Face à l’aridité des discours scientifiques, un ton humoristique peut aider à rallier citoyens et salariés à la transition écologique. Démonstration avec des initiatives menées par Axa Climate et le Département de la Manche.
Peut-on faire rire avec l’écologie ? La question peut sembler incongrue car le réchauffement climatique et ses conséquences ne prêtent pas vraiment à la rigolade. D’un autre côté, les outils d’appropriation des connaissances scientifiques comme la fresque du climat peuvent générer une angoisse paralysante. Pour sensibiliser et embarquer le grand public sur la transition écologique, l’humour peut pourtant être un levier efficace. C’est du moins le pari relevé par Axa Climate, l’activité d’assurance paramétrique de l’assureur Axa, qui a créé une Climate School pour former ses clients aux enjeux environnementaux. Parmi les formats développés, des sessions de formation d’1 heure à 1 heure 30, mais aussi des capsules vidéo de quelques minutes, qui décryptent des concepts ardus comme les limites planétaires ou la maladaptation, avec un ton décalé.
« Nous nous inspirons des codes des réseaux sociaux avec des formats courts et ludiques, explique Armelle Lavergne, directrice des opérations d’Axa Climate School. Pour les entreprises, cela permet d'embarquer tous les collaborateurs en fonction de leur niveau d'engagement sur ces sujets. » Légèreté dans la forme ne veut pas dire manque de fond : les contenus sont revus et corrigés par les scientifiques d'Axa Climat, et les pastilles se terminent toujours par des pistes de solution. « Je suis convaincue que l'humour est un formidable levier de sensibilisation sur l’environnement. Sur un sujet aussi anxiogène, il est un vecteur de ralliement », poursuit Armelle Lavergne. Concrètement, comment l’appliquer dans une organisation ? « Tout le monde n’a pas le même humour, il faut trouver le bon ton pour sensibiliser sans braquer. On peut varier les formats : théâtre, courts-métrages, podcasts… »
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Par exemple, le Département de la Manche en Normandie a fait appel à une troupe de théâtre pour sensibiliser les citoyens sur le risque de submersion. Le spectacle « Quand la mer monte », animé par l’Agence nationale de psychanalyse urbaine (ANPU), prend la forme d’une fausse conférence scientifique avec des savants fous qui manient les calembours et les situations comiques. « Les risques sont bien documentés par les scientifiques, il faut arriver à les transmettre aux habitants pour qu’ils aient conscience des transformations du littoral, replace Clotilde Lebreton, chargée de mission sensibilisation et accompagnement au changement côtier. Nous avons travaillé avec la direction de la culture du département pour accueillir l’ANPU en résidence et lui permettre de créer différents supports, des ateliers pour les collégiens, des expositions sur les marchés et un spectacle scientifico-comique en prélude à un débat avec des experts. L’humour touche aux émotions, et celui-ci est indispensable pour sensibiliser. Mais il n’est pas suffisant, il doit s’accompagner d’autres leviers. »
Laurent Petit, cofondateur de l’ANPU, explique sa méthode : « On joue sur le registre du canular, qui est une porte d’entrée mi-poétique mi-comique sur le sujet en débat. On fait du situationnisme : on installe une situation qui crée des déblocages psychiques. L’humour calme le jeu car les gens peuvent vite se crisper sur ces sujets. Une fois que la curiosité est éveillée, on laisse la place aux experts et au débat citoyen. Il faut bien séparer les rôles. »
Comme quoi, on peut rire de tout, mais pas n’importe comment. Certaines personnes seront plus sensibles au second degré, d’autres à un humour grinçant façon Don’t look up, la comédie noire de Netflix qui met le doigt sur l’inaction climatique. Face à l’ampleur de la catastrophe, le risque est réel de se replier sur le cynisme qui n’incite pas à l’action. La journaliste Laure Noualhat l’expliquait le 18 avril dernier, lors d’un débat organisé par Axa Climate sur l’humour et l’écologie : « L’humour permet une mise à distance. Mais attention de ne pas tout mettre au même niveau au risque de banaliser les enjeux. » Elle-même a réalisé dès 2011 une série de vidéos sur YouTube autour du personnage de Bridget Kyoto, synthèse de Bridget Jones et de protocole de Kyoto mâtinée de Pierre Desproges. Une blague au hasard : « Vous connaissez l’histoire du type qui commande une pizza 4 saisons dans la pizzeria du futur ? Le serveur lui répond “Ça n’existe plus, mais je peux vous faire une tarte flambée”. »
À ses côtés, Vinz Kanté, animateur de radio belge et ancien influenceur converti à la sobriété, a témoigné de sa nouvelle activité de vulgarisateur scientifique. Sur sa chaîne YouTube, Limit, il réalise des interviews sans filtre d’experts comme Jean-Marc Jancovici. Il anime aussi des formations dans les entreprises et les écoles. « Dans mes vidéos, j’utilise le second degré, avec des vannes, relate-t-il. Lorsque je réalise des conférences dans les collèges, je pratique davantage un humour de stand-up. C’est important de partir des références de son auditoire. Face à des adolescents fans de manga, je compare la lutte contre le dérèglement climatique à Son Goku, qui envoie une boule d’énergie contre ses ennemis. Plutôt que de parler de réchauffement de 2 degrés, qui est abstrait, je les interpelle : “Fini le Nutella !”. Dans les entreprises, j’utilise la gamification, avec une équipe climat contre une équipe énergie. L’humour sert d’exutoire, il permet d’évacuer le stress et de mieux retenir l’information. Mais il ne faut pas l’utiliser parce que c’est tendance sinon on tombe dans le lolwashing. » Faire rire, c’est sérieux.
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