Pépite méconnue du grand public, Lifen, qui communique avec ses clients B to B en usant des codes appropriés, veut renforcer l’ancrage du secteur de la santé dans le numérique.
Deux millions de documents médicaux transiteraient par Lifen tous les mois. Sans que la plupart des patients concernés ne le sachent. Née en 2015, cette start-up de 150 personnes aujourd’hui développe une plateforme d’échange de documents médicaux entre établissements de santé (hôpitaux, cliniques, CHU), professionnels de santé et patients. L’entreprise équipe près de 600 établissements publics et privés, représentant près de 50 % de part de marché, et environ 20 000 libéraux. Étant donné qu’elle est purement B to B, le grand public ne la connaît pas ou peu. Peut-être pas non plus pour sa présence dans le Next40, sélection gouvernementale d’entreprises prometteuses dévoilée début février, aux côtés de Sorare, acteur des NFT, ou de Malt, place de marché de freelances. « Lifen passe pour la pépite. Elle est très reconnue par les pouvoirs publics, pour son agilité, sa capacité à fournir des solutions e-santé intéressantes », observe Joëlle Bouet, associée du cabinet de conseil OpusLine (Accenture).
Communiquer en B to B
La particularité de Lifen est que d’autres solutions numériques utilisées par les médecins peuvent s’interfacer à sa plateforme. Comme un point d’entrée (ou de sortie) avec l’hôpital. « Notre mission est de créer une infrastructure digitale qui n’existait pas », explique Franck Le Ouay, son président, ancien cofondateur de Criteo. Son modèle est basé sur l’abonnement et sur la facturation à l’envoi des comptes rendus médicaux. Comme tous les acteurs de la santé, elle a été touchée de plein fouet par la crise sanitaire. « L’activité a été perturbée car les hôpitaux ont été à moitié arrêtés avant de redémarrer. Le covid a accru la conscience du besoin de digital et provoqué une accélération des projets en conduisant à suivre des malades à distance », témoigne le patron. Après une levée de fonds de 50 millions d’euros réalisée fin 2021, 2022 pourrait notamment marquer pour Lifen, qui compte recruter 70 personnes, le début d’un déploiement à l’étranger, en commençant par un projet pilote en Angleterre.
Sur le volet communication, son ancrage dans le B to B la conduit à adopter des méthodes ciblées. Pas de publicité à grande échelle, qui ne produirait pas son effet. Le marché reste limité en termes de cibles avec, en résumé, de gros réseaux de cliniques, 30 gros CHU et une « longue traîne » de petits. Pour réussir, outre des contacts en one to one ou sur des salons professionnels entre les commerciaux et les clients, par ailleurs en lien avec l’équipe chargée du déploiement et du suivi des outils, elle mise notamment sur l’animation de communautés sur le digital ainsi que sur des événements pour se positionner comme leader d’opinion auprès des décideurs en hôpitaux et experts d’applications e-santé.
Les milliards de la e-santé
En matière d'e-santé, Doctolib, sans doute l’acteur le plus connu dans le domaine, est donc l’arbre qui cache la forêt. Lifen s’inscrit dans un secteur aux forts enjeux. Dans le cadre du Ségur de la santé, 2 milliards d’euros de fonds publics ont été mis sur la table pour digitaliser la santé. En parallèle, les start-up de la HealthTech - incluant la e-santé - ont levé 2,3 milliards d’euros en France en 2021, selon l’association d’entrepreneurs France Biotech. Ce n’est pas un hasard si Google et Amazon se déploient aussi sur le sujet.
« Le marché de la e-santé est encore en devenir en France et largement porté par les politiques publiques, qui rendent possible son développement », affirme Joëlle Bouet. Sans coup de projecteur gouvernemental, c’est plus compliqué pour certains acteurs d’émerger, comme la plateforme de prise de rendez-vous Maiia. Par ailleurs, l’Europe est en train de se structurer dans ce domaine et la politique française s’inscrit dans ce cadre. « Il y a un enjeu d’usage majeur », poursuit la spécialiste. L’idée est que les outils soient adoptés par tous, patients comme médecins, alors que le DMP (dossier médical partagé) a peiné à se démocratiser. Autre problématique centrale : « la sensibilité à l’égard de la donnée personnelle », relève Alix Pradère, associée d’OpusLine. Selon une étude France Assos Santé et CSA de juillet, si 65% des utilisateurs de services de santé en ligne ont confiance dans la sécurisation des données, seulement 24% se disent bien informés à ce sujet et déclarent connaître leurs droits d’opposition sur celles-ci.
Avis d'expert
Sana Bouyahia, responsable de Tech Care Paris (Paris&Co), plateforme d’incubation dédiée à la santé et à la e-santé
Comment a évolué, avec la crise sanitaire, l’image de la e-santé dans le grand public ?
L’innovation en santé n’est pas un sujet grand public. À la suite de la crise, beaucoup de personnes se sont positionnées comme experts en santé numérique, sans être forcément qualifiées. Si bien que le grand public ne sait pas qui croire. En revanche, le secteur attire l’œil des investisseurs qui viennent maintenant - déjà avant - sourcer des projets innovants en France. La e-santé est un terrain d’opportunités mais le public ne le sait pas. Doctolib a certes bénéficié d’un coup de projecteur mais il s’agit d’une entreprise, pas d’un secteur.
Quelles sont les habitudes du secteur en matière de communication ?
Le marché de la santé est assez particulier car l’utilisateur n’est pas le payeur. Les actions de communication sont plutôt orientées B to B donc moins visibles du grand public. Cependant, le public doit être informé car les données de santé générées lors de son parcours lui appartiennent et il doit avoir un droit de regard. Dans l’écosystème, on peut citer des acteurs comme France Biotech, le Leem [syndicat des entreprises du médicament], les associations de patients ou de professionnels de santé qui portent des messages mais la diffusion reste assez complexe. Le classement Next 40 constitue un premier pas vers une communication grand public mais ceux qui s’intéressent à ce type de liste sont les médias, les investisseurs, les acteurs du secteur… De son côté, un lycéen, par exemple, sera davantage intéressé par des sujets concernant son parcours ou ses données de santé. C’est un sujet d’intérêt public où l’État, les acteurs publics, les programmes académiques, ont un rôle à jouer.