Alors que les particuliers et les professionnels s’interrogent sur l’approvisionnement en électricité et sur leurs dépenses pour cet hiver, Benjamin Commandré, responsable du pôle réputation au sein de la direction de la communication de RTE, gestionnaire du réseau de transport d’électricité en France, explique comment la communication de l’entreprise sous contrat de service public est à la manœuvre dans cette période délicate.
On a l’impression que c’est la première fois qu’il y a un tel coup de projecteur sur RTE…
BENJAMIN COMMANDRE. On sent qu’il y a une mobilisation autour du sujet de l’énergie. Nous alertons depuis plusieurs années sur le risque hivernal. Cette année, plusieurs facteurs concourent à placer ce sujet dans l’agenda politique et médiatique, notamment la guerre en Ukraine. Une prise de conscience s’est produite. L’attention porte sur le risque de coupures. L’opinion a compris que l’énergie devient un véritable enjeu. Nous l’avions pressenti dès fin 2021 car les prix commençaient à monter, pas forcément pour le consommateur - ce n’était pas encore visible sur sa facture - et sans impact encore pour la sécurité de l’approvisionnement.
Dans ce contexte, quelles sont vos priorités de communication ?
Nous menons un travail de pédagogie sur le risque en lui-même. Il existe mais n’est pas l’hypothèse la plus probable. Nous devons expliquer, rassurer, mobiliser. Et ce, en intégrant plusieurs difficultés : l’opinion est assez fatiguée après la pandémie et rétive à ce qu’on lui demande des efforts, les débats sont souvent tranchés, ce qui rend la pédagogie parfois ardue, et enfin, notre marque est peu connue du grand public donc sa force de réassurance est plus faible que celle d’autres acteurs de l’énergie. Rassurer passe par plusieurs choses : en cas de coupures, expliquer leur impact (s’il y en a, ce ne sera pas un black-out, mais des coupures maîtrisées, plutôt locales), montrer qu’il y a un chef d’orchestre (RTE). Nous avons aussi un objectif de conversion, de passage à l’action.
Concrètement, comment cela se traduit-il ?
La stratégie est de donner les moyens d’agir. C’est la promesse derrière Ecowatt. Ce site permet de dire quand il y a des risques de tensions et détaille les écogestes à adopter. Lancé à l’échelle régionale en 2012 puis au national en 2020, il est relancé cette année, avec un axe majeur, trouver un réseau de relais : médias, entreprises, collectivités… Notre objectif est de réussir la mobilisation de tous. Depuis un mois, Ecowatt enregistre 5000 à 10 000 nouveaux inscrits par jour, pour un total de 250 000 inscrits. Cela reste modeste mais via des partenaires nous avons la possibilité de toucher des dizaines de millions de contacts.
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Côté médias, vous avez noué des partenariats avec les principaux groupes audiovisuels afin qu’ils diffusent des bulletins météo de l’énergie et partagent les gestes à adopter. Pourriez-vous aller plus loin, en vous rapprochant de plateformes comme TikTok ?
Après les avoir sollicités à la rentrée, nous avons signé avec TF1, France Télévisions, Altice. Des discussions sont en cours avec la plupart des autres groupes ainsi qu’avec certains réseaux sociaux et Gafas. Nous avons besoin des médias pour relayer nos éventuelles alertes, ils feront aussi un relais pédagogique autour des écogestes. Par ailleurs, nous sommes en train de construire un plan avec des influenceurs, généralistes ou thématiques, pour qu’ils puissent eux aussi nous aider à diffuser les bons gestes. Notre approche est sectorielle : par exemple, nous envisageons de faire appel à des influenceurs cuisine ou gastronomie pour faire passer certaines recommandations (couvrir une casserole qui bout…). Cela devrait se dénouer en octobre.
Quant aux entreprises, à quoi s’engagent-elles en signant avec vous et combien l’ont fait aujourd’hui ?
