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Suite à l’annonce de l’ouverture de la commercialisation des abonnements sur Itunes et In App Purchases, le 15 février, les acteurs de la presse multiplient les courriers pour protester contre des conditions jugées abusives. En vain pour l'instant.

A ce jour, ils n'ont toujours pas reçu de réponse. Ce n'est pas faute d'avoir multiplié les missives: la dernière en date a été envoyée le 6 avril. Au sein du Syndicat de la presse magazine (SPM), l'exaspération grandit: «Entre Apple et nous, c'est un peu comme une partie de ping-pong. Sauf que pour l'instant, les éditeurs jouent tous seuls», résume Guillaume Frappat, chargé de mission du SPM pour les affaires économiques et le développement numérique.

L'organisme professionnel a rédigé, début avril, une lettre ouverte suite à l'annonce par Apple, le 15 février, de l'ouverture de la commercialisation des abonnements sur Itunes et In App Purchases. A la mi-décembre 2010, un premier courrier, cosigné par le Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN) et le Syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR) avait déjà été envoyé. Il concernait notamment la question brûlante des paliers tarifaires (lire ci-dessous) et exprimait un désir de concertation de la part des éditeurs. Une main tendue, encore une fois restée lettre morte.

Pourtant, l'agacement est général: en janvier, en Belgique, les éditeurs ont été prompts à exprimer leur ire, tandis que Vincent Van Quickenborne, le ministre de l'Economie, demandait aux autorités belges de la concurrence de se pencher sur la situation. Des ripostes isolées voient le jour: début avril, le Financial Times a purement et simplement refusé de se plier aux conditions d'Apple. La marque à la pomme continue de garder un silence assourdissant. Sollicitée par Stratégies afin de faire entendre sa voix face à la fronde des éditeurs, Apple France n'a d'ailleurs pas donné suite, malgré des demandes répétées.

Quels sont les raisons de la colère? Tour d'horizon des points qui fâchent.

 

Prix et promotion

Apple a décidé d'avoir la maîtrise des tarifs et de n'instaurer qu'une quantité très limitée de paliers tarifaires. Les premiers paliers de prix montrent des écarts de 80 centimes d'euros: 0,79 euro, 1,59 euro, 2,39 euros… «On aboutit à des situations absurdes», explique Philippe Jannet, PDG du Monde interactif et président du Geste (Groupement des éditeurs de services en ligne). «Le Monde est proposé en kiosques à 1,50 euro. Nos lecteurs ne comprendraient pas qu'on le vende 1,59 euro sur l'App Store. Du coup, la seule solution serait de choisir le prix de 0,79 euro, ce qui revient à nous brader!» L'enjeu est plus aigu pour la presse quotidienne, qui pratique des tarifs faciaux bas, que pour la presse magazine, mais comme le précise Corinne Denis, directrice des nouveaux médias du groupe Express-Roularta, «cette politique de prix est inadaptée à la presse.» D'autant que ces pratiques rendent les opérations promotionnelles difficiles voire impossibles à mener. Mais les rumeurs, croit savoir Corinne Denis, font néanmoins état «d'un possible fléchissement d'Apple sur les paliers de prix»…

 

Modalités de paiement

Apple interdit aux éditeurs de proposer un lien des applications vers les sites Web des titres de presse. Ce frein, selon le SPM, «appauvrit l'expérience des clients et rend leur fidélisation plus ardue». «Apple prend en otage ses propres clients, avec un principe de rigidification de l'offre, estime Xavier Romatet, PDG du groupe Condé Nast France. Or, les consommateurs sont de plus en plus habitués aux abonnements mixtes, soient qu'ils effectuent des achats en ligne et en kiosques, soient qu'ils souscrivent des abonnements bimédias.» Selon les éditeurs, on doit laisser la possibilité aux lecteurs, à l'intérieur des applications, de choisir par quel biais ils souhaitent acheter les abonnements: via l'In App Purchase ou à travers le site internet des producteurs de contenu. «La question est d'autant plus cruciale aux Etats-Unis, où 80 % des ventes de magazines se fait par abonnements», remarque le PDG de Condé Nast France, dont la maison mère aura lancé, d'ici à la fin 2011, toutes les versions numériques de ses titres américains.

