En prévision des JO de Paris 2024, l’État lance une campagne de communication sur la marque France à destination des leaders d’opinion étrangers. Interview croisée de Michaël Nathan, directeur du SIG, et de la porte-parole du Quai d’Orsay, Anne-Claire Legendre.
Le concept de « marque France » date de 2013. Il brasse à la fois l’idée d’attractivité du territoire, la notoriété de ses produits, la compétitivité, la notion de qualité d’un savoir-faire et l’image globale du pays. Diriez-vous qu’en dix ans la France a imposé sa marque ou que c’est plus compliqué qu’avant ?
Michaël Nathan. Il y a deux aspects : l’aspect communicationnel et les résultats en termes d’attractivité et de visibilité de la France. En tant qu’outil de communication, je ne pense pas qu’on puisse dire que la marque France a explosé. D’un point de vue purement marketing et analyse de la visibilité, c’était plutôt une marque endormie. Il y a eu plusieurs campagnes d’attractivité développées par des opérateurs de l’État, mais avec une communication organisée en silos sur des sujets économiques, touristiques, ou gastronomiques. On n’avait pas encore une approche de marque ombrelle. Il y a un enjeu et une opportunité de passer un cap avec les JO en 2024.
Anne-Claire Legendre. J’ai été consule générale à New York, ambassadrice au Koweït et j’ai beaucoup séjourné au Moyen-Orient. Depuis le début du premier mandat du président Macron, je constate une volonté d’accroître notre rayonnement à l’international. Nous essayons, avec le SIG [Service d'information du gouvernement], de signer cette action et de donner une visibilité sous une seule marque qui permette de rassembler les grands axes d’attractivité de notre pays. Notre rayonnement culturel reste un énorme atout, cela apparaît dans tous les rankings en termes de soft powers. On est toujours reconnu comme une puissance culturelle, d’idées, en passant par la création, la gastronomie etc.
Est-on dans une perception un peu ancienne de cette puissance à l’étranger ? Ou cela comprend-il des éléments nouveaux comme nos performances en matière d’animation, de jeux vidéo… ?
A-C. L. Paris est redevenue une des capitales les plus attractives en termes de culture, notamment dans la nouvelle création artistique contemporaine. Il y a une stratégie de rayonnement de nos industries culturelles et créatives qui va bien au-delà d’une image traditionnelle de notre savoir-faire. Cela passe par la réalité virtuelle, la mise en valeur du gaming, l’animation, la musique… Tout cela fait partie des politiques culturelles que le Quai d’Orsay soutient. Il y a d’ailleurs eu une feuille de route des industries culturelles et créatives (ICC) portée par Jean-Yves le Drian, le ministre précédent, et par tout notre réseau diplomatique.
Dans quelle mesure la marque France doit-elle s’insérer sous la bannière étoilée de l’Union européenne ?
A-C. L. La campagne a été initiée par la présidence de la République. Le ministère des Affaires étrangères a piloté sa création en coordination avec la Direction de la Communication et de la Presse (DCP), aux côtés du Service d’information du Gouvernement (SIG), ainsi que des différents opérateurs de l’Etat, dont Business France. Cette marque n’est pas contradictoire avec notre engagement européen.C’est notre audace et notre rôle de porter une ambition au sein de l’UE, pour la transformer. Il y a par ailleurs un enjeu d’image spécifique à l’Union européenne, comme avec Global Gateway, un grand projet d’infrastructures à l’échelle mondiale qui est, pour le coup, une marque européenne qui vise à placer l’UE comme le plus grand pourvoyeur d’aide au développement ou de solidarité internationale.
M.N. Pour l’ADN de la marque France, nous avons fait le choix de l’audace, sur ce que la France porte en termes d’attractivité. C’est une audace à la française, avec ce je-ne-sais-quoi qui s’appelle le french flair au rugby ou la french touch en musique, une singularité qui permet de réaliser de grandes choses. Notre signature, « Make it iconic » en anglais et « Marquez les esprits » en français, est associée à un actif de communication, « Choose France », comme le salon du même nom. Nous avons capitalisé également sur la Marianne et le bleu-blanc-rouge avec 12 personnalités qui incarnent cette audace à la française dans différentes verticales (économie, sport…). On a voulu un très haut niveau de qualité dans la créa. Cela permet de mettre en avant Station F, par exemple, le plus grand incubateur du monde. La campagne est destinée aux décideurs étrangers, mais si par un effet collatéral, on génère un peu de fierté, tant mieux.
Quelles sont les personnalités de la campagne ?
