Les innovations se multiplient dans le secteur de la distribution, apportant toujours plus de digital au commerce physique. Pour les enseignes, l’objectif est double : offrir à leurs clients le parcours plus fluide possible et enrichir leur expérience dans tous les domaines.
Imaginez une application qui permette de scanner l’ordonnance de son médecin, d’envoyer celle-ci à son pharmacien pour retirer les médicaments quand ils sont prêts et éviter ainsi l’attente au comptoir. Le réseau de pharmaciens Giphar généralise à l’ensemble de ses officines cet outil, Scan Ordo, et va plus loin. « Depuis le covid, de nouveaux actes ont été attribués aux pharmaciens en matière de dépistage ou de vaccination. Là aussi, le parcours devient phygital avec une prise de rendez-vous qui peut se faire en ligne », indique Damien Gressant, directeur de création et associé de l’agence Intangibles Assets Design, qui a imaginé pour Giphar un aménagement intégrant ces espaces de consultation. En réponse à la problématique des déserts médicaux, certaines de ces pharmacies intègrent des bornes de téléconsultation. Les médicaments prescrits par le praticien sont délivrés immédiatement sur place. « C’est le parfait exemple de la façon dont on crée une expérience génératrice de préférence quand on arrive à intégrer le digital dans le concept retail », note le créatif.
Aménagement repensé
Dans tous les secteurs, on assiste à la multiplication de telles initiatives, facilitées par le développement des usages du digital. Partout, le click & collect ouvre des perspectives. Président de l’agence de design et d’architecture Market Value, Philippe de Mareilhac a œuvré sur le concept des sandwicheries Pomme de Pain. Les nouveaux usages obligent à repenser l’aménagement des points de vente. Les clients ayant téléchargé l’application de l’enseigne viennent chercher au comptoir leurs commandes. In situ, des bornes permettent de le faire sur place. « Au lieu d’avoir trois personnes en caisse, une seule suffit, les autres peuvent travailler en cuisine », remarque Philippe de Mareilhac. Enfin, il est possible de s’installer à table et de flasher avec son téléphone le QR code qui donne accès au menu et permet de passer commande et de payer directement.
Dans ce domaine, l’enseigne Qomod a poussé le bouchon plus loin. Portée par « une alliance d’industriels et de distributeurs » discrets sur leur identité, selon son directeur général Stéphane Vial, elle a ouvert plusieurs points de vente à Lille et à Paris. Dans son établissement-pilote proche de la gare Lille-Europe, Qomod propose près de 500 casiers permettant de retirer ses commandes alimentaires passées chez Monoprix ou Carrefour, ou bien les achats effectués sur les sites de Leroy-Merlin, Kiabi ou Decathlon. Un QR Code suffit pour entrer dans la boutique ouverte en permanence et récupérer ses colis. Des distributeurs automatiques proposent également fruits et légumes, plats préparés ou des spécialités du boulanger du coin. Le client peut aussi retirer ou retourner des produits achetés sur Vinted. L’objectif est d’attirer de nouveaux acteurs, à commencer par Amazon. « C’est le premier réseau phygital de boutiques de services connectés et automatisés », résume Gwendaline Chauvin, fondatrice du cabinet conseil Syd, qui accompagne Qomod dans ce déploiement.
Directrice du pôle conseil de Globe Groupe, Virginie Batlle Jourdan note que jusqu’au covid, l’expérience sans couture vantée par le phygital tenait de « l’incantation ». « Aujourd’hui, on a pris le taureau par les cornes, c’est devenu une réalité sous la pression de consommateurs ultra-connectés dont une majorité est dans l’attente d’une expérience personnalisée et fluide », relève-t-elle. Pour Damien Gressant, « on parle beaucoup de cette notion de phygital, mais ceux qui ont réussi à allier les deux items sont peu nombreux ». Selon lui, « des synergies sont possibles à condition de ne pas improviser et de former le personnel en magasin à ces interfaces ». « Beaucoup d’initiatives technophiles un peu gratuites n’ont pas survécu parce que les consommateurs sont dans l’attente de solutions utiles. Les enseignes qui tirent leur épingle du jeu adoptent une approche centrée sur les utilisateurs », estime Tiphaine Baubinnec, planneuse stratégique chez Castor & Pollux.
