Vous n'avez rien compris à l'affaire Clearstream? Le 13 novembre, à 20h35, France 5 programme les deux premiers volets d'une série documentaire de six épisodes de 52 minutes qui permettent de comprendre toute l'histoire d'une manipulation au-delà de la confrontation Sarkozy/Villepin. Soit «vingt-cinq ans de liaisons dangereuses entre les vendeurs d'armes et les partis politiques», comme dit son réalisateur Jean-Robert Viallet, Prix Albert Londres 2010.
Produite par Christophe Nick, l'enquête démarre par le recrutement d'Imad Lahoud dans les services secrets français, alors que cet ancien trader de Merrill Linch sort de prison et prétend pouvoir remonter jusqu'à l'argent de Ben Laden. Un homme, Jean-Louis Gergorin, lui vient alors en aide, en lui faisant rencontrer Philippe Rondot, le patron de la lutte anti-terroriste, et en lui obtenant un emploi fictif à EADS, où travaille déjà son frère. Puis, Imad Lahoud cherche à obtenir les fameux listings de Clearstream auprès du journaliste Denis Robert, qui enquête depuis longtemps sur cette chambre de compensation située au Luxembourg, pour faciliter cette traque. Lui vient alors l'idée de manipuler Gergorin en lui faisant croire qu'un des comptes, ouvert en 1994 et portant le nom de Gomez, renvoie à l'ancien patron de Thomson, à sa guerre avec Jean-Luc Lagardère et aux commissions occultes sur la vente de frégates à Taïwan. Le stratège d'EADS le croit d'autant plus qu'il est persuadé que son patron Lagardère a été assassiné. En 1992, une vente de Mirage, pour 20 milliards de francs, aurait rapporté plus de 11 milliards à Lagardère pour les missiles, dont trois à la signature, ce qui lui aurait permis de sauver son empire après la faillite de La Cinq.
Une histoire et de la pédagogie
En arrière-plan des rétrocommissions couvertes par le secret défense et de la mise à jour du système de corruption des contrats d'armement, se dessine le financement de la campagne d'Edouard Balladur, Premier Ministre, tandis que Nicolas Sarkozy est ministre du Budget. La justice enquête sur le lien entre l'attentat de Karachi de 2002 et l'arrêt des commissions versées au Pakistan par le clan Chirac suite à la vente de trois sous-marins Agosta à ce pays. Quant au listing Clearstream, Imad Lahoud a fait appel après avoir été condamné pour l'avoir falsifié en y ajoutant le nom de «Nagy-Bocsa» (patronyme complet de Nicolas Sarkozy).
Le documentaire met en scène Vanessa Ratignier, qui a commencé l'enquête en épluchant les quelque 80 000 pages du dossier d'instruction, et surtout Pierre Péan, qui la complète admirablement par ses éclairages en profondeur tirés de son livre La République des mallettes (Fayard). Le vieux routier de l'investigation est parti de la conviction que Gergorin, ce «moine soldat de la République», ne peut être le cerveau de cette machination.
Entrecoupée d'interventions d'une narratrice, pour soutenir la concentration, le duo fonctionne bien et la série se regarde comme un thriller. S'il n'y a pas de révélations à proprement parler, on en apprend beaucoup, notamment sur l'enquête taïwanaise. «On n'est pas dans le temps de la révélation, explique Jean-Robert Viallet. Il s'agissait de raconter une histoire infiniment compliquée de façon pédagogique, compréhensible, en restant dans l'écriture d'une histoire.»
L'ensemble s'accompagne d'une «expérience Web» que Bruno Patino, directeur de France 5, qualifie de «première Grosse Bertha du transmédia». L'idée? Que l'internaute puisse mener sa propre enquête en accédant à de multiples documents, en suivant ses propres pistes ou celles d'autres web-enquêteurs. «Celui qui tient la souris tient, en partie, le récit», résume le journaliste David Dufresne, auteur de ce prolongement ludique qui entretiendra un dialogue direct avec les enquêteurs de l'émission. Sera alors su, remodelé, réexploité par les journalistes de données un travail mené de façon très discrète jusqu'à présent.