La pluie de polémiques auxquelles fait face Paris 2024 crée à la fois inquiétudes, incompréhensions, voire exaspération. Pas un jour sans qu’une info négative ne chasse la précédente, soulignant le goût légendaire du Français pour la critique. Mais est-ce si gaulois ? Tous les JO ont eu leur lot de polémiques. Thierry Reboul, directeur exécutif marques, événements et cérémonies de Paris 2024 s'est penché sur la question.
Si personne ne doute du don naturel de nos compatriotes pour la polémique, ne faut-il pas regarder dans le rétroviseur et procéder à un exercice d’archéologie olympique pour mesurer ce qui s'est dit des Jeux lors des éditions précédentes ? On verra alors ce qu'il en est de l’attitude des médias et des opinions nationales, en particulier juste avant l’arrivée d'un événement attirant l’attention du monde entier tous les quatre ans.
Atlanta 1996, Sydney 2000, Athènes 2004, Pékin 2008, Londres 2012, Rio 2016 et Tokyo 2020. Pour estimer le rôle joué par les réseaux sociaux dans le lancement et l’amplification de la polémique, retenons d'abord les Jeux récents pour une comparaison relativement homogène. Retirons Pékin 2008 qui n'a pas été épargné par la problématique, loin s’en faut, mais qui est plus difficile à analyser au niveau de l’opinion nationale pour des raisons évidentes, avec un débat international autour des droits de l’homme qui a concentré l’essentiel des conversations. Lors de la cérémonie d’ouverture, pourtant un succès considérable, retenons néanmoins la polémique qui s'est invitée en raison de la révélation d’images truquées des feux d’artifice ou au motif d'un chant « l’ode à la patrie » diffusé en play-back non pour des raisons techniques, mais parce que la fillette retenue, jugée disgracieuse, avait été remplacée à l’écran.
- Flot de critiques à Sydney
Reste donc six éditions des Jeux, dont deux en Europe. Le constat est immédiat. En quelques clics, des centaines de liens traitent des polémiques des Jeux récents. Aucune édition n’y a échappé même si nous les avons oubliées. Commençons par Sydney. « Brutal », disait un dirigeant du CIO avec qui j’abordais la question ces derniers jours.
Tout y est passé. La mauvaise analyse de l’impact du vent pour les épreuves, qui imposa de planter en urgence des haies de différentes hauteurs ; le renforcement du site de natation à Homebush Bay en urgence alors qu’une tribune menaçait de s’effondrer ; les rails de la gare olympique, qu'il a fallu remplacer car usés prématurément en raison d’une courbure trop importante... Sans oublier la colère des riverains de la célèbre plage de Bondi s’opposant à la construction du stade de beach-volley, sport pourtant très apprécié en Australie. L'absence d’un grand axe routier permettant de se rendre rapidement aux sites fit aussi jaser.
Rajoutons la billetterie, jugée opaque, et l’interdiction pour les spectateurs d’apporter de la nourriture dans les sites qui créa immédiatement son flot de critiques véhémentes dans un pays où l’on part depuis toujours d’un restaurant avec les restes de son repas. Citons aussi la vive polémique sur la personnalité qui devait prononcer le discours d’ouverture des jeux d’un pays membre du Commonwealth, ou encore la forte critique des autorités sur le thème de la sécurité, avec la révélation trois semaines avant le début des Jeux d’une menace d’attentat terroriste de Ben Laden sur la centrale nucléaire de Sydney, menace connue depuis le mois de mars précédent…
- Inquiétude sur la sécurité et poids du budget à Athènes
À Athènes, maintenant, pays inventeur des jeux antiques, les critiques ont été incessantes. Au programme de l’édition grecque, les installations, la sécurité et le budget occupent les trois premières places du podium. L’organisateur est accusé de non-respect des livraisons d'infrastructures, de ne pas pouvoir garantir la sécurité des athlètes, et d’un budget colossal oscillant, selon les études des ONG, de 6 à plus de 25 milliards d’euros, ce qui – chacun en conviendra – garantit d’avantage la polémique que la précision desdites études…
Pour autant, les Grecs rencontrèrent de réelles difficultés avec le toit du stade olympique, fermé temporairement, ou encore avec le site d’aviron et de canoë-kayak, dont la construction, prévu à Marathon, a été soudainement interrompue en raison de découvertes archéologiques. Cela a suscité une vive polémique entre les experts et les autorités avant que ne soit finalement décidé le transfert in extremis du site dans un nouveau lieu…
Signalons enfin la vive inquiétude soulevée par des attentats cent jours avant les Jeux qui feront de la sécurité de l’édition grecque un débat quasi permanent, l’Australie laissant à ses athlètes le libre choix de se rendre ou non à Athènes.
