Bruno Frappat, 66 ans, n'est plus ni directeur de La Croix ni président du directoire de Bayard. Aussi, lorsque l'équipe dirigeante du quotidien catholique organise une conférence de presse sur sa nouvelle formule au Pershing Hall, rue Pierre-Charron à Paris, se place-t-il face à la tribune… avec les journalistes médias. Tout président d'honneur de Bayard qu'il soit, n'est-il pas devenu un humble chroniqueur en dernière page du journal, dans l'édition du week-end? Il ne peut néanmoins réfréner sa surprise en entendant Dominique Quinio, directrice de La Croix, lui glisser un hommage un peu appuyé: «Nous allons accentuer le côté magazine de l'édition du samedi-dimanche, où l'on retrouvera toujours la chronique de Bruno Frappat. C'est la meilleure vente au numéro… ceci expliquant cela.»
Plus tard, l'ancien patron, à la retraite depuis 2009, tique cette fois en entendant que l'âge moyen du lecteur est de 60 ans: «Ils exagèrent! Déjà, de mon temps, l'âge médian était de 63 ans. Il n'y a pas de honte à avoir un lectorat de vieux. D'abord, c'est un public qui se renouvelle sans cesse, ensuite l'abonné que vous accrochez à 55 ans, vous l'avez pour 40 ans s'il est fidèle.» Et coriace!
Sorti le 28 avril, le nouveau La Croix, signé Rampazzo & Associés, tire parti de l'âge de ses lecteurs – dont un bon tiers vote à gauche – par une astucieuse réflexion marketing. Les acheteurs au numéro se manifestent surtout le week-end, quand ils ont le temps de lire? Depuis dimanche dernier, jour de la béatification de Jean-Paul II, il leur est proposé une édition qui se veut plus attractive, moins monotone et passe de 24 à 28 pages. Les abonnés au quotidien sont plutôt âgés et inactifs? Les plus jeunes, actifs, ont désormais droit à une offre pensée sur mesure, articulant papier et Internet. Pour 12 euros par mois, une formule «double tempo» permet ainsi l'abonnement à l'édition papier du seul week-end et un accès au fil d'actualité payant quotidien. Pour 9 euros mensuels, il est aussi possible de s'abonner au seul fil Web incluant la rubrique parents-enfants du journal. Et pour les accros à tous les flux, on retrouve aussi bien une formule «100% digitale» (15 euros) qu'une offre in extenso incluant la réception du journal quotidien et l'accès à tous les contenus numériques (28 euros). Charitablement, La Croix a aussi prévu de délivrer gracieusement à ses abonnés Web Urbi & Orbi une lettre quotidienne d'informations religieuses.
Consolider l'équilibre financier
Sur la Toile, La Croix fait donc un effort particulier puisque les 90 journalistes de la rédaction – auxquels se joignent 5 recrutements en CDD – sont appelés à travailler indifféremment de façon bimédia. La notoriété de la marque, qui se limitait autrefois aux milieux catholiques et intellectuels, dépasse de très loin l'univers du papier. «Un tiers des internautes arrivent via les moteurs de recherchesans même savoir que La Croix existait, souligne Dominique Quinio. Nous touchons ainsi des publics que nous n'atteignions pas avant.» Une formule est d'ailleurs testée pour permettre à ces nouveaux arrivants de lire gratuitement trois articles.
Cet investissement numérique, estimé entre 5 et 8 millions d'euros, vise à consolider l'équilibre financier de La Croix, qui affiche un chiffre d'affaires de 32 millions d'euros. Mais il s'agit aussi de doper les abonnements et les achats en kiosques. La direction vise les 100 000 exemplaires, alors que la diffusion payée en France, de 94 439 exemplaires, tend à s'essouffler (–0,7%). Un salut qu'il n'est pas impossible d'espérer si, comme le pense Dominique Quinio, dans une société où «les communautés se barricadent», «les différences sont moins importantes que les occasions de se rencontrer».