Argumentée, documentée, bien écrite… La chaîne YouTube Produit Internet est une mine d’or pour comprendre les rouages de la plateforme américaine. Mais qui se cache derrière ces vidéos passionnantes ?
« Faut-il être riche pour être YouTuber | Le culte vicieux de la méritocratie », « Impossible à cancel : McFly et Carlito », « Dans le monde tordu des Family Vlogs | Transformer sa famille en machine à cash », « Pourquoi tout le monde déteste les Youtubeuses beauté »… Produit Internet est une chaîne YouTube tenue par deux personnes qui ne souhaitent pas révéler leur identité. Pour qui s’intéresse un temps soit peu à l’écosystème YouTube, et plus globalement à l’influence marketing, cette petite chaîne aux 51 000 abonnés est un must-have.
Qui se cache derrière Produit Internet ?
Nous sommes deux passionnées par la « Creator Economy » de 24 et 27 ans. L’une est diplômée d’un master de marketing en école de commerce et travaille dans le secteur de la tech. L’autre est doctorante en sociologie diplômée de Sciences Po Paris et travaille dans le marketing digital.
Quelle est la genèse de votre chaîne ?
La chaîne a été lancée en mai 2021 - l’une de nous est passionnée par YouTube et rêve de lancer une chaîne depuis petite. On a créé Produit Internet pour partager nos analyses et pouvoir vivre de la création de contenu : on est à la fois en train de réaliser un rêve d’enfant mais aussi de poser les jalons d’une carrière dans le secteur de la Creator Economy.
Quelle est votre définition de « Creator Economy » ?
Le terme s’est massifié au début des 2020’s et désigne le marché de la monétisation de la création de contenu sur des plateformes numériques. Cela inclut la production et les prestations de services qui s’y rattachent (montage, conseils stratégiques, publicité…). Ce qui est intéressant c’est de comprendre l’engouement autour du terme - il s’inscrit exactement dans le phénomène de professionnalisation qu’on observe depuis quelques années sur la plateforme. On a longtemps analysé cet écosystème de l’extérieur en tant que spectatrices, et puis on a décidé de passer de l’autre côté en devant créatrices. Il y a deux niveaux qui rendent le secteur fascinant : non seulement on analyse les positionnements de créateurs qui font partie des imaginaires communs, mais en plus on apprend de l’intérieur sur les enjeux inhérents à l’algorithme YouTube et à la manière dont il influence les contenus produits sur la plateforme.
Pourquoi un tel engouement pour les vidéos de critique de l’écosystème YouTube ?
Ce qu’on trouve intéressant à notre échelle, c’est de se demander pourquoi le public est fasciné par les analyses des youtubeurs, qui créent un deuxième niveau de contenu. On peut regarder son youtubeur préféré, puis une analyse sur lui, comme à l’époque où on traînait sur les forums pour du méta-commentaire sur ce qu’on consommait, sauf que maintenant tout se passe sur la même plateforme et fait partie du même écosystème. On peut aussi faire une « méta-méta-analyse » en analysant les chaînes comme les nôtres qui analysent les youtubeurs… C’est une réserve de contenu infinie. Cette niche est aussi intéressante pour les personnes qui espèrent reproduire les résultats des plus grands et faire décoller leur chaîne. On est souvent contactées par des youtubeurs, petits ou très gros, qui nous demandent des conseils sur leurs contenus et leur stratégie. De plus en plus de gens rêvent de devenir youtubeur ou influenceur, et on assiste à ce qu’on appelle toutes les deux la « startupisation de YouTube » avec des créateurs qui se lancent en ayant levé des fonds et en important les codes de la culture startup sur la plateforme (le modèle LEAN par exemple). Et dans le même temps, un retour aux vidéos un peu homemade avec peu de technique mais des propositions de valeur uniques. Le secteur de la creator economy ne va faire que se développer, la CEO de YouTube, Susan Wojcicki, a fait des liens explicites dans son billet de 2022 entre YouTube et le web 3.0.
Vous portez un regard critique sur le métier d’influenceur et le marketing d’influence. Comment selon vous réguler ce secteur ?
Produit Internet n’est pas du tout un acteur en marge de l’écosystème, qui prendrait de la hauteur pour l’analyser de haut. Au contraire, la chaîne est un acteur comme un autre, qu’il serait tout aussi pertinent d’analyser. On ne considère pas qu’on a du recul, au contraire ! On est en plein dedans, et c’est ce qui fait la richesse des analyses. Quand on parle des créateurs, on parle aussi de nous. On ne considère pas qu’on a un « regard critique », plutôt un « regard analytique » : YouTube est un secteur qui nous enthousiasme et nous rend curieuses depuis longtemps. Et puis quand un regard qui se prétend critique s’exprime par le vecteur même qu’il tente de critiquer, ça soulève des questions sur sa capacité ou non à s’extraire. Qu’est-ce que ça implique de critiquer YouTube sur YouTube ? Tiktok sur Tiktok ? Twitter sur Twitter ? La presse écrite sur la presse écrite ? De facto, ça questionne sur la pertinence du medium utilisé pour formuler sa pensée, des limitations inhérentes à chaque medium, et surtout de la manière dont le medium participe véritablement à façonner la pensée qui s’exprime dessus. YouTube n’est pas un simple réceptacle à vidéos et à idées. La manière dont la plateforme fonctionne a une influence directe sur les idées qui s’échangent dessus. Certains artistes et vidéastes comme Bo Burnham ou CJ the X commencent à aborder ces questions et on trouve ça passionnant.