Carton rouge pour les opérateurs de paris sportifs. À la suite d’une concentration excessive des publicités, l’arbitre, en l'espèce l’Autorité nationale des jeux, a sifflé la fin de la partie pour ceux qui ne respectaient pas les règles. Elle a dévoilé les résultats d’une consultation publique avec les lignes directrices et les recommandations sur la publicité des jeux d’argent et de hasard.
«Gros gain, gros respect» (Winamax), «Nés pour gagner» (Unibet), «Bascule dans le game» (Betclic), ces formules alléchantes sont destinées à appâter le chaland. Avec une promesse : gagner de l’argent et changer de vie. C'est en tout cas ce qu'ont voulu faire croire certains opérateurs de paris sportifs ces dernières années. Plus particulièrement durant l’Euro de football 2020 repoussé en 2021, où les publicités promettant monts et merveilles ont explosé avec une augmentation des budgets publicitaires de 26% par rapport à 2019 (Kantar). Selon l’Autorité nationale des jeux (ex-ARJEL), l’Euro 2021 a également enregistré un nouveau record de mises dans l’histoire du pari sportif en ligne avec 435 millions d’euros investis durant la compétition.
Dans le flot publicitaire, les films de paris sportifs sont tous plus léchés les uns que les autres et visent principalement une cible : les jeunes urbains et la génération Z. Parce que parier, c’est cool ? Selon l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), la population de parieurs est plus jeune pour les paris sportifs que pour les autres jeux d’argent et de hasard : 72% sont âgés de 35 ans ou moins, quand 39% des jeunes âgés de 17 ans déclarent avoir joué en 2017. Quitte à créer un malaise. «Pendant l’Euro, il est certain qu’on a assisté à une dérive des opérateurs, où les mineurs et les jeunes de banlieue étaient complètement ciblés», analyse Marine Gaubert, responsable du pôle pratique professionnelle de l’association Fédération Addiction. Au point de faire exploser le nombre de joueurs dits problématiques, comme le rappelait l'enquête du Bondy Blog. Les jeux en ligne représentent une part croissante de l'ensemble des dépenses de jeux d'argent des Français. Parmi les joueurs en ligne, 20% s’engagent dans des pratiques à risques et 13% sont considérés comme excessifs (OFDT 2017).
Mais alors comment une telle dérive publicitaire a-t-elle pu avoir lieu ? Et pourquoi les opérateurs ont-ils pu bénéficier d'une telle impunité ? «L’ANJ peut seulement depuis 2019 obliger les opérateurs à présenter leur calendrier de communication et leurs programmes promotionnels pour l'année. À l’instar de l'ANJ, nous contrôlons principalement le contenu des messages et que leurs pubs répondent aux enjeux actuels», informe Stéphane Martin, président de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP). Malgré ce contrôle imposé, les stratégies promotionnelles en lien avec l'Euro 2021 ont été validées par l’ANJ. Même si cette dernière informe avoir soulevé en amont de la diffusion quelques points de vigilance que sont «l’augmentation substantielle des budgets publicitaires, le ciblage renforcé des jeunes avec notamment des investissements conséquents sur des plateformes sociales et de contenu, et une stimulation active du joueur sur l’ensemble des leviers publicitaires ayant pour effet d’intensifier les pratiques de jeu et le recrutement de nouveaux joueurs.» C’est à se demander qui fait la loi… «Je pense que certains préfèrent payer des amendes plutôt que de se plier aux règles», concède Nicolas Moreau, directeur de création chez Willie Beamen.
Messages de prévention renforcés
L’ANJ a alors lancé une consultation publique en octobre 2021 pour étudier les pratiques des opérateurs des jeux d’argent en matière de communication. «Le jeu d’argent bénéficie d’un statut à part dans la loi. Face à un produit de ce type, la publicité doit être très encadrée. Sauf que le décret initial du 4 novembre 2020 n°2020-1349 n’était pas bien compris par les opérateurs, enfin c’était leur prétexte. L’objectif secondaire de cette consultation publique était de désintensifier la pression publicitaire des opérateurs de paris sportifs que nous avions observée lors de l’Euro de football», explique Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de l’ANJ. Autour de la table étaient donc rassemblés les quinze opérateurs agréés, associations, acteurs publics et parapublics et des professionnels de la pub. Début février 2022, l’ANJ a ainsi publié son plan d’action décliné en deux volets.
Le premier porte sur des lignes directrices concernant les communications commerciales des quinze opérateurs de jeux agréés ou titulaires de droits exclusifs qui s’appuient sur la base légale déjà existante. Concrètement, ces lignes balayent un certain nombre de contenus qui sont déjà prohibés dans les campagnes publicitaires, sans forcément interdire des terminologies ou des champs lexicaux précis. En revanche, la banalisation du jeu, la contribution à la réussite sociale, l’alternative au travail rémunéré sont interdits d’après l’article D.320-9 du Code de la sécurité intérieure. Les messages de prévention pour les pubs TV devront être renforcés par l'ANJ en concertation avec le Ministère de la Santé et l'ARPP pour être plus visibles. Juliette de la Noue, porte-parole de l’Association française des jeux en ligne (AFJEL) qui regroupe Barrierebet, Betclic, Genybet, Joabet, Netbet, Pasinobet, Unibet, Vbet, Zenet et Zeturf, conseille que la tonalité des messages «soit positive pour être en phase avec les joueurs. Par exemple, "fixez-vous des limites”, “gardez le contrôle", “faites des pauses”, dans le même esprit que “mangez-bougez”».
