C’est l’histoire de quatre jeunes gens dans le vent, passionnés de gastronomie et de voyages, qui ont bâti un empire international du «lifestyle» de luxe. Reportage à Minorque avec Olivier Bon, l’un de ses fondateurs.
À perte de vue, des murs de pierre serpentent, posés pierre par pierre depuis des centaines d’années – certains parlent du 14e siècle. Tout au bout d’une grande allée, encerclée par ces murets et encadrée par des champs, des potagers, une haute bâtisse blanche contraste avec le ciel céruléen de l’île de Minorque. Bienvenue au Menorca Experimental, hôtel quatre étoiles bâti sur les vieux os d’une finca du 19e siècle – les fincas, propriétés rurales, rythment le paysage préservé de l’île baléarique, petite sœur de la plus touristique Majorque.
Avec ses pierres blanchies aux marches ornées de bleu égéen, l’hôtel rappelle les couleurs d’autres îles méditerranéennes. Celles des Cyclades, un peu plus loin, en Grèce. Si les codes du luxe sont bien présents – piscine à débordements, spa aux senteurs raffinées, literie douce et moelleuse comme un nuage –, c’est un luxe discret. Les chambres au design épuré, formes rondes, ocre doux, ont été conçues par l’architecte d’intérieur Dorothée Meilizchon.
Olivier Bon, cofondateur d’Experimental Group, veille avec simplicité et bonne humeur à ce que les hôtes soient reçus dans les règles de l’art. On lui confie que le torrijas, pain perdu espagnol servi au restaurant de l’hôtel – lequel ne sert que des produits locaux et cultivés sur les terres de la propriété –, est à tomber. Il en recommande immédiatement pour toute la tablée. Sous ses airs d’éternel jeune homme, l’entrepreneur est à la tête d’un nouvel empire du luxe. Il l’avoue sans ambages : Minorque était un pari.
« Minorque, c’était un énorme risque. Nous étions ultra-précurseurs sur cette destination. Sur une île comme Ibiza, il y a quinze vols par jours. Même si l’île se démode, il y aura toujours du monde. Alors que pour Minorque, il y a un vol par semaine hors saison. C’est aussi ce qui fait son charme. C’est une destination en soi. » Pour promouvoir ce nouveau lieu, Olivier Bon a su jouer finement des réseaux sociaux. « Quelques mois avant l’ouverture, nous avons posté des photos sur lesquelles les gens disaient : île déserte, grand soleil, Baléares, paysages de dingue... Ça a immédiatement cartonné. »
Cocktails gagnants
Des envies et du flair. Tel est le cocktail à l’origine de la naissance du groupe Experimental Group. Au départ, de très jeunes gens originaires du Sud-Ouest, Olivier Bon, Romée de Goriainoff et Pierre-Charles Cros. « Nous avons commencé sur les bancs de l'école parce que nous étions passionnés de gastronomie, épicuriens très jeunes. Nous nous sommes rencontrés à Montpellier et très vite, nous nous sommes rapprochés autour de ça, nous rendant souvent à Paris nous faire de bons restos... Nous avions déjà envie de monter un restaurant et organisions beaucoup de soirées. Pour vous dire, à 18 ans, nous avons monté une fête mythique, tous les gens qui étaient avec nous au lycée s'en rappellent encore parce que c'était une fiesta pas possible. Avec le profit, nous avons dîné chez le seul gastro de la région à l'époque. Tout le monde nous prenait pour des fous... »
Partis faire leurs études en stylisme et en commerce, l’un à la Bocconi de Milan, le deuxième au Canada et le dernier en Floride, les trois bons vivants, rejoints par Xavier Padovani en 2010, finissent par se retrouver à Paris avec un projet : monter un bar à cocktails. « En Italie, on sirotait des Negronis, aux États-Unis, tout le monde buvait des Cosmos... Nous nous sommes fait la réflexion qu’il n’y avait pas de bar à cocktails à proprement parler à Paris, hormis dans les palaces où on ne peut pas venir en jean et baskets. Il existait aussi des établissements très classiques comme le Harry’s Bar où on ne trouvait que des vieux Anglais qui buvaient du whisky, ce n’était pas super glamour... Nous avons fini par lancer notre premier projet avec très peu de budget. Nous avons eu beaucoup de mal à trouver un fonds de commerce mais nous avons a fini par ouvrir le Saint-Sauveur dans le 2e arrondissement parisien. » Sur des notes plus taniques, suivra La Compagnie des Vins Surnaturels à Saint-Germain-des-Prés.