- Les Jeux polémiques de Londres
Attardons-nous sur Londres 2012. Un régal pour les amateurs de polémiques qui ferait presque passer nos compatriotes pour des critiques amateurs. Petit florilège de cette édition qui fut surnommée « Les Jeux polémiques ». Son logo officiel provoquerait, par son clip promotionnel, une vague de crises d’épilepsie. Les autorités iraniennes ont même cru y voir le mot « Zion », autre nom de Jerusalem, quand il fut par ailleurs taxé d’être obscène et trop cher. Les mascottes fabriquées en Chine furent raillées par l’opinion, avec leur œil unique assimilée à des caméras de surveillance. Les conditions de travail des employés indonésiens fabricant les maillots officiels ont aussi été dénoncées.
Grognons, les Britanniques critiquent alors la façon dont leur pays organise les Jeux. Pour 45% d’entre eux, la Grande-Bretagne est mal préparée à accueillir l’événement, selon un sondage Comres pour ITV. Le fiasco de la sécurité, l’engorgement de la circulation et dans les transports en commun nourrissent l’agacement. Les Londoniens n’apprécient guère les consignes des autorités leur demandant de rester chez eux ou de travailler plus tard le soir pour faire de la place à 3 millions de visiteurs supplémentaires dans une ville déjà saturée.
On se souvient de la cérémonie d’ouverture. Les critiques ont fusé après un « Hey Jude » de McCartney chanté faux par des chœurs mal synchronisés. L’hymne officiel, pourtant confié au groupe Muse, a été accueilli par une pluie de critiques acides et qualifié « d’horreur gargantuesque » par Les Inrocks et de « cauchemardesque » par le Los Angeles Times. À signaler aussi la réquisition en dernière minute de l’armée pour pallier la défection de la principale entreprise de sécurité prestataire du comité d’organisation, ou des plaintes en raison de l’insalubrité des installations proposées au personnel d’entretien du village olympique… Avec une mention spéciale au scandale des sièges vides avec des images de stades montrant des centaines de sièges inoccupés alors que des millions de spectateurs n’avaient pu obtenir de billets… et le grand prix de la colère des Britanniques face à une pinte de bière facturée 7 livres au lieu de 3 en ville au parc olympique.
Au final, nombre de Britanniques ayant fui la capitale avant la cérémonie d’ouverture y sont revenus en nombre le lendemain pour profiter d’une édition des Jeux unanimement saluée comme l’une des plus réussies de l’histoire…
- Cafouillages à Atlanta et Tokyo, crainte de contamination à Rio
On ne peut parler d’Atlanta 1996 sans ses ratés informatiques. Surnommée Cocatlanta, cette édition a été assaillie par la controverse et les railleries de la presse. Des défaillances ont été pointées en matière de transport, notamment des athlètes, qui durent également subir des erreurs d’attribution de médailles.
Quant à Rio 2016, ses logements du village olympique ont sévèrement critiquées et jugés « inhabitables » dès leur arrivée dans la capitale brésilienne par la délégation australienne. La propreté de l’eau de la baie de Guanabara, où eurent lieu les épreuves nautiques, fut aussi mise en cause. La baie était jonchée de détritus et une super bactérie, découverte non loin de là, a incité les athlètes à garder leur bouche fermée pendant les épreuves… tout cela suscitant critiques et enthousiasme mesurée de la population brésilienne.
Enfin, l'édition de Tokyo 2020, à laquelle on pardonna beaucoup en raison du covid, n'a pas non plus été épargnée. Elle a d’abord dû renoncer à un premier logo plagiant celui d’un théâtre belge. Il fut ensuite reproché au parcours du relais de la flamme d'emprunter des territoires contestés. Quant au directeur artistique des cérémonies, Hiroshi Sasaki, il dû partir après une nouvelle polémique liée à la suggestion faite à l’une des artistes de se déguiser en porc.
- Quelques enseignements pour Paris 2024
On l’aura compris, chaque édition des Jeux, sans exception, a dû faire face à d’innombrables polémiques. En la matière, il n’y a finalement pas d’exception française. Il existe en revanche plusieurs leçons à en tirer. Tout d’abord, il faut comprendre l’incroyable complexité que constitue l’organisation de Jeux olympiques modernes. Les contretemps et les difficultés imprévisibles sont le quotidien des comités d’organisation. Leurs réussites sera d’abord leur faculté à rebondir face à chaque situation.
Ensuite, les médias peuvent certainement y saisir l’occasion d’une autocritique. Celle de la nécessité plus que jamais de la vérification de leurs informations et des conséquences sur l’opinion de la course effrénée au buzz pour le buzz largement dictée par les réseaux sociaux. Enfin, n'oublions jamais que c'est une chance pour la France. Celle de constater que le nombre de polémiques auxquelles le comité d’organisation doit faire face n’est aucunement un signe avant-coureur du succès ou de l’échec futur de ses Jeux. À bon entendeur…
