Tenir son budget et acheter responsable : pour résoudre cette équation, les consommateurs se tournent vers la seconde main. Les acteurs traditionnels du retail observent de près ce changement de modèle, certains allant jusqu’à proposer des nouveaux concepts ou services. Un article aussi disponible en version audio.
Textile, poussettes, sièges auto, jouets… Sur 1 300 mètres carrés, sont soigneusement rangés des produits d’occasion, griffés de toutes marques, pour les enfants de 0 à 12 ans. Des âges dont les besoins, vestimentaires notamment, évoluent en permanence. Baptisée Kidkanaï, l’enseigne a ouvert ses portes à la fin du mois de novembre dans la zone d’activité commerciale de Leers, dans la banlieue de Roubaix. À l’initiative de ce projet : Patrick Stassi, CEO du groupe Kiabi, qui a confié la création de ce concept-store à l’un de ses managers, Ismaël El Hamouchi, il y a un peu plus d’un an. Ce dernier s’est fait accompagner par une cinquantaine de collaborateurs de Kiabi sur des sujets spécifiques et par l’agence Stories Design, qui a remporté la compétition en novembre 2021. « Nous avons conçu cette grande surface autour d’une identité forte, celle d’une grange colorée et chaleureuse, pensée comme un lieu d’échange autour de la parentalité », présente Dan Otmezguine, directeur général de Stories Design.
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Car la proposition de Kidkanaï dépasse l’aspect purement commercial. L’enseigne dispose d’espaces pour l’animation d’ateliers ou de « talks », et met à disposition des stands à l’entrée du magasin pour l’organisation de braderies. « Les particuliers peuvent prendre possession de ces stands pour vendre eux-mêmes leurs biens d’occasion pour enfant », développe Dan Otmezguine. Autre particularité de l’enseigne, son application mobile, qui permet de faire estimer ses biens. Les clients peuvent ensuite les apporter en magasin, au sein d’un espace identifié comme « La Collecte », en les déposant sur un tapis roulant ludique. Les articles sont alors analysés pour un éventuel rachat par Kidkanaï, « avec une variation de 0 à 30 % du prix estimé sur l’application », prévient Ismaël El Hamouchi. Outre les affaires vendues par ses clients, l’enseigne s’appuie sur un réseau d’une trentaine de fournisseurs. Pour être rentable, elle se fixe un objectif de revente des produits à hauteur de 60 % du prix neuf. Actuellement en test pour six mois, Kidkanaï a vocation à se déployer partout en France. « Nous espérons l'ouverture d’une trentaine de magasins d’ici à 2025 », formule Ismaël El Hamouchi.
La naissance de ce concept-store est emblématique d’une révolution de la seconde main qui a cours dans le commerce de détail. Cette révolution a d’abord été menée sur internet avec une grande diversité de pure players, comme Leboncoin, deuxième site e-commerce en France derrière Amazon (en nombre de visites), selon une étude KPMG et la Fevad. Sur la catégorie textile, on peut citer le site lituanien Vinted, valorisé 3,5 milliards d’euros, ou encore Videdressing et Vestiaire Collective. Back Market se pose en référence du côté des appareils reconditionnés. Ces plateformes en ligne contribuent à ancrer l’économie circulaire en France : d’après l’étude ReCommerce 2022 de WPP et GroupM, 91 % des Français ont déjà acheté de la seconde main, et pour 46 % d’entre eux, cette pratique de consommation date de moins de cinq ans. « Aujourd’hui, acheter neuf n’est plus du tout une évidence », commente Nathalie Cachet, présidente de Score DDB. Désormais socialement valorisée, la seconde main est une réponse à une volonté de mieux consommer sans dépenser plus, le prix restant le facteur déterminant dans la décision d’achat.
Ces deux dernières années, les acteurs traditionnels du retail se sont, à leur tour, emparés de la question en lançant une quantité d’innovations. Parmi les cas marquants, le déploiement par La Redoute de la plateforme La Reboucle en janvier 2021. Les retailers jouent la carte du tiers de confiance alors que les principaux freins à l’achat d’occasion sont le doute sur la qualité du produit, en particulier l’état d’usure, et le manque de garantie après-vente.
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Dans le flot de nouveaux services lancés ces derniers mois, le cas de Devianne, dont le projet a été récompensé lors des Trophées européens de la mode circulaire. Vieille de 140 ans, l’enseigne de prêt-à-porter multimarques des Hauts-de-France, a revu son identité en 2022 et s’est renommée Des Marques & Vous. En préambule de cette transformation, un nouveau service baptisé « Redlab - Réparer, recréer, revendre » a fait son apparition en mai 2022 dans la totalité du parc de l’enseigne, soit 45 magasins sur le territoire français. Le distributeur a capitalisé sur sa particularité historique : l’emploi de couturières en magasin pour les retouches. Depuis lors, au sein de ses corners Redlab, les clients qui possèdent la carte de fidélité peuvent « faire réparer leurs vêtements, les upcycler ou vendre ceux qu’ils ne portent pas [payés en bons d’achat] d’un niveau de gamme équivalent à ce que nos clients apprécient », détaille Stéphane Roche, directeur général de Des Marques & Vous. Avant de se déplacer en magasin, il est possible de faire estimer ses articles en ligne, via un algorithme aligné sur les prix des plateformes.
Six mois après le lancement de Redlab, Stéphane Roche tire un premier bilan : « 10 % de nos tickets sont des achats de seconde main et le trafic en magasin est supérieur au marché de trois points ». Pour cette innovation, l’enseigne a créé la Redlab Academy et embauché 14 couturières supplémentaires, en alternance. Car les services de réparation demandent un savoir-faire, en attestent Fnac Darty et Decathlon, qui ont également ouvert des formations pour les besoins de leurs services respectifs. Quant à la vente d’occasion, « elle nécessite de savoir gérer des stocks de pièces dépareillées », prévient Anna Balez, cofondatrice et CEO de Lizee, une solution saas de logistique circulaire employée par les services de seconde main et de location de Maje, de Petit Bateau, Kiabi ou encore Gemo. D’ailleurs, selon la cofondatrice, la location est le service de seconde main le plus rentable pour les retailers. Mais les consommateurs sont-ils mûrs pour passer de la possession de biens à la location, c’est-à-dire à une consommation par l’usage ? S’ils le sont, le sont-ils pour toutes les catégories de produits ? Seul l’avenir le dira.