Le terme d’éco-anxieux est entré dans le débat public. Mais que recouvre-il vraiment ? Combien sont-ils à être atteints d’éco-anxiété ? Et comment s’adresser à cette cible ? Éléments de réponse. Un article aussi disponible en version audio.
Sommes-nous tous des éco-anxieux ? C’est un « sentiment très répandu », selon Lise Brunet, directrice d’expertise à Sociovision (Ifop). « Presque deux tiers des Français se disent angoissés par les changements climatiques », note-t-elle en se basant sur les résultats de l’Observatoire France, une étude réalisée depuis 1975 par son institut auprès de 6 000 Français âgés de 15 à 74 ans. 64 % des personnes interrogées estiment que ce sujet les « angoisse beaucoup ». « Il n’y a aucun groupe social qui ne soit pas inquiet. Hommes ou femmes, jeunes ou vieux, villes ou campagnes, milieux populaires ou aisés, ce sentiment est partout majoritaire », complète-t-elle. Le sentiment d’anxiété n’est toutefois jamais aussi fort que dans les catégories où la conscience des enjeux est la plus aigüe, chez les plus diplômés, les plus jeunes et les CSP+.
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Si 64 % des Français disent aujourd’hui, toujours selon Sociovision, « qu’il leur arrive souvent de penser qu’ils auront à l’avenir à modifier certains de leurs choix de vie en raison des changements climatiques », ils n’étaient que 56 % en 2020 et 2021, 48 % en 2014 et 25 % en 2002 à exprimer la même chose. Sur la base d’un panel de 15 000 répondants, Barbara Vite, à la tête du département research & insights de Dentsu, confirme que la prise de conscience des enjeux climatiques est passée de 58 % en 2019 à 69 % aujourd’hui. Dans la typologie établie par son agence, les « climatosceptiques » (11 %) et les « inconscients » (20 %) sont minoritaires face aux catégories qui ont pris conscience des enjeux, qu’ils soient des « transformateurs » (14 %), des « nouveaux convertis » (34 %) ou des contraints » (21 %). Pour Sociovision, cette prise de conscience débouche sur de l’anxiété pour trois raisons : le changement climatique laisse présager des événements extrêmes, premier risque à inquiéter les Français, à 59 %, devant les agressions physiques (55 %) et la cybercriminalité (49 %) ; la remise en cause du confort et du plaisir, piliers de la société de consommation ; la perte visible de la biodiversité. « Ce qui génère cette anxiété, c’est à la fois la surinformation et le sentiment de ne pas pouvoir agir », estime Thomas Bosque, planneur stratégique de The Links, dont le groupe vient de publier une vaste étude sur les comportements de consommation des Français en 2022.
Selon Thomas Saunders, planneur stratégique chez DPS, après l’anxiété vient « nécessairement l’action », du moins pour ceux qui ne sont pas tombés dans la « solastalgie », une sorte de dépression verte. Après avoir remarqué qu’aujourd’hui, « c’est l’ensemble de la société française qui est écolo-anxieuse, surtout depuis cet été et les effets visibles du changement climatique avec les incendies et la sécheresse », Bertrand Beaudichon, président d’Initiative Paris, souligne la « forte progression des écolos-combattants ». Ils sont passés en un an de 12 % à 18 %, selon la dernière étude sur l’état des cultures citoyennes en France, produite par son agence. Les différentes formes d’engagement, notamment associatif, peuvent aller, observe-t-il, jusqu’à « la désobéissance civile ». Symbole de ces nouveaux militants du climat, les ingénieurs tout juste diplômés d’Agro Paris Tech qui, en avril, annonçaient refuser les débouchés offerts par leur formation. La vidéo de ces huit étudiants flirte aujourd’hui avec le million de vues. « Des jeunes formés pour être des cadres dirigeants qui tirent la sonnette d’alarme, cela a frappé les gens », constate Lise Brunet.
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Pour Simon Athlan, l’un des directeurs de la stratégie de marque de Jellyfish, les éco-anxieux n’apparaissent pas comme une cible de communication en tant que telle. « Je n’ai jamais eu ça dans un brief », dit-il. « De toute façon, une telle cible serait extrêmement difficile à travailler, surtout si le sujet est de la convaincre de la qualité de l’engagement d’une entreprise. Par définition, un éco-anxieux est persuadé que l’entreprise participe à un système qui a peu de chances de répondre à l’urgence des enjeux », avance-t-il. « Il ne faut pas se dire que c’est une cible marketing comme une autre. Elle attend le discours des marques au coin de la rue avec un bazooka », relève Lionel Gomez, directeur général et directeur du planning stratégique de Wunderman Thompson. Pour lui, l’irruption de ces militants est « positive ». « Elle va nous forcer à passer à l’étape d’après. Pour eux, on est une cause majeure du problème. Si on va les chercher, il faut arriver avec un vrai discours, et des preuves à l’appui », estime-t-il. Pour Benoît Clavé, directeur du planning stratégique d’Herezie, cette question de l’éco-anxiété, si elle n’est pas formalisée en tant que telle par les annonceurs, apparaît en filigrane dans tous les briefs. « Comment contribuer à un monde meilleur, cela revient fréquemment, on doit le prendre en considération », note-t-il.
