Se projeter dans cinquante ans alors que l’avenir immédiat demeure incertain n’est pas une mince affaire. Après un an et demi de crise sanitaire, de confinements, de couvre-feux et d’incertitudes, se prêter à cet exercice où gymnastique mentale et imagination positive doivent aller de pair sans verser dans l’utopisme naïf peut relever de la gageure. J’ai cependant une certitude. D’ici à cinquante ans, la relation entre les consommateurs et les marques aura profondément changé, de même que notre façon d’acheter et les outils que nous utiliserons pour faire du shopping. Nous verrons une toute nouvelle culture du commerce se stabiliser et devenir la norme, le «community commerce», combinaison ambitieuse entre communauté, divertissement et shopping.
Au cœur de ce modèle de consommation, les créateurs sont voués à prendre une place de plus en plus critique, comme maillon indispensable entre marques et utilisateurs. Pour y voir plus clair, j’ai interrogé un des principaux intéressés, Bruno Maltor, le blogueur voyage qui fait le tour du monde depuis dix ans… et qui n’a pas prévu de s’arrêter de sitôt ! Ensemble, nous nous sommes demandé à quoi ressemblerait le commerce dans cinquante ans.
Arnaud Cabanis : Bruno, avant toute chose, un mot sur toi.
Bruno Maltor : J’ai lancé mon blog voyage, Votre Tour du Monde, en 2012 où j’ai pu raconter l’histoire de mes voyages et partager les moments que je pouvais vivre, à travers mes articles et mes photos. Aujourd’hui, j’ai la chance que ce soit devenu mon métier, et même depuis 2014 ! Si j’ai diversifié les plateformes où je suis présent (Instagram, TikTok…), mon envie reste la même : montrer que le voyage est le meilleur investissement possible, pour tous.
Selon toi, à quoi ressemblera le commerce en ligne dans cinquante ans ? Quelle sera la place du community commerce ?
La notion de communauté, et donc celle de community commerce, a toujours existé. Elle se réunissait dans d’autres contextes et sur d’autres applications que celles d’aujourd’hui, mais elle était déjà présente dans les logiques de commerce et surtout de recommandation d’achat.
Dans cinquante ans, le community commerce sera sans aucun doute devenu la norme ! Nous n’en sommes encore qu’aux balbutiements, le potentiel est gigantesque et c’est une tendance qui est vouée à se généraliser et à transformer en profondeur nos pratiques d’achat.
Chaque acheteur aura été motivé par un contenu à la fois sincère et divertissant, proposé par un créateur ou même par un de ses pairs qui mettra en scène le produit et ses qualités ou encore ses expériences. Le marketing de bouche-à-oreille et de recommandation directe remplacera les affiches publicitaires.
Quel sera le rôle des influenceurs dans ce paradigme ?
À mon sens, dans cinquante ans, plus personne n’utilisera le mot «influenceur». Ce dernier est voué à disparaître au profit de la notion de «créateur expert». Le community commerce tel qu’il aura révolutionné nos modes d’achat se fondera sur la création d’un contenu divertissant et immersif. Et pour cela, créateurs comme utilisateurs seront à la recherche d’un contenu de plus en plus authentique, avec peu de montage et des retours plus spontanés qui permettront au public de mieux percevoir le ressenti du créateur.
Dans cinquante ans, si les influenceurs auront disparu, ce sera au profit d’experts qui se seront spécialisés sur un sujet et auront développé une vraie légitimité aux yeux de leur communauté. Contenu authentique et expertise seront le socle de la confiance entre créateurs et utilisateurs, une confiance primordiale pour le développement d’un community commerce bienveillant.
Les marques considéreront-elles les plateformes numériques et les créateurs comme des distributeurs à part entière ?
Le shopping en ligne est une tendance qui n’est pas nouvelle, elle se renforce depuis quelques années déjà. Et je ne pense pas prendre trop de risques en disant qu’elle est vouée à se renforcer dans les cinquante prochaines années. Les consommateurs n’auront plus besoin de se rendre en magasin pour être rassurés et convaincus à propos d’un produit. Le pouvoir des avis et des recommandations, notamment celui des créateurs, aura acquis une importance centrale et sera la source d’un engagement encore plus fort pour les marques qui joueront le jeu.
Les créateurs qui auront su rester sincères vis-à-vis de leur ligne éditoriale de départ et avec leurs communautés auront affirmé leur rôle de tiers de confiance et sauront convaincre. Par leur pouvoir de recommandation, ils seront les véritables alliés des marques qui accepteront de lâcher prise sur le contenu créé et associé à leurs produits.
Quant aux plateformes, l’explosion des actes d’achat sur internet aura eu lieu depuis bien longtemps. Seuls les réseaux sociaux capables de proposer une expérience d’achat intégrée auront réussi à sortir du lot. C’est un tri qui se fera naturellement alors que les utilisateurs seront à la recherche de l’application qui leur permettra d’acheter les produits présentés en un clic et sans sortir de la plateforme. Les réseaux sociaux seront devenus le nouveau concurrent, très solide, des plateformes d’e-commerce.
Tu utilises beaucoup le format vidéo pour les contenus que tu partages. Selon toi, c’est celui qui perdurera ?
Oui ! Je crois beaucoup au pouvoir de la vidéo. Pour partager son expérience, faire un retour concret sur des achats ou l’utilisation d’un produit, c’est un format beaucoup plus engageant et impactant qu’un simple texte.
Dans 50 ans, on peut facilement imaginer que les vidéos seront devenues la norme, elles le deviennent déjà actuellement. Les créateurs comme les utilisateurs partageront leur avis en vidéo. C’est un format qui permettra aux gens d’assumer qui ils sont et les aidera à prendre eux aussi la parole. Les avis rédigés auront disparu et les recommandations sur les produits ou les retours d’expérience seront l’objet de vidéos courtes, authentiques, où chacun se sentira libre de s’exprimer sans artifice.