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En dix ans, la chaîne des régions du service public n’a cessé de perdre des téléspectateurs. Et semble en perdre de plus en plus. Quel remède de cheval peut encore la sauver ?

Il fut un temps où M6 était «la petite chaîne qui monte» et France 3 la grande chaîne des régions. En mars 2011, avec 9,7% des téléspectateurs de plus de quatre ans selon Médiamétrie, la chaîne publique est tombée à son plus bas niveau historique en part d'audience, alors que sa rivale privée creuse l'écart, à 10,7%.

Et dire qu'il y a dix ans – lorsque son directeur général s'appelait... Rémy Pflimlin (l'actuel président de France Télévisions) –, France 3 était la troisième chaîne du PAF: elle pesait encore 17% de l'audience et se payait même le luxe, en 2001, d'améliorer son score de l'an 2000 (lire le graphique). Que s'est-il passé pour expliquer pareil déclin? Quelle stratégie de programmes est mise en place par la nouvelle équipe dirigeante pour interrompre cette glissade?

«France 3 a été un peu abandonnée au profit de France 5 ou France 4, analyse Monique Dagnaud, directrice de recherche au CNRS. Le groupe a fait de la gestion plutôt que de l'innovation en pensant qu'un public âgé était extrêmement conservateur dans ses choix. Il y a eu une certaine paresse à s'imaginer que les vieux n'ont pas besoin de renouvellement. Entre 2002 et 2009, le budget de la grille de la chaîne est passé de 689 millions d'euros à 807 millions d'euros sans pour autant que les contenus n'évoluent considérablement

Derrick, Questions pour un champion, Thalassa, Faut pas rêver, Des Racines et des ailes… À France 3, les personnages changent (parfois) mais le programme demeure. À tel point que François Guilbeau, directeur de la chaîne, songe désormais à une «rénovation des marques historiques» d'émissions. «Nous avons un public de fidèles, mais de plus en plus d'infidélités», reconnaît-il. Il faut dire qu'avec près de 20 chaînes sur la TNT, l'avantage de la contre-programmation régionale disparaît peu à peu.

«Il y a un véritable bouleversement depuis 2005, rappelle Nathalie Sonnac, professeur à Paris 2. France 3 est peut-être moins touchée frontalement par les nouveaux modes de diffusion mais, programme par programme, ceux-ci grignotent son audience.» La direction de la chaîne souligne que sur l'offre numérique, seul Free offre par défaut la version régionale de France 3 sur l'ADSL. «J'espère que nous aurons réglé ce problème de distribution, qui concerne 50% de la population sur le câble et le satellite, à la fin de l'année», déclare François Guilbeau.

Besoin du soutien des régions

France 3, «France troisième âge», comme on dit en interne? Au premier trimestre 2011, la chaîne est passée sur un an de 55,7% à 58,7% de téléspectateurs de plus de 60 ans, soit 3 points de plus en 12 mois. Pour Marc Chauvelot, délégué CGT, l'antenne a été «le réceptacle de ce qui ne pouvait pas être diffusé ailleurs». Et s'il n'y avait Plus belle la vie et ses 20 points d'audience, le score de France 3 serait encore bien pire.

«La chaîne a été délaissée et ringardisée, estime le représentant syndical. Plus grave, son image de chaîne de proximité a été abîmée et ses rendez-vous d'info ne suffisent plus à créer une vraie légitimité.» D'autant plus grave qu'avec ses 4 866 salariés et 101 implantations locales, la chaîne n'a que trop besoin du soutien des élus en régions pour maintenir à flot un chiffre d'affaire de 1,225 milliard d'euros financé en grande partie grâce aux deniers du contribuable.

«C'est de moins en moins glamour de recommander France 3 pour une campagne TV, estime Frédéric Degouy, directeur des achats de Mediacom. Si c'était une chaîne senior assumée, très bien. Mais France 3 dérive vers ce positionnement sans que cela fasse partie de son cahier des charges.» Pour lui, la suppression de la publicité après 20 heures a d'ailleurs plutôt limité la casse: «La pub entraîne 20 à 30% d'audience en moins.»

Les programmes seuls ne suivent pas à expliquer la situation. L'organisation est aussi en cause. Il suffit de rencontrer un journaliste en région surmené pour mesurer le degré de désespérance qu'entraîne une entreprise bureaucratique qui surexploite certains de ses cadres tandis que d'autres sont en sous-activité.