 

Commission

Apple exige des éditeurs qu'ils lui reversent 30% pour l'acquisition d'un nouvel abonné via l'App Store. «Alors que, pour l'heure, sur le modèle économique des tablettes, personne ne gagne de l'argent, il est assez aberrant que 30% des revenus aillent dans la poche d'Apple», souligne Guillaume Frappat, chargé de mission affaires économiques et développement numérique au SPM. Racket organisé? Le ver était dans le fruit, selon Philippe Jannet, dès la publication du communiqué d'Apple, le 15 février, où Steve Jobs formulait cette phrase pour le moins spécieuse: «Lorsque Apple amène un nouvel abonné à une application, Apple garde une part de 30%. Lorsque l'éditeur amène un nouvel abonné à une application, il garde 100% des revenus et Apple ne gagne rien.» Oui, mais qui est client de qui? «Nous avons le même type de débats avec les opérateurs de téléphonie, comme Blackberry, rappelle Philippe Jannet. L'on voit bien que la distinction entre opérateurs et fournisseurs de contenus est au cœur du sujet.» Ludovic Blécher, directeur des éditions électroniques de Libération, a quant à lui le sentiment qu'«un piège s'était refermé sur les éditeurs. Lorsque l'Ipad est sorti, le discours dominant voulait que les tablettes et l'Internet soient les saveurs de la presse. Ce discours a contribué à populariser le nouveau bébé d'Apple, qui en profite aujourd'hui ouvertement…»

 

Données clients

Apple refuse de fournir aux éditeurs les coordonnées des utilisateurs, sauf si ces derniers acceptent de remplir un questionnaire maison, dans lequel une fenêtre d'«opt-in»  [option d'adhésion] insiste longuement sur le «désabonnement de la politique de confidentialité».

«Ce n'est pas aux éditeurs de gérer le CRM d'Apple!», s'indigne Corinne Denis, directrice du développement et des nouveaux médias du groupe Express-Roularta. D'autant que les consommateurs se voient proposer un tunnel d'“opt-in” très anxiogène…» Selon Philippe Jannet, une fois encore, «Apple refuse de s'adapter et reste obstinément dans son univers, un monde de machines, y compris dans son vocabulaire.» Le questionnaire propose en effet à l'utilisateur de «laisser ses coordonnées aux développeurs», sans préciser qu'il s'agit, en l'occurrence, d'éditeurs de presse. Là encore, l'échange est à sens unique. «Les bases de données sont indispensables au travail des éditeurs de presse et l'“opt-in” qui nous est proposé n'est ni assez complet – il comprend nom, e-mail et code postal – ni assez engageant dans ses termes», rappelle Guillaume Frappat, du SPM.

 

A quand le déblocage?

«La richesse d'Apple, c'est avant tout son image. Si l'on fait savoir que le fabricant ne respecte pas la presse, il ne va pas pouvoir longtemps rester sans réaction, prédit Philippe Jannet, du Monde interactif. Chez Apple Europe, beaucoup sont très embarrassés par cette situation.» Selon Corinne Denis, «Apple, qui détient 80% du marché des tablettes, a peut-être encore un an ou deux pour réagir. Mais, d'ici là, on aura trouvé des moyens de contourner ce système ultrarestrictif.» Comment faire bouger les lignes? «D'abord en arrivant à faire comprendre à Apple ce qu'est le métier d'éditeur de presse», estime Guillaume Frappat. En en appelant aux instances européennes? Une chose est sûre: la firme de Cupertino (Californie) ne pourra pas longtemps faire l'économie d'une discussion avec les éditeurs, au risque de faire sienne cette phrase de George Bernard Shaw: «Le silence est l'expression la plus parfaite du mépris.»

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