Limitations des spots
Le deuxième volet de la consultation porte sur des recommandations. Si ces dernières ne sont pour l’heure pas obligatoires, les régies se disent prêtes à s’adapter sous certaines conditions. En TV et en radio, la première recommandation préconise une publicité limitée à trois communications par écran publicitaire, tout opérateur confondu. Actuellement, elle est limitée à quatre. «Le passage de quatre à trois communications par écran publicitaire semble être un effort acceptable en raison des enjeux importants de santé publique, mais ce passage devra concerner l’ensemble des supports, notamment le digital», informe Antoine Ganne, délégué général du SNPTV en charge des affaires publiques. Pour l’agence média 79 (groupe Havas), «ces nouvelles directives et recommandations n’auront pas d’impact sur les honoraires perçus, d’autant plus que les acteurs du secteur ont toujours un intérêt à émerger sur les écrans TV. Du côté des régies, cette limitation sera certainement compensée par les investissements d’autres types d’annonceurs.» Qui dit limitation, dit augmentation des tarifs des régies publicitaires pour relancer la concurrence. «La rareté des emplacements disponibles peut se traduire par une inflation des tarifs», informe Guillaume Balloy, directeur général de 79.
Du côté de l’affichage, Stéphane Dottelonde, président de l’Union de la publicité extérieure (UPE), a demandé des précisions à l’ANJ qui recommande notamment d’éviter les affichages successifs sur des emplacements rapprochés. «Nous souhaiterions savoir quelle distance a été définie entre des emplacements rapprochés», rapporte-t-il. Quant au digital, l’ANJ recommande trois communications commerciales par jour et par support de diffusion comprenant sites internet, plateformes et moteurs de recherche. C’était sans compter le consentement et la gestion des cookies. «La notion de répétition et de capping (technique consistant à réduire et réguler le nombre d’affichages des publicités en ligne) n’est déjà pas simple à piloter, et cela l’est encore moins du fait du consentement requis au niveau de l’utilisateur pour placer ces traceurs de mesure et la fin annoncée des cookies tiers pour la fin 2023», confie Hélène Chartier, directrice générale du Syndicat des régies internet (SRI).
Sujet « touchy»
Le problème avec ces préconisations, c’est qu’elles ne sont pas contraignantes. A fortiori, il y aura les opérateurs les plus vertueux et ceux qui feront comme bon leur semble. Stratégies a tenté de joindre opérateurs et agences en amont de la diffusion du rapport. Beaucoup n’ont pas souhaité prendre la parole car le sujet est «trop touchy», quand d’autres n’ont même pas pris la peine de répondre. En revanche, certains ont accepté de jouer le jeu dont Willie Beamen, ex-agence d’Unibet. «Ils ont lancé un appel d’offres avec un brief intégrant les nouvelles directives de l’ANJ. Le problème, c’est que la concurrence est rude dans ce milieu, il y a un réel enjeu de se démarquer tout en respectant les règles imposées. Ils ne souhaitent pas jouer avec la limite», explique Nicolas Moreau.
Unibet n'est pas le seul à avoir lancé un appel d’offres pour refondre sa plateforme de marque. Chez Parions Sport, les dés ont déjà été relancés auprès de son agence Rosa Paris. Une campagne intégrant les nouvelles directives a vu le jour le 6 mars. Du côté du digital, l’annonceur a récemment choisi de confier son budget à Dare.win, avec cette promesse : «nous sommes actuellement en train de travailler sur deux recommandations qui devraient sortir mi-mars», confirme l’agence. Si la FDJ est favorable à trois communications du secteur par écran, les recommandations relatives à l’affichage et au digital leur semblent plus difficiles à mettre en place. Chacun y va de son commentaire. D’un point de vue plus général, l’association Fédération Addiction regrette que l’ANJ n’ait pas pris en compte deux de leurs recommandations : l’interdiction de diffuser des pubs en rapport avec les paris sportifs cinq minutes avant les compétitions, un procédé connu aussi sous le nom de «whistle to whistle ban», et la généralisation à l’ensemble des opérateurs de l’auto-exclusion d’un joueur lorsque celui-ci le décide. «Nous saluons cette communication car il était nécessaire de rappeler les règles. Le problème, c’est que l’ANJ est limitée, elle ne peut pas forcer les opérateurs. Il faudrait que le gouvernement se penche aussi sur la question», appuie Marine Gaubert. Et cela rapidement, si l’ANJ ne veut pas que l’épisode se reproduise à l’approche de la Coupe du monde de football en novembre 2022 au Qatar.