La mairie de Neuilly-sur-Seine s’attelle depuis plusieurs années à refondre l'avenue Charles-de-Gaulle pour y intégrer des boutiques 2.0 basées sur le phygital et l’expérience. Avec ce projet baptisé Folies, la ville espère séduire de nouveaux clients en devenant la vitrine du commerce de demain.
En pleine journée, sur l’avenue Charles-de-Gaulle à Neuilly-sur-Seine, il y a autant d’embouteillages sur la route que sur les trottoirs. Entre les tractopelles qui s’activent et les passants pressés, la ville grouille. Derrière ce joyeux bazar, le maire de Neuilly-sur-Seine Jean-Christophe Fromantin (DVD) et son opération « Les Allées de Neuilly ». « C’est un très long projet mené uniquement par la ville de Neuilly et qui a été lancé il y a dix ans. Il consiste à refaire deux kilomètres de l’avenue Charles-de-Gaulle, un des segments de l’axe Tuileries-La Défense, où nos trottoirs actuels de trois mètres de larges vont être élargis pour atteindre 25 mètres et y accueillir des Folies. En fait, nous recréons 10 hectares d’espace public. Rien que pour cela, j’ai dû négocier pendant cinq ans avec l’État pour qu’il rende cette avenue à la ville, auparavant nationale, puis il a fallu demander la suppression du rond-point de la porte maillot qui opérait une rupture dans l’axe », explique le maire de Neuilly-sur-Seine, Jean-Christophe Fromantin.
À l’origine, ces « folies » sont des bâtiments datant du 17e siècle et sont habituellement situées dans des parcs ou autres endroits boisés. Son étymologie vient d’ailleurs du mot folio qui veut dire feuilles en latin. Son autre définition relève plutôt du domaine architectural puisque les folies étaient bien souvent des bâtiments extravagants et créatifs, prescripteurs de nouvelles tendances. « En tant que maires, nous observons un risque à ce que le commerce de proximité disparaisse, c’est un élément de liant dans l’espace public et si nous ne remédions pas à cette problématique, nous risquons d’avoir des villes-dortoirs. Auparavant, lorsque j’avais travaillé pour l’élaboration d’une Exposition universelle, je m’étais déjà intéressé aux folies, véritables précurseurs de modes de vie et de consommation », ajoute le maire.
Autre temps, autres mœurs. Au 21e siècle, ces folies se transforment en concept phygital, c’est-à-dire des commerces expérientiels sans vitrine et sans caisse, où les badauds pourront se rendre, tester différents concepts selon la marque et commander le produit sur place pour le recevoir chez eux. « Nous demandons aux marques de s’interroger sur leur singularité. Par exemple, une marque de parfums pourrait élaborer un espace olfactif, un fabricant d’enceintes nous a contactés pour réaliser des pavillons acoustiques, une autre enseigne souhaiterait faire une galerie NFT, même des musées s’y intéressent pour y inaugurer des avant-premières… Peu importe ce qu’elles entreprendront, elles ont conscience qu’on ne peut pas déshumaniser le commerce, simplement réinventer sa présence dans l’espace public selon son imaginaire », analyse Jean-Christophe Fromantin.
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Une réflexion également exigée auprès des architectes lors du lancement d’un concours international en juin 2021. Sur la cinquantaine d’agences en lice, deux ont raflé la mise : celles de Manuelle Gautrand et Édouard François. L’un propose un bâtiment fait de briques de verre, tout en transparence, et l’autre prône un bâtiment en terre. « De mémoire, la mairie nous a appelés car ils voulaient qu’on candidate, c’est en général comme cela que ça marche dans les marchés publics, sinon on ne les verrait jamais passer. Dans le brief était soulignée la dimension expérimentation dans cette recherche de nouveaux commerces », raconte l’architecte Édouard François. Autre impératif ? Que ces bâtiments soient écoresponsables. « Nous avons décidé de réaliser des bâtiments imprimés en 3D à partir de terre. Avec la guerre en Ukraine, le béton est devenu un matériau problématique puisqu’il n’y a plus de sable, sans parler de son bilan carbone. Hors, la terre, il y en a partout et elle possède un bon bilan carbone. C’était un matériau évident », lance l’architecte. Même si les marques sont encore au stade de la consultation du catalogue de promotion, le maire avoue avoir une petite préférence pour les entreprises qui sont déjà implantées à Neuilly.
Quelques marques ont déjà approché la ville pour connaître les conditions d’inscription mais la mairie leur laisse jusqu’à fin 2023. Une fois les marques sélectionnées, elles se mettront en contact avec un des deux architectes, selon la formule choisie, et pourront demander une conception sur mesure de leur futur bâtiment, tout en respectant la charte initiale. Dans cette allée sont prévues 19 Folies, chacune de 30 mètres carrés, pour un total de 800 000 euros en moyenne sur un contrat de 15 ans. « Ces AOP (autorisation d’occupation du domaine public) sont accessibles pour les entreprises, elles seront amorties très vite et restent moins chères qu’un commerce traditionnel », précise la maire. Les Folies commandées seront construites en 2024. À la fin cette année, l’avenue sera terminée et mise en service en 2025.
Maire de la ville depuis 2008, Jean-Christophe Fromantin était dans une autre vie chef d’entreprise. Il se souvient d’ailleurs d’une interview donnée à Stratégies dans les années 90 sur sa boîte, depuis vendue, qui pratiquait la vulgarisation économique. Trente ans plus tard, il a troqué l’économie pour la politique sans pour autant avoir perdu son âme d’entrepreneur. « J’espère que les commerces classiques s’en inspireront. Je pense que cela va donner des idées aux autres. J’ai d’ailleurs des rendez-vous avec des confrères et consœurs à Paris et en Province pour parler de cette réincarnation du commerce, cela va devenir un terrain de jeu et d’expérimentation pour beaucoup de collectivités », augure-t-il.
Si l’opération séduit déjà les maires voisins, qu’en sera-t-il des clients ? Rien que sur l’avenue Charles-de-Gaulle se trouvent 40 000 salariés, en plus des 65 000 habitants de Neuilly et des touristes qui se rendent notamment à la Fondation Louis-Vuitton. Cela en fait une zone de chalandise conséquente, à tel point que la mairie n’a même pas prévu de plan de communication en amont et pendant le lancement. Elle misera simplement sur le trafic autour et sur l’influence de la ville. Une énième folie ?
Chiffres clés
19
Nombre de Folies déployées le long de l'avenue Charles-de-Gaulle.
800 000 euros
Coût de construction estimé pour les acteurs.