Directrice générale adjointe en charge du planning stratégique d’Altavia Disko, Laure Frémicourt conseille de proposer au consommateur des « choix simples ». « Cela permet de réduire leur charge mentale », estime-t-elle, en donnant pour exemple le porte-savon magique de la marque de produits d’hygiène solides Unbottled, qui apporte « une solution pratique » aux éco-anxieux. Pour les rassurer, il faut aussi leur fournir le maximum d’informations, comme le fait sur ses étiquettes une marque de mode comme Sessùn, observe-t-elle, en saluant dans le même secteur des griffes comme Patine ou Asphalte, dont le système de précommandes permet de ne produire que ce qui va être vendu.
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Plus largement, selon Sociovision, les marques doivent avoir en tête que face à la question du climat, les consommateurs sont en manque de modèles et d’exemples. « Les gens nous disent qu’au-delà du frein financier, ils ne savent pas comment faire, et une majorité d’entre eux pensent qu’ils ne pourront pas avoir une consommation responsable sans se priver de plaisir », constate Lise Brunet, qui recommande « d’associer à cette thématique des émotions plus positives pour sortir la communication responsable du registre de la peur ». Face au rejet de la publicité par les éco-anxieux, Bertrand Beaudichon loue les vertus de l’influence pour les convaincre. « Quand ce n’est pas une marque qui parle mais mes pairs, j’ai plus tendance à les croire. Cela est vrai pour toutes les catégories mais encore plus pour celle-là », note-t-il. Au-delà de cette cible, « il ne peut plus y avoir de plan de communication sans un volet portant sur les preuves de son engagement social ou environnemental », estime-t-il encore.
La bonne nouvelle, c’est que ça marche. Dentsu a étudié près de 600 bilans d’impact de campagnes télévisées sur les actes d’achat de produits de grande consommation en magasin. Les spots qui intègrent des mentions écologiques ou durables dans leur message (80 d’entre eux) « génèrent cinq points de plus d’efficacité sur le recrutement de nouveaux consommateurs et cela monte à 24 points pour les produits d’hygiène-beauté (26 campagnes) », se félicite Barbara Vite.
Les trois cultures de la consommation engagée, selon Sociovision
1. La culture hédoniste. Il s’agit d’une culture individuelle où la notion de plaisir reste importante. S’acheter une voiture électrique comme une Tesla, consommer des produits bio mais de qualité, s’acheter des vêtements Made in France fabriqués avec de bons tissus, voilà quelques aspects de ce mode de consommation. Ces hédonistes ne sont pas ceux qui sont les plus touchés par l’inflation, ils voyagent, vivent dans les grandes villes et appartiennent principalement aux catégories CSP+. Cela concernerait 20 % à 25 % de la population, avec un noyau dur de 10 % pour les plus investis d’entre eux.
2. La culture de la sobriété. Ce sont les Français qui « font avec ». Cette culture concerne 20 % de la population et se caractérise par une surreprésentation des classes moyennes basses et des milieux populaires, dans les petites villes et milieux ruraux où perdure la mémoire de la vie simple des générations précédentes. Cette culture s’ancre au niveau du foyer. Le levier économique rejoint la préoccupation écologique. La notion de sobriété est centrale. Faire avec, c’est faire avec le moins possible et faire avec ce qu’on a. Cette culture valorise un mode de vie sain, sans excès. On cuisine les restes, on trie, on recycle, on répare, on fait durer, on vend ou on achète d’occasion.
3. La culture de la proximité. Il s’agit d’une culture à l’échelle de la collectivité, de la ville ou du quartier. Les valeurs principales sont celles du partage et de la convivialité. On s’organise pour le covoiturage, les jardins partagés, les paniers Amap ou l’habitat collectif, tels les écolieux Oasis du mouvement Colibris. On recrée des micro-sociétés où l’on applique à la consommation le modèle associatif. Cette culture concerne 10 % à 20 % de la population. Ses représentants sont issus des classes moyennes et des classes moyennes supérieures, avec des personnes un peu plus âgées que la moyenne. Ces baby-boomers sont rejoints par des générations qui ont grandi avec les réseaux sociaux, vus comme un moyen de se mobiliser.