L’appétit des quatre jeunes hommes, pas rassasié, continue à s’exercer dans la restauration avec, pour première ouverture, le Beef Club, premier steak house premium parisien, avec, au menu, de la viande maturée en provenance d’Écosse. L’aventure hôtelière, elle, débutera dans le 9e arrondissement avec Le Grand Pigalle Experimental, toujours ouvert après presque dix ans d'existence.
Du luxe « abordable »
Au fil des années, le groupe s’est étendu par-delà les frontières. Il opère dans les bars à cocktails, bars à vin, restaurants et hôtels à Paris, New York, Londres, Ibiza, Minorque, Venise et Verbier. « Nous considèrons que tous les domaines de l’hospitality, surtout en France, doivent être révolutionnés. Le bar à vin, la restauration, mais aussi l’hôtellerie », résume Olivier Bon. Au cœur de la stratégie, une certaine vision du super premium. « Nous nous sommes aperçus que de manière universelle, l'hôtellerie “lifestyle”, c'est dans la bouche de tout le monde, mais ça n’existe pas vraiment. Le “lifestyle”, il faut le faire sincèrement. Tu fais ton hôtel comme tu vis, tu fais de la restauration parce que ça te passionne, tu fais du bar parce que c'est cool. Il faut quelque chose de très alchimique pour créer le succès d'un lieu. Nous nous situons à mi-chemin entre le luxe et l'hôtellerie traditionnelle, et du coup, beaucoup de gens qui s’y retrouvent. On est ce qu'on appelle du “affordable luxury”, du luxe abordable. Notre clientèle, ce sont des gens qui recherchent l'authenticité, l'expérience et qui sont déçus par les palaces et leur service uniformisé international. »
Olivier Bon avoue avoir un faible pour le modèle hôtel-restaurant, parce que « la restauration, ça amène de la clientèle locale et ça anime l’hôtel. Le restaurant fait vivre l’hôtel et vice-versa ». Pour autant, les places sont chères. Surtout dans la capitale française. « C’est un marché très concurrentiel. Beaucoup d’hôtel parisiens sont rachetés par de riches familles d’industriels, comme en Italie. » In fine, le groupe, dont le chiffre d’affaires se partage pour moitié sur l’activité bars-restauration et pour l’autre moitié sur l’hôtellerie, ambitionne d’« ouvrir entre deux et trois hôtels par an, c'est vraiment l'objectif », mais aussi de « commencer à gérer des hôtels pour autrui ». Prochaines ouvertures prévues en 2025 : le Val D'Isère Experimental, l'Experimental Marais par l'Experimental Group et, enfin, l'Experimental Roma en Italie, conçu par par l'architecte Rodolphe Parente. Chicissimo !
Dates clés
2007. Experimental Cocktail Club à Paris.
2011. La Compagnie Saint Germain à Paris. Réouverture avec un nouveau décor en 2024.
2015. Grand Pigalle Experimental à Paris (Pigalle).
2018. Grands Boulevards Experimental à Paris (Boulevard Poissonnière).
2019. Il Palazzo Experimental à Venise ; Experimental Chalet Verbier à Verbier en Suisse et Menorca Experimental à Minorque aux Baléares.
2022. Garage Biarritz et Regina Experimental à Biarritz.
2023. Cowley Manor Experimental dans les Cotswolds ; Le Stéreo à Londres ; Montesol Experimental à Ibiza ; Bijou Plage Experimental à Cannes.
2024. L'Experimental Cocktail Club à New York.