Les courriers et mails reçus chaque jour par l'Élysée font l'objet d'un traitement de plus en plus systématique par un service dédié, selon les sociologues Julien Fretel et Michel Offerlé qui viennent de publier « Écrire au président » (La Découverte). De quoi prendre le pouls de l'opinion publique.
« Monsieur le Président... » Chaque jour, ce sont entre 1000 et 1500 lettres qui sont adressées à Emmanuel Macron à l'Élysée. Ce dernier, candidat à sa réelection, fait un usage plus intensif que ces prédécesseurs de ces courriers car « l'opinion des Français qui écrivent, ça peut être une base politique importante pour la gestion politique et la communication politique, et même pour une campagne électorale », a expliqué à l'AFP le politologue Michel Offerlé, qui a mené l'enquête avec son collègue Julien Fretel dans Écrire au président. Enquête sur le guichet de l'Élysée.
Comment fonctionne ce service, peu connue du grand public et qui a évolué au fil des présidences ?
Michel Offerlé. Il s'agit d'un service de 70 personnes environ, qui a pour mission de répondre à tous les courriers (40%) et courriels (60%), un millier par jour environ. Qu'il s'agisse de la correspondance considérée comme « requêtes » (des demandes individuelles, 60%), comme « opinions » (soutiens, critiques, conseils, déceptions) ou comme « courrier réservé » (lettres des personnalités). Le service de la communication directe est situé quai Branly. Depuis la fin du quinquennat Hollande et sous Emmanuel Macron, il a été transformé, digitalisé et orienté vers une définition moins administrative. Il ne s'agit plus seulement de répondre à tous, mais d'utiliser les courriers, désormais appariés aux appels au standard, à des prélèvements sur la presse régionale et sur Facebook et Twitter, à des fins de connaissance de l'opinion publique pour gouverner, voire pour faire campagne. À la manière des usages qu'en faisait aux États-Unis Barack Obama, cela permet aussi de faire état d'un dialogue direct avec les citoyens, par dessus les corps intermédiaires, dans une tentative communicationnelle pour rapprocher Jupiter du citoyen lambda, comme lorsque Macron, dans une allocution récente, a cité longuement un de ces courriers.
Ces courriers peuvent-ils être utilisés comme alternative aux sondages ?
M.O. Il s'agit d'une très belle source utilisable aussi bien par les sociologues que par les politiques. Ces courriers, contrairement à d'autres modalités de perception des opinions, sont spontanées (nul n'est obligé d'écrire au président), sans filtre (on peut tout dire, voire tout demander au président). Et, contrairement à d'autres guichets, on n'a pas à décliner son identité complète, on n'a pas à envoyer de pièces justificatives. Ces interpellations peuvent donc être difficiles à interpréter finement, car outre le sexe et l'origine géographique, nombre de courriers ne fournissent que des renseignements vagues : « un citoyen en colère », « je fais partie de la classe moyenne ». Certaines catégories sont sous-représentées, notamment les plus jeunes.
Ces courriers peuvent-ils aider le président-candidat ?
M.O. Ces courriers renvoient à plusieurs manières de concevoir le rôle présidentiel : un monarque tout puissant qui aurait le pouvoir de tout faire, et un homme qui doit savoir « se tenir » et ne pas mépriser ses concitoyens. D'où les nombreuses critiques, dans les lettres, des formules jugées méprisantes de la part des présidents, sous les divers quinquennats. Cela nous offre en quelque sorte une vision, par le bas, du présidentialisme. Ils sont souvent en phase avec l'agenda médiatique, se multiplient et mettent en mots l'emballement de l'actualité. Cependant certains grands évènements ne suscitent aucun commentaire et inversement, certains signaux faibles ou certaines causes pointues peuvent apparaître. Il serait intéressant de voir ce qu'il en est pour l'actuelle guerre en Ukraine par exemple. Les nombreuses requêtes décrivent souvent par le menu, pièces à l'appui (énumération du budget familial, feuilles d'impôts, résultats d'examens médicaux) le mal vivre de nombre de Français. Avant même les Gilets jaunes, on pouvait le lire dans ces lettres individuelles, qui peuvent parler aussi au nom des autres et, exprimer une colère, voire une haine à l'égard des dirigeants. Ce sont ces lettres la plupart du temps, renvoyées vers les services sociaux, qui sont les plus difficiles à traiter politiquement.
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