La loi Climat et résilience prévoit un objectif de 20% de surface de vente dédiée au vrac dans la distribution en 2030. Comment se préparent les marques et les commerces ? Réponses d’experts.
C’est l’objet de l’article 23 de la loi dite Climat et résilience, votée en août 2021 : 20% de la surface de vente des commerces de détail de plus de 400 m2 devra être réservée au vrac d’ici 2030. L’objectif, destiné à diminuer les déchets d’emballage, a mis les distributeurs en ordre de marche. Fin 2021, Monoprix a testé l’implantation de meubles dédiés au vrac dans un magasin près de Lille, avec ses propres références et des marques de biscuits, bonbons ou café. Franprix, Carrefour, Système U, Leclerc ont également implanté cette solution dans des magasins pilotes avec un système de distribution standardisé et la collaboration de marques nationales comme M&M’s, Michel & Augustin, Nescafé, Vahiné…
Le bilan commercial et logistique de ces expérimentations doit encore être établi, mais des études permettent de cerner les réactions des consommateurs. Un sondage de l’institut YouGov, réalisé en août 2022 en Europe, a montré que 41% des Français achètent du vrac au moins une fois par mois. Leur première motivation d’achat est la réduction des déchets à 57%, devant la juste dose pour ne pas gaspiller (48%), le prix (35%) ou le souhait de manger sainement (24%). Ceux qui n'ont pas encore sauté le pas citent parmi les freins le manque de praticité, les risques sur l’hygiène et le coût trop élevé.
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Si l’achat de fruits et légumes en libre-service est entré dans les mœurs, si les graines et légumineuses sont déjà présentes en silos, le geste est moins familier pour d’autres catégories de produits, particulièrement les liquides. Pour Bruno Zobec, planneur stratégique de l’agence Pixelis, qui a travaillé sur le sujet avec Monoprix et Système U, « il y a tout un travail culturel à mener pour transformer l’organisation des enseignes. Les employés qui sont habitués à placer des produits en rayon doivent apprendre à remplir et nettoyer des silos de vrac. Il faut mettre en place de nouvelles formations ». Le développement du vrac serait donc en grande partie un enjeu de ressources humaines.
Christophe Burtin, senior partner food & retail du cabinet de conseil Kéa & Partners, pointe les autres limites du système : « Comme le bio, le vrac est paré de toutes les vertus mais la réalité est plus complexe. On dit qu’il promeut le zéro emballage, mais ce n’est pas le cas puisque les produits arrivent dans de grands contenants. On dit qu’il est plus économique mais c’est relatif car il coûte au magasin en entretien, en gaspillage, en vol. Le libre-service accompagné coûte plus cher que les produits pré-emballés. » La grande distribution insiste cependant sur l’avantage prix du vrac afin de convaincre les consommateurs.
Dans le secteur des produits d’entretien et de l’hygiène-beauté, des acteurs comme Unilever, Nivea et Starwax se sont lancés dans la distribution en vrac. En pharmacie, Mustela et Klorane ont tenté l’expérience pour des gels douche et des shampoings, toujours dans l’objectif de réduire les emballages. Mais L’Oréal a décidé de ne pas y aller, privilégiant les éco-recharges. Explications d'Élodie Bernardi, directrice RSE de L’Oréal France : « Nous croyons au vrac si et seulement si nous parvenons à garantir la santé et la sécurité du consommateur. Nous testons en ce moment-même dans deux Sephora un mural de fontaines de parfum pour nos marques Mugler (précurseur sur ce sujet), Lancôme et Armani, car il n’y pas de risque sur les formules à base d’alcool et nous avons des conseillères sur place pour garantir la manutention et le nettoyage. Pour la grande distribution, nous n'avons pas trouvé la machine qui garantisse l’intégrité des produits et l’absence de risques microbiologiques. C’est pourquoi nous avons pris l’option de la recharge pour nos catégories hygiène et capillaire. »
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Les marques Cadum, L’Oréal Paris Elsève et Garnier Ultra Doux sont déjà présentes en format souple pour recharger les flacons à la maison, et Franck Provost va les rejoindre cette année. L’Oréal assure que cette solution permet de réduire de 70% à 80% le poids de plastique. Pour limiter les emballages, le groupe a également développé les shampoings solides sous les marques Dop et Garnier Ultra Doux, et a réduit le poids de verre et de plastique sur toutes ses catégories.
Ces témoignages montrent que le sujet du vrac ne doit pas être traité isolément mais doit faire partie d’une réflexion globale sur la transformation de la distribution. « C’est toute la chaîne de valeur de la grande consommation, fondée sur la massification, une énergie bon marché, des usines éloignées des lieux de vente, qu’il faut repenser. Plutôt qu’une énorme usine qui emballe et qui livre, peut-être faut-il installer une chaîne d’emballage dans le magasin », suggère Christophe Burtin, de Kéa & Partners. Pour l’expert en packaging Fabrice Peltier, « le vrac est surtout intéressant pour les produits achetés régulièrement et faiblement périssables. Mais il n’est pas exempt d’emballage puisqu’il en faut en amont pour acheminer les denrées. Demain, les trémies seront remplies chez l’industriel avant d’être livrées au magasin. »
L’auteur de l'ouvrage La révolution de l’emballage travaille avec l’organisme Citeo pour définir les standards du réemploi, un concept qui comprend le vrac, la recharge et la consigne. « Avec le développement de la vente en ligne, on ne peut pas se passer totalement d’emballage, souligne Fabrice Peltier. Il faut passer à un emballage à usage multiple, car les centres de tri ne pourront pas traiter un accroissement des déchets. Cela suppose de concevoir en même temps les contenants et les systèmes de distribution correspondants, avec la tare déjà intégrée. Il faut aussi mettre en place des usines de lavage. Le vrac est une partie de la solution mais ce n’est pas la solution miracle. »