En quête d’achats responsables, les consommateurs se heurtent à la hausse des prix tandis que les marques voient également leurs ambitions RSE bousculées par les conséquences de l’inflation. Pas sûr pour autant que tout abandonner soit un bon calcul.
Y aura-t-il des cadeaux sous le sapin de Noël ? La fin d’année s’annonce compliquée pour une bonne partie des consommateurs, qui peinent déjà à joindre les deux bouts au quotidien. « Depuis l'été 2021, l'inflation a brusquement augmenté. Entre juillet 2021 et juillet 2022, elle est passée de 1,5% à 6,8%, avant de légèrement ralentir en août (6,5%) », note sur le site Vie Publique la Dila (Direction de l’information légale et administrative), administration rattachée à la Première ministre. De fait, les consommateurs sont obligés, depuis des mois, d’ajuster leurs achats, même si la situation est moins alarmante en France qu’ailleurs. « Par rapport à ses voisins européens, la France ne s’en sort pas trop mal », souligne Vincent Grégoire, directeur consumer trends et insights chez Nellyrodi. Pour 60 % des Français, vivre de façon écologique s’avère néanmoins trop coûteux, selon une étude TF1 et Sociovision (groupe Ifop), rendue publique fin septembre. « Frappés de plein fouet, les gens sont en même temps conscients qu’il va falloir changer leur mode de vie, dépeint Rémy Oudghiri, sociologue et directeur général de Sociovision. C’est un tiraillement énorme. Isoler son logement, choisir l’électrique, installer des panneaux solaires… Beaucoup aimeraient le faire mais cela implique un coût financier ». Des dépenses remises en cause dans le contexte actuel. D’autant que l’inflation ne devrait pas s’arrêter de sitôt et s’inviter fréquemment à la table des Français, au sens propre comme au sens figuré.
Sur le front de l’alimentation, un indicateur témoigne déjà de ce repli vers les produits plus abordables et souvent peu écoresponsables. Pour le bio, 2022 s’annonce comme une année noire. « Il y a un recul en volume de la consommation, probablement de l'ordre de 7 à 10% sur l'année 2022. Et de 10 à 12% dans les enseignes spécialisées », résumait récemment dans les médias Pierrick De Ronne, président de Biocoop et de la Maison de la Bio, qui fédère les professionnels du secteur. Adoubé, le bio avait pourtant triplé son volume de ventes au cours de la dernière décennie.
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De là à en tirer des généralités sur la dégradation des habitudes de consommation ? « On peut parler de sale temps pour les marques plus locales et plus durables, dont le coût est généralement plus élevé et les volumes moindres que les acteurs historiques », pointe Stéphane Brunerie, créateur de Stripfood, média consacré à l’actualité des tendances dans le domaine du food. Autres signaux peu favorables : le recul de modèles vertueux comme le vrac ou la restauration à table, tandis que la livraison à domicile - plus dommageable pour l’environnement - poursuit sur sa lancée.
L’industrie textile est aussi en première ligne. Selon l’Insee, la hausse des prix, de l’ordre de 3,2% en 2021, devrait afficher 5 à 15% supplémentaires en 2022 et aiguiller en conséquence les choix des Français. « Dans le secteur du textile, la problématique majeure reste la hausse des prix de l'électricité. Pour certaines entreprises, on parle d'une facture multipliée par cinq », alerte Olivier Paccalin, président cofondateur de la plateforme Lesitedumadeinfrance.fr. Flore Carlier, cofondatrice de la marque belge de maillots de bain écoresponsables Kaly Ora, témoigne de cet impact sur ses produits : « Nous sommes passés de 110 à 125 euros pour un maillot. Même si la guerre en Ukraine s’arrête, les prix ne diminueront pas, elle nous a trop impactés, tant en termes de transports de nos matières premières et vers nos clients, qu’en termes d’énergie pour la production ».
Conséquence ? Les hard discounters font figure de grands gagnants de cette crise. « Alors qu’on pensait que la fast-fashion était terminée ou en voie d’amélioration, il reste une partie des consommateurs qui ne sont pas très regardants sur la provenance des produits ou sur la politique RSE de l’enseigne. Ils cherchent simplement la bonne affaire chez Gifi, Noz, Action… ces nouveaux hard trendy », rapporte Vincent Grégoire. Ces marques à petits prix, à l’instar de Kiabi et Primark, ne se privent pas de communiquer sur leur propre « bouclier anti-inflation », une opération séduction appréciée des consommateurs, surtout en temps de crise.
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De là à ce que l’inflation signe la mort du good, il y a malgré tout un grand pas. En effet, une partie de la population, la plus aisée, est épargnée, et continue à porter une partie de la demande. En parallèle, les engagements des entreprises ont été gravés dans le marbre réglementaire, via par exemple leurs déclarations de performances extra-financières, ou dans la loi, comme sur l’usage du plastique. Mais surtout, le contexte conduit les consommateurs à adopter davantage de comportements responsables. Sous la contrainte certes, mais les effets sont là. Avec la crise, cuisiner les restes est par exemple redevenu monnaie courante. Autre illustration, dans le textile. En croissance de 22% par rapport à 2020, le marché de l’occasion représente désormais plus de 105 milliards d'euros, selon le cabinet Wavestone. Les marques l’ont bien compris, à l’instar de Maje, Aigle et Bash qui renforcent leurs plateformes de seconde main. D’autres, comme Petit Bateau, proposent des services de location de vêtements.