Jumeaux numériques
Les progrès techniques encouragent la diffusion du phygital dans le commerce. En transformant les produits en objets connectés, la technologie de radio-identification RFID fluidifie le passage en caisse et facilite l’inventaire. Elle se généralise, notamment dans le secteur de l’habillement. L’intelligence artificielle permet encore des avancées. La société Emova propose une solution de jumeaux numériques simplifiant l’essayage virtuel des produits, en ligne comme en magasin. À partir de trois photos, une de face et deux de profil, il est possible de reconstituer le visage d’une personne et de l’animer. « Il y a un an, il fallait 10 minutes pour une reproduction fidèle. Aujourd’hui, c’est possible en 15 secondes », explique son fondateur, Gaël Seydoux. Pour animer cet avatar et le faire, par exemple, cligner des yeux, il ne faudra bientôt, grâce à l’IA, que quelques secondes, escompte-t-il. L’opticien parisien La Fabrique de Lunettes devrait être l’une des premières enseignes à tester cette solution.
Autre innovation, le lancement d’un QR code intelligent par le groupe WPP, une solution propriétaire baptisée « Scannable Brands ». « La grande différence avec le QR Code classique, c’est qu’il vous géolocalise et peut vous pousser du contenu pertinent », note Dominique Bonnafoux, directrice stratégique chez Landor, chargée de la commercialisation de cet outil. Si vous flashez le QR code d’un tube de dentifrice dans un supermarché, une promotion vous sera proposée. Mais si vous le faites chez vous, on vous proposera une vidéo d’animation de trois minutes, le temps du brossage.
Le cabinet de conseil Doors Consulting Group, en lien avec les sociétés Cohort et Journee, a publié à l’occasion du dernier salon Tech for Retail une étude sur les enjeux des technologies émergentes, Web3 ou métavers, dans le secteur du retail. « 69 % des consommateurs recherchent de nouveaux formats expérientiels et les trois quarts demandent davantage de personnalisation », pointe Séraphie de Tracy, CEO de Cohort, qui propose une solution visant à redéfinir le compte client. « L’enjeu, c’est : comment on sort de la vision gadget, comment on répond à un enjeu de performance et de compétitivité pour capter les données client en magasin, et comment on apporte de l’utilité », liste Karen Jouve, CEO de Doors Consulting Group.
Des outils prisés par les marques
« Le phygital est là pour rester, avec deux grands cas d’usage qui répondent à des besoins de praticité ou des facteurs plus expérientiels. Après tout, si vous continuez à venir en magasin pour acheter vos produits, c’est que vous en attendez une expérience que vous ne trouvez ailleurs », pointe Dominique Bonnafoux. Dans le luxe, notamment, et particulièrement à l’étranger (lire pages suivantes), les enseignes multiplient les expériences virtuelles. Dans un registre ludique, la réalité augmentée constitue un outil prisé par les marques. L’été dernier, via une technologie proposée par Snapchat, les adeptes de cette application pouvaient découvrir la façade de la Samaritaine transformée en montagnes russes, dans le cadre d’une fête foraine montée par le grand magasin. « On va développer en 2024 la possibilité d’augmenter des lieux », anticipe Aïssatou Diallo, head of retail de Snapchat France, qui compte profiter de la fréquentation des JO à Paris pour ce faire. Autre expérience ludique, celle proposée par Picard avec le caviste Le Petit Ballon. Elle permet au client, en scannant le plat qu’il a choisi, de se voir conseiller tel cru plutôt qu’un autre pour obtenir le meilleur accord mets-vin possible.
Il est enfin un domaine dans lequel le phygital démontre toute son utilité, c’est celui de l’environnement, préoccupation majeure des consommateurs. « Le digital peut être un levier de transformation écoresponsable et inclusif », estime Tiphaine Baubinnec. La planneuse stratégique cite l’exemple de la chaîne britannique Asda, qui s’est associée avec un acteur du reconditionné pour proposer dans ses points de vente des bornes permettant, en posant son téléphone portable sur l’une d’entre elles, de connaître sa valeur de revente et recevoir l’argent sur son compte bancaire. De son côté, le groupe Idkids a lancé une application, Idtroc, qui favorise la seconde main. Il suffit de scanner un vêtement pour afficher son prix de revente. On imprime soi-même l’étiquette avant d’apporter le produit en magasin. La même application vous prévient quand le vêtement ou le jouet a été vendu. Très inclusif, Starbucks propose quant à lui une application aux personnes malvoyantes leur permettant, grâce à un partage de caméra avec un employé, d’être guidées à distance dans le magasin.
Le salon Maison & Objet, qui se tient du 18 au 22 janvier à Villepinte, propose de nombreuses conférences dédiées au retail. Christophe Pradère, CEO de BETC Design, invitera les visiteurs à « penser le parcours client à l’ère du phygital » (le 18 janvier à 16h) tandis que Jacques Guyot, associé de Retail Factory à Londres, se demandera comment « assurer une relation client tout en fluidité pour développer ses ventes » (le 22 janvier à 14h). Programme sur www.maison-objet.com.