Le malaise rejaillit-il sur l'adhésion du public? En tout cas, François Guilbeau, qui affirme travailler sur «une rénovation des contenus et de l'offre régionale», se dit conscient du problème. En pragmatique, il a renoncé à revoir l'organisation en 24 antennes de proximité et 4 pôles de gouvernance, mise en place par ses prédécesseurs à la fin 2009. «J'étais sceptique sur ce dispositif car je constatais qu'il ne marchait pas très bien, lâche-t-il. Mais quand vous changez quelque chose, il faut le temps de le faire fonctionner. Pendant un an et demi, nous ne nous sommes plus occupés que d'organisation et non pas des programmes. On n'allait pas repartir pour deux ans!» Louable clairvoyance… Sauf si les programmes régionaux «à géométrie variable», où les antennes sont invitées à se regrouper en fonction des contenus, se révèlent ingérables…

Refonte complète de la grille

Alors, que faire? Installé depuis novembre à la direction des programmes de France 3, Pierre Sled se souvient que sa prise de fonctions s'est accompagnée… d'une hernie discale. Déjà le poids du fardeau? «Non, ça vient après le stress. Frédéric Lefebvre a aussi eu un infarctus deux jours après sa prise de fonctions», confie-t-il, le nouveau livre de Franz-Olivier Giesbert, M. le président, posé sur son bureau, au cinquième étage de l'immeuble de France Télévisions.

En janvier dernier, sa première initiative a consisté à lancer Midi en France avec Laurent Boyer, à la mi-journée, en démarrant avec deux mois d'avance. «C'est une émission culturelle, pas celle du café de Flore ou du Marais, détaille-t-il. Les maires de toutes les villes nous écrivent pour nous dire que nous valorisons leur région. C'est la raison d'être de cette émission.»

Le programme, qui a provoqué son lot de railleries à Paris, doit encore s'imposer, avec 5 à 6 points d'audience sur sa première partie et 3 à 4 points sur la seconde. La chaîne plaide la difficulté de l'obstacle face aux journaux télévisés (Le 13 Heures des terroirs de Jean-Pierre Pernaut sur TF1). «Il faut garder ses nerfs et continuer à travailler. On peut atteindre les 10 points d'audience avec cette émission», affirme François Guilbeau, qui précise que sur un budget de 107 000 euros par émission, la moitié seulement revient au producteur R&G. Pierre Sled signale aussi qu'elle remplace trois émissions qui, mises bout à bout, revenaient au même prix.

Mais la refonte de la grille, qui pourrait concerner 40 à 60% des programmes à la rentrée, ne se limitera pas à la mi-journée. «À force de lui proposer la même chose toute l'année, le téléspectateur zappe pour aller voir ailleurs. Dans tous les domaines, y compris amoureux, il faut ménager des surprises», s'échauffe Pierre Sled.

Seuil d'alerte dépassé

Le premier chantier a déjà commencé, avec l'annonce de la suppression de l'émission quotidienne de Frédéric Taddéï Ce soir ou jamais. L'abandon de ce rendez-vous culturel intelligent en version quotidienne – à l'antenne depuis 2006 – a fait réagir en direct le linguiste Claude Hagège le 5 avril. Selon la direction, ni l'audience ni le choix des invités ne seraient en cause. «Une seule émission ne peut préempter 80% de la culture, explique Pierre Sled. Notre ambition est de faire émerger d'autres formes de culture, avec quatre cases par semaine.»

À la place, les deuxièmes parties de soirée seront donc rythmées par l'actualité avec Génération reporters, une soirée documentaire, des magazines thématiques et un talk-show probablement animé par Cyril Viguier, dont le nom ne suscite pas l'hostilité de l'Élysée (c'est l'un des deux projets retenus).

L'été sera aussi un laboratoire avec «un grand quiz» et surtout L'Étoffe des champions, un «jeu de défis et d'aventures» régional, qui est aussi de la télé-réalité – rebaptisée «télévision du réel». Il sera diffusé à 20h35 avec Raymond Domenech et le judoka Thierry Rey, et sera produit par ALP (Koh-Lanta). «Pour nous, la télévision du réel ne peut pas placer les gens dans un univers irréel», estime Pierre Sled.

En attendant, la chute d'audience continue d'être bien réelle. Sur un an, selon Vivaki-Reload, elle est surtout visible en semaine de 14h à 18h, le samedi entre midi et 14h et le dimanche entre midi et 14h, et entre 22h et minuit. «Le seuil d'alerte est largement dépassé, estime le député socialiste Didier Mathus. Cela fait quelques années qu'on cherche un cadre stratégique et qu'on ne le voit pas de façon claire. Si on fait le ratio entre l'argent investi et l'impact de la chaîne, on peut se poser des questions.»

Marc Chauvelot, délégué CGT, gronde d'une colère encore moins contenue. «Nous attendons avec impatience le résultat des séminaires internes, prévus fin avril ou début-mai. Si le compte n'y est pas, nous allons monter au créneau très sérieusement. On ne peut pas laisser France 3 dériver comme cela.» Pas de quoi arranger les problèmes de dos de Pierre Sled…

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