Boissons
Au terme d’une compétition impliquant tous les gros bras, Coca-Cola confie l’essentiel du devenir mondial de ses marques à WPP. Un budget au périmètre XXL mais à la mécanique encore floue, dont la configuration pourrait donner des idées aux annonceurs majeurs.

En matière de marketing, Coca-Cola est rarement le dernier à innover. Ce serait plutôt tout le contraire, en témoigne la compétition hors normes que vient de boucler le géant américain. À la sortie, le gain de budget de l’année et probablement l’un des plus faramineux de l'histoire moderne. Au terme d’une compétition lancée en décembre dernier, le groupe, qui remettait en jeu son budget monde (plus de 200 pays et territoires) pour l’ensemble de son portefeuille de marques, a sélectionné WPP et son unité dédiée OpenX en tant que « global marketing network partner » sur les volets création, média, data ou marketing technology. Un choix opéré au détriment du groupe Publicis, finaliste malheureux que le gain récent de Facebook -devenu Meta- consolera grâce un budget total qui pourrait avoisiner le milliard de dollars d’après nos informations. Ce résultat s’avère d’autant moins dommageable pour le groupe français qu’il avait très peu à perdre et beaucoup à gagner, avec jusque-là moins de 3% du budget global de Coca-Cola tous métiers confondus. WPP, qui détenait jusqu’alors environ 30% du budget du groupe, estimé à près de 4 milliards de dollars, frappe pour sa part un grand coup avec un périmètre « sans précédent », comme le souligne Coca-Cola dans un communiqué. Cet épilogue frustrant pour Publicis, que Manuel Arroyo, global chief marketing officer du poids lourd américain, n’a pas omis de louer pour sa « vision audacieuse » et ses « capacités de classe mondiale », a également valeur de révélateur. Car cette finale épouse une forme de logique eu égard à la dynamique des deux acteurs, qui dominent actuellement le new biz mondial de la tête et des épaules.

Épicentre du marché

Pas de quoi décourager la concurrence en amont, la plupart des réseaux internationaux d’envergure ayant participé à une compétition devenue l’épicentre du marché. À commencer par IPG ou Dentsu, le groupe japonais se voyant nommé partenaire média complémentaire dans certaines zones géographiques où il dispose d’une assise forte – Japon et Corée du Sud, selon des sources citées par Campaign US. Pour IPG, la chute est brutale, le groupe détenant jusque-là près de 30% du budget de Coca-Cola, à débuter par l’intégralité de l’achat d’espace aux États-Unis. Conséquence : le groupe britannique WPP, dirigé par Mark Read, devrait désormais piloter environ 90% des achats médias. Si la situation semble relativement claire sur le volet média, elle apparaît autrement plus nébuleuse sur le plan créatif. Coca-Cola laisse en effet la porte ouverte à des réseaux tels que Publicis ou IPG par le biais d’un « roster » stratégique d’agences « approuvées » permettant théoriquement au groupe de piocher au sein des différents réseaux. « Coca-Cola va (…) s’assurer l’accès aux meilleurs créateurs du monde grâce au développement d’un modèle créatif open-source », résume le groupe dans son communiqué. « Nous savons que les idées brillantes viennent de n’importe où et nous conserverons cette flexibilité », appuie Manuel Arroyo quant à une mécanique avantageuse qui interroge par ses implications concrètes.

Agences dans l’incertitude

Dans les faits, WPP devrait diriger un certain nombre de partenaires stratégiques, dont McCann, Mercado et Leo Burnett. Mais les informations précises émanant de Coca-Cola font défaut. Questionné par les médias spécialisés américains, le CMO a notamment déclaré à Adweek que « WPP recevra un minimum de 65% du travail créatif ». Notons que Wieden+Kennedy et BETC, agences ayant récemment exécuté des travaux pour des marques du portefeuille de Coca-Cola, pourraient être concernées. Pour se faire une idée plus précise, il faudra donc attendre que Coca-Cola, qui a lancé en 2021 sa première boisson alcoolisée, dévoile sa liste. Une sélection qui, selon Manuel Arroyo, devrait être finalisée avant la fin de l’année. Interrogées parallèlement à ce sujet, de nombreuses agences disposant de relations établies avec Coca-Cola précisent ignorer encore largement leur sort. Figureront-elles sur la liste des partenaires créatifs ? Quelle sera leur mission ? Travailleront-elles avec WPP ? Pour l’heure, les questions supplantent à l’évidence les réponses.

Nouveau modèle ?

La décision de Coca-Cola de combiner les activités création et médias en un seul et même appel d’offres au cours de l'été aurait en réalité permis à WPP – qui gère pourtant l'achat média de son rival Pepsi dans un certain nombre de territoires – de prendre la pole position en raison de son réseau tentaculaire. Mais, à l’inverse de ce qui se fait habituellement avec les structures ad hoc développées pour le compte d’annonceurs majeurs en agrégeant les expertises issues des diverses agences, l'unité OpenX permettra à Coca-Cola de travailler avec n'importe quelle agence du réseau WPP. Au-delà de ces arguments rationnels, un autre élément, moins avouable, aurait fait pencher la balance. Plusieurs sources proches de la compétition ont ainsi déclaré aux médias américains que le client privilégiait les paiements à 90 jours en fonction de la date d'exécution des travaux. Une allégation à laquelle ne répond pas Coca-Cola, refusant de dire si de telles conditions de paiement seraient mises en œuvre avec WPP. Tout sauf un détail ? L'industrie fait en effet pression pour obtenir des délais de paiement raccourcis, les délais plus longs pouvant même affecter les agences aux reins solides et favorisant les acteurs les plus puissants financièrement. En dépit des incertitudes qui entourent encore le mode opératoire et le business plan mis en place à cette occasion, point de doute. WPP est sorti vainqueur de ce combat de titans qui augure peut-être d’une ère nouvelle pour les multinationales, dont les budgets restent encore majoritairement fragmentés à l’échelle planétaire. Pointant un partenariat « sans précédent pour l’industrie compte tenu de son envergure et de sa portée géographique », Coca-Cola ne dira pas le contraire. Manière d’entretenir son statut de précurseur.

Chiffres clés

11 mois Durée de la compétition.

200 Pays et territoires concernés par le budget.

4 milliards de dollars Budget annuel estimé du groupe Coca-Cola.

7,74 milliards de dollars Bénéfice net du groupe en 2020.

33 milliards de dollars Chiffre d’affaires 2020.

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