M.N. On retrouve dans le sport Antoine Dupont, Kylian Mbappé et Victor Wembanyama, qui est en train de devenir un ambassadeur à l’étranger, Thomas Pesquet et Sophie Adenot pour la conquête de l’espace, la cheffe Anne-Sophie Pic ou encore Yann Le Cun, qui est chez Facebook, mais aussi le représentant de l’école mathématique française… Aucune de ces personnalités n’a eu besoin de se laisser convaincre et elles ont accepté pro bono, sans être rémunérées. Quand on sait combien certaines d’entre elles peuvent négocier leur droit à l’image, cela mérite d’être signalé. Nous avons eu dans 100 % des cas un retour non seulement positif mais hyperemballé !
L’idée est-elle d’abord de séduire les investisseurs en renforçant l’attractivité économique de la France ?
A-C. L. Oui, on a bien vu après le Brexit, dès l’arrivée du président de la République, qu’il y a eu un effort pour transformer notre environnement et le rendre plus attractif pour des investisseurs. Cela fait la quatrième année que la France est le premier pays européen pour les investissements étrangers. Le mouvement qui va de La City de Londres vers le territoire français se poursuit. Cela a renouvelé l’image du pays car cela s’est accompagné d’une mise en valeur de la tech – sous le label « French Tech ». Nos ambassades soutiennent désormais près d’une centaine de hubs à l’étranger avec des communautés extrêmement actives, plus jeunes, et portant l’image d’une France qui comprend des stars de l’IA. Cela valorise l’excellence d’un enseignement supérieur.
Qu’est-ce qui est déterminant ? Les lignes de force de la France, à savoir sa position au cœur de l’Europe, la densité de ses infrastructures de transport, la qualité de ses filières d’excellence… Ou des facteurs plus économiques comme le taux d’industrialisation, le chômage ou le désendettement ?
A-C. L. Tous ces facteurs sont importants. Nous avons une série de réformes qui ont visé à rendre notre environnement plus attractif, sur le droit du travail ou la fiscalité sur les entreprises par exemple. Mais évidemment, il faut une infrastructure qui le permette : un enseignement supérieur de qualité qui engendre des talents disponibles et sans doute moins chers qu’aux États-Unis, un réseau ferroviaire efficace qui a permis d’avoir de nombreux investissements dans la logistique et qui ont fait de la France le nouveau point d’entrée sur le continent européen après le Brexit.
La marque France est-elle connectée au made in France ? Doit-elle défendre notre souveraineté, une forme de patriotisme économique ? On pense souvent à Arnaud Montebourg avec sa marinière à la Une du Parisien Magazine en 2012 en tant que ministre du Redressement productif…
M.N. Les notions sont liées, en particulier parce que les travaux menés sur la marque France sont concomitants, il y a dix ans. Mais il ne faut pas résumer ces travaux à la question de la souveraineté. L’attractivité est plus large. Nous avons le savoir-faire académique, les lieux prestigieux pour le tourisme, les politiques publiques pour faciliter l’investissement, mais nous devons être capables de raconter une histoire, d’être dans le faire-savoir, pour accompagner et générer plus d’intérêt. Pour être influent et compétitif, pour que la France compte dans les nations leaders, il nous faut renforcer notre rayonnement. Et donc être dans le faire-savoir comme dans le savoir-faire.
Avec les JO, beaucoup de paramètres, qui peuvent avoir un impact très fort sur l’image de Paris cet été, ne sont pas totalement maîtrisables comme la question des transports ou les punaises de lit. Sans compter les campagnes d’intox qu’on voit venir de l’Azerbaïdjan ou d’ailleurs. A-t-on des dispositifs pour contrer un french bashing ?
A-C.L. Nous sommes très vigilants sur les campagnes de désinformation. Les JO seront un moment de très forte opportunité pour rayonner à l’échelle de la planète. C’est la raison pour laquelle nous lançons la marque France à ce moment-là. Évidemment, cette exposition va avec un risque accru que des acteurs essayent de manipuler ou de créer de la tension autour l’événement. Viginum a en effet pu identifier une campagne vidéo liée à l’Azerbaïdjan. Le gouvernement et cette agence en charge des ingérences numériques étrangères sont extrêmement mobilisés pour ces campagnes ne puissent pas perturber la fête.
M.N. Nous avons l’ambition d’avoir une communication organisée à l’occasion de ces Jeux qui sont une opportunité d’avoir une visibilité à l’international. Nous avons fait tout un travail d’alignement des « codants » visuels pendant les JO en lien avec la direction interministérielle des Jeux olympiques et le Cojo autour du « look des Jeux ». Il s’agit de porter une communication unifiée pendant l’événement. On verra des campagnes avec des thématiques d’organisation des Jeux, plutôt en anticipation, par exemple au niveau des transports. Nous aurons des outils d’accompagnement, de cohérence et de consistance dans la communication institutionnelle en capitalisant sur l’exposition donnée au monde. C’est l’objet de cette campagne autour de la marque France que nous réalisons en amont, avec de l’affichage, du print et du numérique dans des médias internationaux. Nos cibles sont avant tout les « key opinion leaders », autrement dit des acteurs en capacité de prendre des décisions d’investissement en France et d’avoir un effet d’influence.
