A travers des vidéos courtes et dépolitisées, qui reprennent les codes de la plateforme, le président du Rassemblement national s'adresse avec un certain succès aux 18-24 ans, qui ont voté à 25% pour le RN aux dernières élections européennes.
Selfies, gobage de bonbons, musique entraînante et montages flatteurs : Jordan Bardella, président du Rassemblement national (RN), fait fureur sur TikTok, réseau prisé des jeunes, avec une stratégie bien rodée à l'approche du premier tour des élections législatives. « Il est drôle, il a les mêmes références que moi », estime auprès de l'AFP Maya, 18 ans, qui a beaucoup suivi sur les réseaux sociaux la campagne du candidat de l'extrême droite pour les élections européennes.
« Je n'ai pas le sentiment d'entendre un charabia sur des choses qui se sont passées avant ma naissance, il parle du présent », ajoute la jeune fille qui n'a pas souhaité donné son nom de famille. La lycéenne, qui vit dans les Hauts-de-Seine et ne s'intéressait pas particulièrement à la politique avant, a glissé un bulletin pour Jordan Bardella le 9 juin lors du scrutin européen. « Ce n'était pas dans mes valeurs, je ne me suis pas spécialement sentie bien après, mais Bardella était le seul candidat crédible », raconte-t-elle.
Comme elle, 25% des électeurs de 18 à 24 ans ont voté pour le RN lors de cette élection, d'après l'institut Ipsos, et 22% des votants de cette tranche d'âge comptent donner leur voix au parti à la flamme aux législatives, selon un sondage Elabe publié la semaine dernière. Pour séduire cet électorat, Jordan Bardella a investi TikTok, où il cumule 1,6 million d'abonnés. 72% des utilisateurs en France du réseau social ont moins de 24 ans, selon les chiffres de Digimind.
« C'est le seul qui ait incorporé les codes de l'authenticité dans ses contenus vidéos », détaille pour l'AFP Tristan Boursier, chercheur au Centre de recherche politique (Cevipof) de Sciences-Po et spécialiste de l'extrême droite. A côté de contenus de communication politique classique où Jordan Bardella apparaît en costume, beaucoup de vidéos « le mettent en scène dans du off, dans sa vie privée en train de boire du pastis, de préparer un meeting où il est mal à l'aise », explique l'expert. « Ca le rend sympathique, humain et le présente comme authentique. »
Le patron du RN fait par exemple étalage de sa passion pour les bonbons Haribo avant un débat télévisé ou encore de son amour du rosé sans sulfites. A l'inverse, d'autres personnalités politiques comme Manon Aubry, tête de liste LFI aux élections européennes, ont des contenus davantage centrés sur le programme et les idées, relève Tristant Boursier.
Il participe lui-même à des tendances TikTok
Des montages d'amateurs avec coeurs et étoiles sur fond de sons entraînants mettant en valeur le physique de Jordan Bardella ont aussi fleuri sur le réseau. Parallèlement à ces « fan edit », inspirés de l'univers de la K-pop, le candidat participe lui-même à des tendances TikTok, comme les vidéos humoristiques Point of View lors de ses déplacements de campagne.
« C'est une personnalité politique jeune, il peut donc jouer sur le mimétisme et l'effet miroir entre lui et l'audience principale de TikTok », résume auprès de l'AFP Marie Neihouser, docteure en sciences politiques et chercheuse à l'université de Toulouse. Ces formats courts et dépolitisés ont aussi deux avantages majeurs. Ils permettent d'éviter les questions de fond en se focalisant sur la personne de Bardella et d'éviter la contradiction qui pourrait survenir dans les médias traditionnels avec la présence de journalistes, analyse-t-elle.
S'émanciper de l'image du RN
Cette personnalisation lui offre l'opportunité de s'émanciper de l'image potentiellement repoussoir du Rassemblement National et de « mettre en oeuvre à l'échelle de sa personne la stratégie de normalisation du RN », complète la chercheuse. « Je ne pense pas que toutes les personnes qui le suivent soient forcément des personnes convaincues », relativise un porte-parole de TikTok pour qui les millions de « J'aime » que compte Jordan Bardella sur la plateforme ne signifient pas forcément un vote ou même une approbation. « Il est très difficile de mesurer l'effet des réseaux sociaux sur les résultats électoraux », abonde Marie Neihouser.
Avec TikTok, Jordan Bardella mise aussi et surtout sur sa carrière politique future. « Les ados d'aujourd'hui seront les électeurs de demain. En les socialisant dès maintenant à ses contenus, il ancre son image dans leur esprit. Dans cinq ou dix ans, ce sera plus naturel pour eux de glisser un bulletin Bardella dans l'urne », conclut-elle.