouve de la cohérence en tout. Certes, il y aurait bien eu quelques tensions entre le président du conseil de surveillance Fourtou et son futur vice-président Bolloré, reconnaît-on, mais c'est parce que le groupe s'est mis en chasse d'un grand dirigeant d'un groupe de médias. Le choix par Jean-René Fourtou de Thomas Rabe, patron du groupe de médias allemand Bertelsmann, n'a pas eu les faveurs de l'industriel breton, qui a rejeté ce «bon patron étranger».
Un gage de liberté pour SFR
Activision Blizzard comportait, de son côté, beaucoup d'éléments de risque tant il est assis sur des blockbusters (World of Warcraft, Call of Duty...) et est déterminé par l'innovation technologique. «Il n'y a pas de logique de catalogue comme dans la musique, le cinéma ou la télévision», explique-t-on à Vivendi où, tout en conservant 12% du capital d'Activision Blizzard, l'on pouvait difficilement refuser une offre de 6,1 milliards d'euros. Un apport de cash qui, ajouté à celui de Maroc Telecom (4,2 milliards d'euros), permet au groupe de diviser par deux sa dette. Quant à GVT, sa position croissante dans la télévision payante (500 000 abonnés) et sa plateforme Internet et de services associés susceptible de distribuer des contenus en feraient un partenaire idéal pour un développement à venir au Brésil.
Pourquoi les médias plus que les télécoms? Alors que le développement de grandes plateformes du type Amazon ou Google va dans le sens de l'histoire, les contenus forts et les catalogues incontournables, comme celui qui permet à Universal Music d'avoir avec EMI neuf des dix titres de musique les plus vendus sur le digital, laissent entrevoir une place pour les grands propriétaires de contenus.
Parallèlement, SFR peut retrouver une liberté de mouvement qui peut l'amener à signer des partenariats comme on l'a vu, en août, avec Bouygues Telecom sur le partage du réseau mobile. La perspective d'une introduction en Bourse relance les spéculations sur l'avenir de l'opérateur promis à l'explosion des usages avec le très haut débit et les objets connectés. Et pour résister à Free, SFR ne sera plus tenu de prendre le moins de risques possibles pour ne pas faire d'ombre à la holding.
De son côté, le nouveau «groupe de médias international basé en France» a «vocation à se développer dans les médias sur la base d'un ensemble d'activités d'ores et déjà en croissance». Sont cités, outre Universal et GVT, le cinéma en Europe avec Studio Canal, et la télévision payante «en France, en Afrique, au Vietnam et en Pologne» avec Canal+. Pas de doute, un nouveau monde s'offre à Vivendi. Pour le conquérir, le «board» cherche un patron international. Gageons que Vincent Bolloré pèsera de tout le poids que lui confère ses 5% dans Vivendi pour qu'il lui agrée...