Le diagnostic du rapport du GIEC établi en août dernier est sans appel : nous devons agir face à l’accélération du changement climatique. Faut-il en passer par un «état d’urgence climatique» comme l’appelait de ses vœux il y a un an le secrétaire général de l’ONU, António Guterres ? Ou imaginer un nouveau récit collectif, changer nos habitudes et arrêter de vivre au-dessus des capacités de la planète ?
Côté citoyen, les comportements évoluent, avec un effet accélérateur de la crise sanitaire. Dans une étude Viavoice (1), 74 % des interrogés déclaraient avoir conscience de la nécessité de changements dans leur mode de vie pour répondre aux défis environnementaux et climatiques. Mais seuls 19 % étaient réellement investis en la matière, en conjuguant approche collective et passage à l’acte… C’est dire la prégnance des contradictions qui nous animent, entre le dire et le faire, l’intention et l’engagement. Toutefois, le sociologue Jean Viard se montre plutôt optimiste sur le sujet. Son dernier ouvrage, La révolution que l’on attendait est arrivée (Éditions de l’Aube, mai 2021), soutient que la pandémie a permis d’amorcer les changements de comportement nécessaires à la révolution écologique. Télétravail, exode urbain, habitudes de consommation… nous serions désormais sur la bonne voie.
Créer un crédit carbone
Cette amorce suffira-t-elle ? En matière climatique, seuls les actes comptent et nous savons ce qui est à faire : sortir des énergies fossiles et décarboner des secteurs majeurs tels l’agriculture, les transports et le bâtiment. Le choix d’une sobriété effective paraît alors inévitable. Dans le cadre du Forum Vies Mobiles, des étudiants de l’Université de Paris ont réalisé une intéressante étude prospective sur la mise en place d’une carte carbone dédiée aux déplacements visant à limiter, à travers l’instauration de quotas, les plus carbonés et à encourager les formes de mobilités respectueuses de l’environnement.
Ce principe de «crédit carbone» pourrait s’élargir à notre alimentation. Selon l’Ademe (2), «un régime réduisant d’environ la moitié la consommation de viande et de produits laitiers […], associé à une évolution des pratiques agricoles […], permettrait de réduire l’empreinte carbone du stade agricole par deux». Pour les logements, ne faudrait-il pas renforcer l’accompagnement des ménages pour améliorer la rénovation énergétique du bâti, d’autant plus dans un contexte de flambée des prix de l’énergie ? Par ailleurs, même si le numérique ne représente aujourd’hui que 4 % des émissions mondiales à effet de serre, nos usages sont en pleine expansion, surtout après la pandémie de covid. D’aucuns envisagent un modèle de sobriété basé sur un «crédit journalier d’échanges de données». Associé à un nécessaire renoncement au remplacement (trop) rapide de nos équipements, il permettrait de limiter les impacts de nos pratiques numériques.
Orienter les investissements
Côté entreprises, force est de constater que les choses changent également. Dans un ouvrage à paraître, La Promesse des magiciens (Belin, février 2022), le journaliste Christophe Doré insiste sur l’urgence à agir et se veut confiant : «D’un point de vue technique, une panoplie d’outils et de solutions existent pour répondre aux défis climatiques, et c’est en les additionnant qu’on pourra y arriver, souligne-t-il. La question est de savoir ce qui est économiquement supportable pour avancer sur la bonne route sans déstabiliser nos économies. Les entreprises et les banques sont au cœur du système, car de telles transformations nécessiteront énormément d’investissements.»
L’orientation des investissements est en effet un enjeu déterminant. C’était d’ailleurs l’objet du Climate Finance Day qui s’est tenu à Paris fin octobre et qui a été l’occasion de saisir la sensibilité du sujet, entre intentions générales et engagements formels. Des initiatives montrent néanmoins déjà la voie, à l’instar de la récente annonce de la Banque Postale s’engageant «pour une sortie totale des secteurs du pétrole et du gaz d’ici 2030». C’est également le cadre comptable qui doit être revu, afin de laisser la possibilité aux entreprises de prendre le temps de leur transformation face aux logiques actionnariales de court terme. En effet, la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), qui doit entrer en vigueur en 2023, élargira les obligations en termes de reporting extra-financier à l’ensemble des entreprises de plus de 250 salariés. De quoi généraliser largement l’intégration des objectifs de développement durable dans la stratégie des entreprises, et d’indicateurs associés.
Changer nos comportements pour ne pas perdre nos libertés. Selon Fabrice Bonnifet, président du Collège des directeurs du développement durable (C3D), cette réinvention de l’entreprise doit aboutir à la création de l’entreprise contributive autour de cinq piliers :
1/ prendre en compte la réalité scientifique et le caractère fini des ressources ;
2/ définir sa raison d’être ;
3/ repenser son modèle économique pour sortir du système «extraire, produire, vendre, jeter» en intégrant le modèle de l’économie d’usage ;
4/ faire évoluer son système de management ;
5/ évaluer sa performance autrement qu’à travers des indicateurs seulement financiers. Partant du principe que «l’ignorance constitue le principal frein à l’action», il estime que le chemin vers la transition passe aussi par une implication forte et éclairée des médias et, pour les plus jeunes générations, par l’enseignement de paradigmes compatibles avec le défi climatique dans le champ des sciences économiques et sociales.
Changer notre comportement est urgent et essentiel pour éviter une perte majeure et peut-être irréversible de nos libertés individuelles. Il est temps d’engager notre responsabilité individuelle et collective au risque de subir une trajectoire autoritariste, si ce n’est dictatoriale. Faisons le choix d’agir avant qu’on nous l’impose.