En sept ans, la totalité des grandes formations politiques ont changé de noms. Analyse au scalpel des deux derniers lancements, Renaissance et Nupes, avant les élections législatives.
Ni Clara Koenig, directrice de la communication de La République en marche, ni Antoine Léaument, responsable de la communication numérique de Jean-Luc Mélenchon, n’ont répondu aux sollicitations de Stratégies. Signe que l’arrimage des formations politiques aux lois du marketing n’est pas encore totalement assumé. Et pourtant, comment comprendre autrement l’entrée en campagne de Renaissance et de Nupes en vue des élections législatives des 12 et 19 juin ? Après LR en 2015, la France insoumise en 2016, La République en marche en 2017, le Rassemblement national en 2019 et Reconquête en 2021, Renaissance et Nupes achèvent en 2022 la recomposition du « branding » de l’offre politique. On peut y ajouter Horizons, le mouvement d’Édouard Philippe, qui appartient à la coalition Ensemble de la majorité présidentielle mais ne fait pas partie de Renaissance… Prière de ne pas s’y perdre.
Gaspard Gantzer, ancien conseiller du président François Hollande, apprécie en connaisseur ce travail d’orfèvre à un moment où « l’on parle de moins en moins d’idées et de programmes et de plus en plus de plateforme de marque ». On assite selon lui à un mouvement de reconfiguration par le mot et l’image comme en a connu l’Italie avec Forza Italia, le mouvement 5 étoiles et la coalition de l’Olivier. Et peu importe si Renaissance ne dit rien à personne – Nathalie Loiseau l’avait expérimenté pour sa coalition aux élections européennes de 2019. Ou si l’acronyme de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale est trop long et imprononçable entre Nup, façon Mélenchon, et Nupes façon gauche plurielle. « Le code graphique est réussi avec ce V churchillien de la victoire qui a une bonne dynamique sur les réseaux sociaux, note-t-il. Et le mot d’ordre de “Mélenchon Premier ministre” est très simple même si eux-mêmes n’y croient pas totalement ».
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« Que l'on parle de Nupes, de Renaissance ou encore d'Horizons, on parle d’un rebranding symptomatique de notre époque, complète Arnaud Dupui-Castérès, fondateur de Vae Solis. C'est une réflexion et une réponse de l'immédiateté. Mais ces nouveaux noms n'ont, à mon sens, aucune ambition de pérennité. Par le passé, être socialiste, par exemple signifiait quelque chose. Vous étiez militant, sympathisant, adhérent, et pouviez y faire toute une vie… Vous pouviez être socialiste même en dehors du parti. Mais vous ne pourrez jamais toujours “renaître”, ou regarder “l'Horizon” continuellement. Ces choix sémiologiques et leur dénomination n'ont aucune vocation à devenir pérenne. »
En réalité, Renaissance n’est « pas une vraie marque mais une alliance », rappelle un gourou de la communication qui préfère garder l’anonymat. Après les législatives, LREM pourrait se fondre sous cette appellation. Mais cela reste le parti du président, garant de l’équilibre au milieu d’une triangulation des extrêmes (droite, gauche, centre). Reste à voir combien de temps Renaissance, qui renvoie à l’histoire de France ou à un moment post-covid, peut durer…Le temps d’une étoile filante ? Quant à Nupes, c’est pour lui tout sauf une « alliance de gouvernement » : cette union n’a « pas vocation à gouverner tout de suite mais à donner un contre-poids à la gauche » sous l’autorité d’un chef incontesté.
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Pour Alexis Lévrier, maître de conférences à l’université de Reims, Renaissance et Nupes sont deux projets collectifs qui masquent mal deux ambitions individuelles. L’un est destiné à « tenir des mouvements dans un ensemble destiné à porter la marque Macron » alors même que le président ne pourra pas se représenter en 2027 mais est assez jeune pour espérer renaître tel un phénix en 2032 s’il contrôle son appareil politique. Il s’agirait ainsi d’écarter les rivaux potentiels (Bruno Le Maire, Édouard Philippe…) pour une « renaissance » présidentielle ultérieure. Car Jacques Chirac le savait, tout président ne tient ses troupes qu’aussi longtemps qu’il a un avenir électoral. Quant à Nupes, c’est pour lui un « rassemblement de bric et de broc », une « mise en scène pour un accord électoral provisoire » mais aussi un « arrangement qui consacre la prédominance de Mélenchon sur toute la gauche ». La polyphonie autour de l’acronyme, qui n’a pas été validé par les adhérents, est à ce titre révélatrice. « C'est un nom issu de la politique politicienne pour l'échéance des élections législatives, ajoute Arnaud Dupui-Castérès. Il symbolise l'alliance, et n'aura pas vocation à rester. Ces noms politiques sont d’ailleurs la quintessence des tendances nouvelles : les relations amoureuses, amicales, professionnelles ne sont aussi pas faites pour durer ». Le signe, selon lui, d’un horizon politique assez éphémère, hors des « des idéologies qui dépassent et transcendent l'humain et restent même après sa mort ».
Comme le dit Gaël Sliman, le président d’Odoxa, devant la mauvaise image des politiques, le dégagisme est à l’œuvre s’agissant des noms des partis et des formations. Pour lui, Renaissance est d’ailleurs « une très mauvaise idée sur le plan marketing » car s’il fallait se débarrasser de La Rem ou LREM, la renaissance suggère une nouvelle naissance après la mort, ou une nouvelle civilisation après le Moyen Âge. L’hypertrophie du passé cache-t-elle l’absence de vision d’avenir ? Et qui peut croire que Macron 2 va gouverner très différemment de Macron 1 ? Nupes, plus collégial, passe mieux en tant que coalition de gouvernement : « Dans les intentions de vote, le fait de faire mieux ensemble que ce qu’on ferait séparément permet de faire oublier la personnalisation du pouvoir chez Mélenchon », note-t-il, en rappelant que Nupes a une bonne dynamique dans les sondages même si le scénario le plus probable, compte tenu du scrutin majoritaire à deux tours, est une assemblée en soutien du président.
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« Il serait intéressant de faire un sondage et de mesurer la notoriété spontanée de ces marques. Je suis sûr que peu de personnes connaissent spontanément le parti rattaché au président, par exemple », relève Arnaud Dupui-Castérès. Pour Nicolas Castex, directeur général d'Everybody Knows (influence), « ces rebranding correspondent à un réflexe marketing un peu basique. On fait quelque chose de nouveau pour exister, pour avoir de la visibilité et faire parler de soi, mais sans rien de bien concret derrière. Lorsqu'on change de nom, c'est qu'on a changé le produit ou d’orientation. Les politiques ont conscience qu'ils sont en perte d'audience, ils stressent, alors ils essayent les techniques les plus élémentaires de com pour réveiller l'électeur. Ça crée sûrement une dynamique dans les sondages mais rien de profond ».