Elles peuvent rejoindre Ecowatt via une charte d’engagement basée sur le volontariat. Nous les accompagnons pour la définition de leurs engagements précis. Nous nous sommes d’abord concentrés sur les grosses entreprises car elles ont la capacité de relayer les messages auprès de leurs salariés, soit des centaines de milliers de personnes, et via leurs marques auprès de leurs abonnés, usagers, clients. C’est un effet de levier gigantesque. Elles peuvent aussi agir sur leur consommation car le chauffage tertiaire est une source importante de consommation d’électricité. Elles proviennent de tous les secteurs : énergie (parmi elles, on compte EDF, Engie), grande distribution (Carrefour, Casino), banque (Crédit Agricole, BPCE, Société Générale, HSBC), luxe (Kering, LVMH), télécoms (Bouygues Telecom, Orange, Iliad), transport (RATP, SNCF, Keolis, Transdev)… Au total, plus d’une centaine de chartes ont été signées ou sont en cours de rédaction. Nous avons réuni ces entreprises le 11 octobre lors d’une conférence de presse pour qu’elles expliquent leurs engagements et montrent ce qu’elles font pour que les coupures auprès des particuliers n’interviennent qu’en dernier recours.
En 2022, RTE a mené une campagne, pour le recrutement d’alternants. Communiquez-vous souvent par ce biais ? Ne serait-ce que pour augmenter la « force de réassurance » évoquée tout à l’heure ?
Cet hiver, nous faisons porter l’essentiel de nos efforts sur la crise énergétique. En revanche, il est un peu tôt pour dire s’il y aura une campagne RTE pour faire connaître le dispositif Ecowatt. Nous restons dans notre couloir de nage : alors que le gouvernement vient de présenter son plan de sobriété énergétique, nous privilégions la diffusion des écogestes lors des périodes de tension. Nous avons besoin d’adapter le message en travaillant avec différents partenaires de différents secteurs. Nous avons envie d’animer ce réseau de partenaires plus que de faire une campagne de notoriété pure.
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Quelle communication de crise avez-vous mis au point en cas de tensions cet hiver ?
La situation dépendra du facteur météo. Quand la température baisse de 1°, la consommation en France augmente de 2400 mégawatts, soit l’équivalent de la consommation de Paris sur une journée, ou de Lyon et Marseille réunis, et de deux à trois réacteurs nucléaires. A cela s’ajoutent l’état des imports d’énergie, le rôle du vent. Nous pouvons lancer une alerte à J-3. La communication de crise s’organise autour de ce temps de gestion du réseau de J-3 à J, de l’alerte à la mise en œuvre du plan de coupure. Nous prévoyons les porte-paroles, le matériel pédagogique… La vraie difficulté, c’est de coordonner les efforts de l’ensemble des acteurs impliqués dans la gestion d’une éventuelle coupure, les services de l’Etat, les autres acteurs de l’énergie. Nous aurons, RTE, un rôle de chef d’orchestre. Ensemble, nous nous préparons pour voir quelle serait la part de voix de chacun, comment on s’organisera pour les messages et les process. Nous faisons des simulations de crise régulières.
Comment fait-on pour ne pas être alarmiste ?
En expliquant encore et encore. En montrant que tout ceci est organisé, maîtrisé, piloté, qu’il n’y aura pas de black-out mais d’éventuelles coupures locales avec une rotation organisée entre les foyers. Cela suppose de se préparer. Il pourra y avoir des désagréments, que l’on ne cherche pas à minimiser. Et puis les écogestes.
Comment vous organiserez-vous dans les prochains mois ?
La communication dans les mois qui viennent sera rythmée par les alertes ou non de tensions sur le système électrique. S’il n’y en a pas, nous ferons de la pédagogie. Il est possible qu’il y ait aussi des difficultés l’hiver prochain. S’il y en a, nous activerons la communication de crise. Si l’hiver est froid et que des problématiques d’approvisionnement apparaissent, nous avons un scénario de référence qui prévoit une à cinq alertes orange ou rouges. Nous en avons aussi de plus optimistes et d’autres plus dégradés, on ne sait pas combien il y aura d'alertes. Nous aurons une communication adaptée jusqu’en mars mais elle ne s’arrêtera pas là, elle durera encore au moins un an ou deux. Nous espérons nourrir une meilleure compréhension des problématiques énergétiques. Si l’hiver est doux, vous n’entendrez pas parler de nous.
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RTE France
9500. Nombre de collaborateurs.
5,2 milliards d’euros. Chiffre d’affaires 2021.
La communication de RTE France
60. Nombre de communicants chez RTE, dont le tiers à la direction de la communication nationale, pilotée par Renaud Czarnes.
3. Nombre de pôles : réputation (service presse, réseaux sociaux, communication sensible et de crise, communication projets, planification éditoriale), image et marque, engagement.
7. Nombre de délégations régionales.