Et puis, il y a ceux qui prônent la slow fashion. « On observe des changements de comportements des consommateurs, ils ne vont pas regarder le prix mais le rapport qualité prix avec cette question de l’usage et de la durabilité des produits », témoigne Olivier Paccalin. Sur son site, il recense 50 000 produits de producteurs français et prône cette étiquette, longtemps boudée, du « fabriqué en France ». « L’image que l’on a du Made in France est un prix trop élevé. En réalité, c'est le même prix que les marques fabriquées à l’étranger. Il y a un réel problème marketing. Au fond, c’est plus une question de pouvoir d’achat, en achetant du Made in France, c’est le meilleur moyen de lutter contre la précarité et de créer de l’économie locale », ajoute le spécialiste. Autrement dit, consommer moins mais mieux.
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Les marques qui s’engagent y gagnent. EY vient de livrer une étude sur les marques durables, basée sur des données sortie de caisse entre 2017 et 2022 : « Les marques alimentation et boisson les plus engagées [4 % au départ] ont surperformé sur la période », relève Laurence Leguay, directrices chargée de ces sujets chez EY. « Pour les entreprises, [le contexte] a renforcé l’envie de prendre un coup d’avance avec des offres structurellement gagnantes et axées “smart good” », confirme Eric Duverger, cofondateur de la Convention des entreprises pour le climat, rassemblant 150 entreprises ayant livré, en juillet, des feuilles de route pour s’améliorer. C’est-à-dire des offres permettant de contenir, à la base, leurs coûts, par exemple en adaptant leur choix de matières premières. Et de citer l’exemple de Renault Trucks, fabricant de camions, qui accélère le reconditionnement de ses véhicules. « L’inflation est un vent de face pour le business as usual mais porteur pour les projets de sobriété. Ceux qui avaient un coup d’avance vont plus vite », remarque-t-il.
D’autant que les attentes des consommateurs, quoique mises à mal par la flambée des prix, ne vont pas disparaître du jour au lendemain. « Sur le fond, les idéaux de beaucoup de consommateurs ont bougé ces dernières années. Selon moi, il y a donc une forte probabilité que ce système du mieux manger reste en place même si la conjoncture ne lui sera pas favorable dans les mois à venir », estime Stéphane Brunerie. Et bonne nouvelle, « entre la fin du mois et la fin du monde, il peut y avoir une forme de consensus », note-t-il. Au rayon de ces « nouvelles convergences à surveiller de près », l’ex-directeur offre et marketing des biscuits St Michel cite « le cas de la viande et du végétal », dont les trajectoires illustrent les changements à l'œuvre. Avec l’envolée des prix de la viande et le coût environnemental induit, une forme de bascule pourrait s’opérer plus vite que prévu dans les assiettes. Ultime barrière à faire tomber : les idées reçues. « Beaucoup de produits disponibles via les circuits courts sont compétitifs économiquement avec la grande distribution. Ils souffrent simplement d’une accessibilité moindre et d’un délit de faciès en termes de prix, qu’il faut combattre », préconise-t-il. Un nouveau défi pour les communicants.
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Avec l’inflation, la communication responsable a-t-elle du plomb dans l’aile ?
Le schéma classique voudrait que les marques, confrontées aux difficultés économiques, fassent de la communication une variable d’ajustement. La différence est qu’il s’agit cette fois-ci d’une crise systémique qui survient dans un contexte de prise de conscience renforcée chez les consommateurs. Certes, il y a des chances que le « goodvertising » en pâtisse et que la communication dite « bottom of the funnel » soit privilégiée. On parle là de stratégies favorisant les canaux les moins coûteux - e-mailings, promos, PLV… - au détriment de la construction de la marque. Or la RSE, ce n’est pas uniquement quand tout va bien.
Comment faire pour éviter ce réflexe pavlovien ?
On a tendance à présenter ce qui est cher comme responsable et ce qui est moins cher, comme irresponsable. La réalité n’est pas aussi binaire, en témoigne le succès de marques comme Leboncoin, Vinted ou Too Good To Go, qui incarnent le « new cool ». Il faut travailler la durabilité émotionnelle et ces acteurs ont compris que les consommateurs, au-delà du prix, les choisissent aussi pour leur modèle. L’engagement des marques est devenu essentiel.
Les bonnes résolutions des annonceurs ne risquent-elles pas de voler en éclats ?
L’heure des choix a sonné. On verra en 2023 les marques réellement engagées ou non, celles qui mettent la responsabilité au cœur de leur modèle et celles qui n’en font qu’un sujet périphérique.