Quels sont les pays prioritaires ?
A-C. L. Nous avons travaillé en particulier sur cinq pays cibles, en dehors de la France : Allemagne, Canada, Émirats arabes unis, États-Unis et Inde, qui sont déjà des partenaires économiques et avec lesquels nous avons des ambitions très fortes. Nous avons signé une feuille de route bilatérale avec le Premier ministre indien Modi, présent à l’occasion du 14 juillet. Pour relayer la campagne, sont prévus des médias comme le Wall Street Journal ou le Times of India. Certains pays, avec leurs aéroports, sont des hubs. C’est le cas à Abu Dhabi et à Dubaï qui accueillent la COP28 qui connaît tout ce déploiement média. Il y a aussi l’implication de notre réseau diplomatique, le troisième au monde après les États-Unis et la Chine. Nos ambassades et nos partenaires se saisissent de la marque partout dans le monde, l’affichent sur leur façade ou ont permis que des bus au Canada ou le train Paris-Berlin soient floqués aux couleurs de la campagne. En termes de puissance digitale, nous avons 16 millions de followers et 100 millions de visites sur nos sites.
M.N. Cette sphère institutionnelle a la potentialité d’être elle-même un support de communication. C’est un owned media extrêmement puissant. Dix États de plus ont été identifiés pour une extension de la campagne en 2024 avec des pays comme l’Australie, le Brésil ou d’autres pays européens où l'on considère qu’il y a des opportunités à développer.
Quand on défend les intérêts d’une nation et qu’on passe par des plateformes américaines ou chinoises, comment s’assure-t-on que le message est bien adressé, bien mis en avant ? Cela ne doit pas être évident…
M.N. En effet. Nous avons des exigences en termes de brand safety, de diffusion et d’accès à l’inventaire qu’on achète, qui sont au niveau des annonceurs les plus exigeants. Pour toucher nos audiences, on doit en passer par ces plateformes qui ne sont pas égales dans le cadre de la marque France. LinkedIn n’est pas TikTok. Notre agence média [Dentsu France] nous permet de nous assurer de la bonne récupération de ce qu’on a acheté. Sur l’inventaire qu’on peut avoir derrière des ad exchanges, on a appris. L’État a de très nombreux outils qui nous assurent qu’on n’est pas diffusé dans de mauvais contextes.
A-C.L. Facebook est le réseau le plus attractif en Afrique, Instagram est plutôt sur le Moyen-Orient. Il faut arriver à pousser nos contenus sur ces plateformes de façon différenciée avec une campagne en deux langues, anglais et français.
La marque France n’a-t-elle pas particulièrement souffert en Afrique en raison de ce que l’on appelle, à tort ou à raison, le sentiment anti-Français ?
A-C.L. Le Sahel compte très peu dans nos échanges économiques. Il faut regarder les 54 pays africains. Notre premier partenaire commercial est le Nigeria, où nous venons de signer un accord à hauteur de 100 millions d’euros pour investir dans les industries culturelles et créatives. Ce sont des sujets où nous avons une vraie attractivité. Ne nous focalisons pas sur trois pays [Mali, Burkina-Faso, Niger] mais regardons une très forte dynamique sur un continent à la croissance démographique la plus rapide et auquel nous essayons d’apporter une nouvelle forme de partenariat. Les jeunesses de ce continent demandent de la formation, des capacités à soutenir leur volonté entrepreneuriale, à se développer dans les industries culturelles et créatives, le sport, l’entrepreneuriat et les nouvelles technologies. Là-dessus, nous avons un excellent retour. Nous avons eu une hausse de 40 % des visas d’étudiants subsahariens au cours des trois dernières années. Ces contacts sont extrêmement positifs. Nous avons eu récemment 300 jeunes Africains pour le forum Création Africa. Il y a aujourd’hui plus de branches d’entreprises françaises qui se développent sur le continent africain.
L’image de notre pays ne souffre-t-elle pas aujourd’hui dans les pays arabes en raison des positions initiales du président de la République dans le conflit Israël-Hamas ?
A-C. L. Ce conflit crée une très forte polarisation des audiences. Mais la France n’est pas spécifiquement ciblée, il y a une analyse du conflit qui est particulièrement divergente entre différentes parties du monde. Nous avons traditionnellement une position d’équilibre, reconnaissant à la fois le droit d’Israël à vivre en sécurité et le droit légitime des Palestiniens à disposer d’un État. C’est ce que nous faisons valoir dans le monde musulman. Il y a des incompréhensions sur notre position, mais nous nous attachons à rappeler nos fondamentaux dans le monde arabe.