L’inflation pèse de tout son poids sur les budgets des directions de la communication. Un casse-tête pour les entreprises, et les agences qui les accompagnent. Mais des solutions existent.
Un début d’année dans le brouillard. Sans doute l’expérience la mieux partagée en ce moment par les entreprises. Dans l’incertitude quant à la suite (comment évolueront la hausse des prix, le climat social, la géopolitique mondiale…), elles peuvent avoir tendance, compte tenu de ce manque de visibilité, à faire preuve d’attentisme, à se recentrer sur le court terme, à faire le dos rond. Ce qui inclut réduire la voilure en matière de publicité et de communication, souvent le premier poste mis en sommeil dans ce type de contexte. Soit. Mais il existe aussi des raisons d’espérer. « Nous ne nous attendons pas à un effondrement durable des marges des entreprises », indiquait Bruno Ducoudré, macroéconomiste de la Banque de France, lors d’une visioconférence sur l’économie organisée par l’Irep (Institut de recherches et d’études publicitaires), le 10 janvier.
« Nous sommes confiants sur le scénario de ralentissement des prix dans les années qui viennent », ajoutait-il, même si 2023 ne s’annonce pas non plus exaltant de ce point de vue. À priori, pas de récession entrevue en France, sinon temporaire et limitée, selon les moins bons scénarios mis sur pied par les experts. L’activité stagnera. « En 2022, le taux de marge des entreprises [sociétés non financières] était équivalent à celui de 2018, autour de 31,4 - 31,5 %, il pourrait baisser en 2023 et 2024 [à 30,5 %] et se redresser en 2025 [à 31,4 %] », précise Bruno Ducoudré.
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« Beaucoup d’entreprises imaginaient que 2023 allait être terrible mais en fait plus ou moins : beaucoup, à ce jour [mi-janvier], n’ont pas encore vu un impact sur leur business », confie Solène Madec, CEO de l’agence de publicité Belle, où les coupes de budgets de la part des clients s’effectuent « au cas par cas ». Il faut dire que les organisations ne font pas toutes face aux mêmes problématiques. Le choix de couper « dépend aussi des portefeuilles client et des secteurs d’activité : les secteurs avec des cycles de décision un peu longs ne seront pas impactés », déclare Stéphane Gorre, président-fondateur de l’agence conseil en stratégie média 79 (groupe Havas). Celles qui sont dans une dynamique de développement global ou de promotion de nouvelles offres se poseront sans doute la question à deux fois.
Dans Stratégies n° 2156, sorti le 5 janvier, Orange et Renault, tous deux dans le top 10 des annonceurs plurimédias de Kantar de juin 2022, confiaient leurs projets de maintenir leurs investissements médias dans la période qui s’ouvre. « Nous entrons en 2023-2024 dans une phase où nous aurons beaucoup de produits qui arriveront sur le marché. Nous aurons plutôt tendance à investir en médias pour accompagner ces lancements », assurait Luca de Meo, directeur général du constructeur automobile.
Difficile de voir émerger une norme en la matière, que ce soit en termes de niveaux de restriction, de priorités mises de côté ou d’horizons de travail. Une constante, toutefois : « pas de logique totalitaire : les marques évitent les coupes totales, si jamais cela devait avoir un impact en magasin », rapporte Solène Madec. Le business avant tout. Ainsi, certaines rognent sur leurs budgets. D’autres les sauvegardent mais les investissent autrement en se reposant la question de l’efficacité de leurs actions. D’autres, au contraire, accélèrent. La plateforme de vente de vêtements de seconde main pour les enfants Smala s’est offert début janvier, dans le métro parisien, sa première campagne d’affichage. Pas de norme donc, si ce n’est une capacité à s’adapter aiguisée. « Le groupe Haier est dans une dynamique de croissance au niveau européen, nos investissements marketing et communication aussi, explique Johanna Rochman, directrice marketing et communication France du fabricant d’électroménager (33,5 milliards de dollars de chiffre d’affaires dans le monde en 2021). Nous ne commençons pas l’année en prévoyant des coupes mais le contexte imposant plus de frugalité et de prudence, nous allons nous adapter pour être plus malins et mieux planifier ». Même chose dans les agences. « Depuis le covid, nous avons appris à travailler sur roulettes », lance Stéphane Gorre. Autrement dit, à faire preuve de souplesse. Avancer avec des budgets plus contraints, sur des temps toujours plus courts : chacun a désormais appris à faire avec.
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En attendant l’embellie, les annonceurs se sont attelés à la construction de leurs stratégies pour 2023. « La majorité des marques ont préparé plusieurs hypothèses budgétaires. Nous aussi, en tant qu’agence, nous travaillons plusieurs scénarios », affirme Solène Madec. C’est le cas de Haier. « Nous construisons notre budget 2023 avec une double entrée : les “must have”, et les “cerises sur le gâteau” qui verront le jour si le marché va bien. Nous l’avions déjà fait mais nous planifions davantage que les années précédentes », développe sa directrice marketing et communication, accompagnée par Publicis Media sur le sujet.
Les dispositifs publicitaires sont revus, à différents niveaux, production, modes d’achat ou encore formats, avec l’idée d’optimiser chaque poste. L’enjeu ne réside pas seulement dans les montants investis et la fameuse règle d’or « communiquer sur le bon canal, au bon moment, avec le bon message et sur la bonne cible » retrouve de la vigueur - pour peu qu’elle en ait perdu un jour. Chacun cherche sa recette gagnante. À l’image de Marcelina Stark, directrice générale associée d’Angelys Group, société spécialisée dans la réhabilitation d’immeubles anciens. Celle-ci a dû réduire ses budgets dans le contexte actuel et notamment renoncer à une partie de la publicité qu’elle faisait dans les magazines. « Nous gardons la partie image, avec notre attachée de presse, pour nous faire connaître auprès de notre réseau et expliquer qui on est », appuie la dirigeante.
De façon générale, deux questions se posent, sur le nombre de campagnes (faut-il le réduire ?) et les supports utilisés. Là encore, pas de réponse toute faite. Par exemple, les entreprises dont le business est saisonnier, comme dans le tourisme ou le transport, à l’approche des vacances d’été, ne pourront peut-être pas passer à côté de leurs habituels temps forts de communication. Quitte à adapter leurs dispositifs sur d’autres volets. D’autres se montreront plus sélectives. « Nous adoptons le “less is more” : nous nous recentrons sur moins de campagnes tout en nous assurant qu’elles soient bien relayées par nos différents points de contact », complète la directrice communication de Haier.
En termes de canaux, la télévision, nécessitant les budgets les plus importants, est parfois la première sacrifiée. D’autant que les tarifs n’ont pas tendance à baisser et que les annonceurs, à budget équivalent, n’ont plus forcément accès aux mêmes offres. Problème : il n'est pas évident de trouver un équivalent à sa force de frappe de média de masse, même si le temps d’écoute moyen subit une baisse continue. « Les annonceurs n’ont pas tendance à vouloir délaisser la télévision pour faire du digital à la performance. Ils se demandent plutôt : pourquoi ne pas faire du digital pour travailler ma marque ? », observe Solène Madec. Le digital et le social présentant les avantages de se mesurer précisément et d’assurer une certaine présence à l’esprit du consommateur. « Nous allons davantage utiliser les nouveaux outils comme l’inbound marketing », avance Marcelina Stark. « Optimiser le mass media et structurer le retail media », synthétise Johanna Rochman. Le canal événementiel n'est pas en reste. Malgré le contexte, la plateforme de seconde main Smala, en parallèle d’autres leviers (publicité sur les réseaux sociaux, influence, partenariats avec des marques…), peaufine actuellement, pour mars, sa première boutique éphémère en physique. À l’inverse, Angelys Group, habitué des salons immobiliers, continuera de partir à la rencontre de ses clients dans ce cadre mais prévoit d’en faire un peu moins cette année.
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Autrement dit, chacun redessine ses actions avec les moyens alloués. La situation oblige à se creuser la tête pour faire mieux ou au moins aussi bien avec moins - si ce n’est de budget, de certitudes. Un facteur de créativité, certes plus ou moins forcée mais tout de même. De nouvelles pratiques voient le jour ou sont revivifiées. « Nous souhaitons davantage prendre la parole en comarketing avec les distributeurs », indique Johanna Rochman. Comme lors d’une opération d’influence sur les lave-linges connectés en partenariat avec l’enseigne Boulanger. Une façon d’optimiser les coûts, en particulier les achats médias, et l’amplification de la campagne.
Reste un aspect essentiel. Les messages sont également repensés afin de tenir compte des aspirations des consommateurs à une vie meilleure dans un contexte compliqué. « Certains de nos clients surinvestissent pour montrer qu’ils sont du côté des Français », assure Solène Madec. Un peu à la manière de ce qui avait été fait pendant le covid, toutes proportions gardées, où la publicité s’était attachée à affirmer son utilité sociale. « Nous distribuons des produits du quotidien qui ont un potentiel impact sur la consommation d’énergie, conclut Johanna Rochman. Aussi, nous déployons un discours sur les économies d’énergie pour encourager à aller sur des produits de classe A ». Pour une sortie collective du brouillard - d’un autre type...